Communication du Général Weygand

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C.M.
M. Gal Hesnard
service Santé
LA PECHERIE, le 21 Décembre 1940



IVº REGION MARITIME
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MARINE   EN   TUNISIE
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E T A T      -   M A J O R
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CONFIDENTIEL  
CABINET
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C O M M U N I C A T I O N
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En retraçant, de mémoire, les notes ci-jointes, le rédacteur n'a pas eu la prétention de reproduire exactement les paroles prononcées par le Général Weygand au cours de la causerie qu'il a faite aux Officiers de l'active et de la réserve, de toutes armes et de tous Corps de la Place de BIZERTE, dans la salle du Contrôle Civil, le Mercredi 11 Juin.

Il espère cependant avoir réussi d'une manière satisfaisante à refléter dans les feuilles jointes, le sens des idées que le Général Weygand nous a exprimées dans un langage très simple, voire familier.

L'attention de tous doit cependant être attirée sur le fait que le Général Weygand a exprimé le désir expresse que le sujet de cette conférence ne reçoive aucune publicité hors du milieu militaire.

Les destinataires devront donc interdire toute reproduction de ce document.

 

P.O. le Capitaine de Vaisseau PIOT
Chef d'Etat-Major

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Exemplaire Nº 5

NOTA : Le présent exemplaire devra faire retour à l'Etat-Major de la Marine en Tunisie avant le 15 Janvier.

 

CAUSERIE

faite par le Général Weygand

aux Officiers de l'active et de la réserve

de toutes armes et de tous Corps de la

Place de Bizerte

le 11 Décembre 1940 dans la Salle du Contrôle

Civil.

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J'ai tenu à vous réunir ici pour vous dire des choses que vous devez savoir, auxquelles vous devrez refléchir pour en tirer des conclusions sur le devoir qui vous incombe désormais. Je ne vous parlerai que de ce que je sais, convaincu que vous me ferez l'honneur de me croire.

Si cette causerie avait eu lieu trois mois plus tôt j'aurais eu à m'étendre davantage sur quelques parties du sujet que je vais traiter devant vous. Mais au cours des dernières semaines, tant d'articles et de rapports ont été publiés sur les évènements qui ont précédé l'armistice, que je pourrai rapidement passer sur certains épisodes des tristes journées de Juin pour ne m'arrêter que sur l'essentiel.

Comment donc après une victoire aussi complète que celle de 1918 avons-nous pu subir la défaite de 1940 qui est sans exemple dans notre histoire? Nous examinerons d'abord quelle peuvent être les causes d'ordre général, puis les causes particulières ayant trait aux opérations proprement dites. Enfin nous tirerons ensemble les conclusions pour l'avenir.

Une ces causes originelles de notre défaite est le traité de VERSAILLES. Le Traité de 1919 ne nous a pas donné la frontière dont nous avions besoin: le RHIN. Le Maréchal FOCH avait fait un plan juste et sage qu'il avait réussi à faire accepter à Monsieur CLEMENCEAU. Le REICH arrêté sur le RHIN c'était la paix assurée pour cinquante ans, un siècle peut-être. Celà ne nous fut pas accordé par nos alliés de la veille. Pourquoi donc? Tout simplement parce que la guerre finie, chaque nation ne songea qu'à ses intérêts personnels. C'est là ce que l'on est convenu d'appeler l'égoïsme national. Et la Grande-Bretagne qui fut une alliée si loyale pendant les hostilités reprit son indépendance. Trouvant que la FRANCE avait acquis sur le continent une puissance et un prestige excessifs à ses yeux, elle mit tout en oeuvre pour permettre à l'Allemagne de se relever. En agissant ainsi LLOYD GEORGE ne faisait qu'appliquer les règles de la politique traditionelle de l'Angleterre.

J'ai encore dans l'oreille les paroles de Monsieur CLEMENCEAU disant au Maréchal FOCH que j'accompagnais: "Je n'ai pu construire le traité suivant votre plan car l'Angleterre et les Etats-Unis m'ont fait une offre et je ne pouvais pas la rejeter." Quelle était donc cette offre; la garantie donnée par ces deux pays d'intervenir si l' Allemagne nous attaquait. Cette garantie devait jouer automatiquement mais avec leur malignité habituelle, les Anglo-Saxons avaient mis une réserve. Le pacte conclu par WILSON ne serait valable pour l'Amérique qu'autant que le Sénat l'aurait ratifié, et valable pour la Grande-Bretagne qu'autant que les Etats-Unis le respecteraient. On sait ce qu'il advint, le Sénat Américain n'accorda pas la ratification et LLOYD GEORGE nous informa que la garantie offerte par l'Angleterre était caduque puisque l'Amérique ne donnait plus la sienne. Comme toutes les clauses de l'accord avaient été scrupuleusement respectées, la bonne foi de nos alliés peut paraître sauve et nous fumes dans l'impossibilité de déclarer que nous avions été dupés.

Au cours des années qui suivirent la victoire, nous vîmes lever successivement toutes les hypothèses prises sur l'Allemagne. Chaque fois que notre Commission de Contrôle crut pouvoir dénoncer des fraudes de la part de l'Allemagne, elle trouva toujours devant elle, les Commissions de Contrôle Britannique et Américaine disposées à admettre l'inexécution des clauses du traité, si bien qu'au Conseil Suprême chargé d'arbitrer ces sortes de différends, notre Commission fut régulièrement désavouée au profit de notre adversaire.

Toutes les mesures prises pour enmpêcher ou du moins contrarier le réarmement de notre ennemi héréditaire furent une à une abrogées.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler la manière dont nos Gouvernements sans volonté, sans autorité nous préparèrent à faire face à la menace de guerre qui grandissait chaque jour.

Le Maréchal PETAIN nous a dit en termes d'une concision frappante et d'une netteté parfaite ce que le moral de la FRANCE était devenu à la veille des hostilités: l'esprit de jouissance l'avait emporté sur l'esprit de sacrifice, l'esprit de revendication sur l'esprit de devoir, la paresse sur l'effort.

La Patrie, la famille et le travail étaient directement menacés par les hommes du Gouvernement.

Chez nos voisins, où l'autorité du pouvoir ne cessait de s'affirmer, pour servir une volonté bien déterminée, l'esprit du peuple était aux antipodes de celui du notre.Pour vous donner une idée de la nature des sentiments qui inspiraient les Allemands je vous rapporterai une conversation que j'ai eu, il y a quelques années (vers 1931 ou 1932) avec un de mes amis professeur en Sorbonne qui rentrait d'Allemagne où il était allé faire une série de conférences. Un soir, après l'une de celles-ci, et selon leur coutume, quelques étudiants l'avaient accompagné dans une brasserie. Comme ils lui avaient fait preuve d'une certaine indécision sur la façon dont ils comptaient orienter leur vie, il leur demanda brusquement: "Enfin, que voulez-vous?" - "Ce que nous voulons, "répondirent-ils d'un seul choeur, "c'est nous sacrifier. Pour quelle cause? Nous ne le savons pas au jusste, mais nous voulons nous sacrifier. " La préparation des esprits au sacrifice suprême que réclame la guerre était loin d'atteindre ce degré chez nous.

Quand on compare d'autre part, l'effort fait en Allemagne pour constituer les armements, à la négligence que nous montrâmes dans la préparation matérielle de notre armée, on ne peut pas s'étonner de la disproportion des forces qui devait en résulter.

Pour compenser notre infériorité nous n'avions qu'une politique à pratiquer: rechercher l'alliance anglaise. Je prétends, même aujourd'hui, qu'il n'y en avait pas d'autre, mais il eût fallu pouvoir traiter avec la Grande-Bretagne sur un pied d'égalité, pour pouvoir lui imposer éventuellement nos vues quand elles étaient justes et conformes à nos intérêts communs plutôt que d'être obligés de nous plier sans récriminer aux fantaisies de la politique angalise. Mais, même pour cela, la force nous eût été nécessaire, nous ne l'avions pas.

Je vous exposé ci-dessus les raisons principales et lointaines si l'on peut dire de notre infériorité en face de l'Allemagne, ce ne sont sans doutes pas les seules mais je n'ai voulu parler que de celles-là. J'en arrive maintenant aux évènements de Mai et Juin où s'est consommée notre résistance.

J'aurai à vous parler beaucoup des Anglais, je le ferai sans haine mais avec toute l'objectivité nécessaire. Je les ai beaucoup connus, j'ai travaillé à côté d'eux au cours de la grande guerre et j'ai pu apprécier alors leurs brillantes qualités et je dois le dire leur camaraderie de combat. Je n'en ai que plus de peine aujourd'hui d'avoir à les juger comme je le fais. Mais je vous le répète que dans les rapports entre nations seul l'intérêt de chacune compte. Vous savez les circonstances dans lesquelles j'ai été appelé à prendre le 20 Mai, le commandement des opérations.

La défaite d'une de nos armées sur la MEUSE entre NAMUR et MEZIERES, ouvre à l'ennemi le 13 Mai une brèche de 40 kilomètres dans la ligne de bataille française. Dans cette brèche, l'ennemi engage aussitôt la presque totalité de ses divisions blindées, et s'avance vers la mer, d'abord assez timidement puis payant d'audace, avec une rapidité extraordinaire se contentant de se couvrir face au Sud par des unités d'infanterie. Cette manoeuvre hardie présente le danger évident d'offrir aux coups des alliés un flanc de 400 kilomètres; mais les Franco-britanniques n'ont pas de réserves pour procéder à une contre-offensive.

Lorsque j'arrive le 20, les allemands remontent déjà en direction de DUNKERQUE pour tenter d'encercler les forces que nous avons dans le Nord de la brèche du dispositif. Nous y avons nos meilleures troupes, presque toutes de l'active et remarquablement encadrées (15 divisions), elles sont les seules équipées d'une façon moderne. Toutes nos divisions blindées sont réunies à ce endroit. Les Britanniques ont là 10 divisions et l'armée belge 25. Le commandement du groupe des armées Françaises appartient au Général BILLOTTE, incontestablement un de nos meilleurs généraux.

Je vous ai dit tout à l'heure le danger que présentait pour les Allemands l'énorme flanc qu'ils offraient à nos contre-offensives. Je décide donc immédiatement de prescrire aux armées se trouvant en Belgique d'attaquer en direction du Sud et le 22je passe de l'autre bord pour dicter mes ordres. J'ai pu entretenir longuement le Général BILLOTTE de mes intentions. Je n'ai pourtant pas pu rencontrer le Roi des Belges et pour des raisons aussi inconnues il m'a été impossible de voir le Général GORT, Commandant en Chef britannique, je le connais pourtant très bien, je l'ai eu près de moi au cours de la grande guerre. Peu importe, mes ordres sont donnés.

L'attaque devra être déclenchée le 27 Mai et les choses se présentent favorablement. Mais le soir même de mon entretien avec lui, le Général BILLOTTE est tué dans un accident d'automobile. Dans la nuit du 24 au 25 sans prévenir le Général Commandant les armées françaises, sans prévenir le Roi de Belges et sans m'en donner à moi-même le moindre avis, le Général GORT suivant les ordres de son Gouvernement et désobéissant aux miens décide de ramener ses troupes de 30 kilomètres en arrière vers la mer, portant ainsi à 70 kilomètres la brèche ouverte dans le dispositif général.

Le 27, mes ordres seront exécutés par les Français, mais les dimensions du trou à combler sont désormais beaucoup trop grandes pour que la manoeuvre réussisse. Nos soldats montrent pourtant un cran et un allant magnifique, les Chefs paient de leur personne. Le Général GIRAUD qui aurait dû normalement prendre la succession du Général BILLOTTE est fait prisonnier avec les troupes au milieu desquelles il a tenu à rester pour montrer l'exemple et exalter le courage de ses hommes. Le 29, l'armée Belge capitule en rase campagne. Désormais il ne reste plus qu'à sauver les armées des Flandres. La retraite s'exécute en très bon ordre. L'évacuation est un succès puisque 330.000 hommes ont pu s'échapper, mais sur ce nombre on comptera au maximum 100.000 Français. Tout le matériel sans exception a été abandonné : Le nombre de prisonniers est immense, le butin des allemands considérable.

Dès le 29, la bataille des Flandres étant perdue, je décidai de livrer la bataille sur la Somme et sur l'Oise. Je l'ai fait pour l'honneur ayant des doutes sur le succès final. Que nous restait-il donc à opposer désormais aux forces allemandes qui affluaient sur notre territoire? L' Armée Française avait perdu à ce jour les 2/5 de ses effectifs, les 8/10 de son matériel, ce qui fait qu'en gros, elle avait perdu les 7/10 de sa puissance.

La Grande-Bretagne avait retiré toute son aviation de chasse et de bombardement en piqué. Elle nous offrit il est vrai des avions de chasse de la Home Defense pour appuyer notre action sur la Somme mais ce fut avec quelques unités britanniques toute l'aide qu'elle consentait à nous apporter dans la bataille qui allait s'engager.

Nos soldats se battirent encore magnifiquement. La nouvelle tactique bien comprise fut appliquée avec beaucoup d'intelligence, les troupes bien commandées restaient parfaitement dans la main de leurs chefs. Si bien que pendant les trois premiers jours je pus nourrir quelqu'espoir dans le succès de la bataille. Dieu ne permit cependant pas que le sort des armes nous fut favorable et le quatrième jour tous mes espoirs furent perdus. Les allemands avaient pu, dès leur percée, établir quelques très solides têtes de pont sur la Somme et sur l'Oise. Nos contre attaques bien que poussées très vigoureusement furent impuissantes à les conquérir. Et devant des forces adverses arrivant en masse, avec un matériel d'une puissance formidable, notre résistance s'effndra.

Nous étions alors dans l'impossibilité de continuer le combat et d'empêcher l'ennemi d'atteindre nos frontières méridionales. Nous venions de nous battre avec trois fois moins d'hommes que les Allemands, cinq fois moins de matériel, dix fois moins d'aviation. Quand j'avais pris mon Commandement il n'y avait déjà plus un homme dans les dépôts; 3000 fusils, c'était toute la réserve d'armement. Le 12 Juin je n'avais plus le moindre renfort à jeter dans la bataille. Nos usines d'aviation nous fournissaient douze avions par jour, les Américains 5 et nous perdions quotidiennement 33 appareils en moyenne. Comment à ce régime remplacer les pertes.

Il n'y avait plus d'autre ressource que de demander un armistice à l'ennemi. Je l'avais déjà écrit à Monsieur Paul REYNAUD le 29 Mai. Depuis, au cours des entretiens que j'avais eus avec l'homme d'Etat, j'étais revenu à plusieurs reprises sur ce sujet. Le Maréchal PETAIN qui était alors Vice-Président du Conseil avait appuyé mon attitude. Le 12 Juin, on ne pouvait plus avoir d'hésitation, l'heure des graves décisions était venue pour le Gouvernement, aussi insistai-je d'une manière pressante sur la nécessité de l'ouverture de négociations avec l'ennemi en vue de l'obtention d'un armistice.

Monsieur CHURCHILL qui était venu à mon quartier général et y était resté depuis 18 heures jusqu'à 8 heures le lendemain matin était parfaitement au courant de la situation. Pour bien le persuader de la gravité de celle-ci j'avais pris la précaution de le laisser s'entretenir seul avec le Général GEORGE hors de ma présence. Mais aussi bien n'est-ce-pas parce que notre cause lui semblait perdue qu'il avait pris soin de retirer toutes les troupes Britanniques du sol Français et qu'il s'était décidé à ne plus soustraire la moindre de ses forces à la défense anglaise. Il est assez piquant, ceci soit dit en passant, de voir prendre un tel parti, par un homme qui a prétendu jadis avec force que la frontière de l'Empire Britannique était sur le RHIN.

Monsieur Paul REYNAUD avait fini par admettre le principe de l'ouverture de négociations en vue de l'obtention de l'armistice mais vous savez comment grâce aux interventions britanniques, la décision fut de jour en jour différée, notre premier ministre finissant pas s'y dérober. Nos troupes durent donc continuer à se battre, elles le firent héroïquement. La légende d'une Armée Française en débandade, abandonnée par ses officiers est absolument fausse.

Cette armée était, certes, très décimée, mais je sais, moi, qu'elle a fait son devoir, aussi bien les soldats qui sont restés sur place au poste qu'ils avaient à défendre avec des moyens matériels insuffisants que les aviateurs qui rivalisaient de courage et ont fait de véritables prouesses devant des adversaires infiniment plus nombreux. Parmi eux pullulaient les GUYNEMER, il ne leur a manqué que des avions pour égaler les hauts faits de ce héros.

De notre armée, crevée en de nombreux endroits, il ne restait plus que des noyaux bien commandés, c'est vrai, luttant bravement mais devant combattre isolément sans liaison ou presque avec le reste des forces alors que nos routes étaient envahies par le flot de 5 millions de réfugiés français du Nord et belges avec leurs voitures à bras, leurs véhicules automobiles et tout le barda qu'ils emportaient. Les éléments échappés de DUNKERQUE et réfugiés en Angleterre avaient bien commencé de débarquer à CHERBOURG. Rassemblés, on s'en servit pour constituer ce que nous appelâmes des divisions légères, légères en effet puisqu'elles ne devaient comprendre que deux régiments armés seulement de fusils.

Au cours des journées qui suivirent le 12 Juin, l'unanimité ne réussit pas à se faire au sein du Conseil des Ministres dont une grande majorité restaient partisans d'une prolongation de la résistance le Gouvernement se réfugierait en Afrique du Nord où on attendrait les moyens que nous fournirait l'Amérique pour continuer la lutte.

Cette volonté de tenir à tout prix était, je ne vous le cache pas, empreinte d'une certaine noblesse, à moins qu'elle ne masquat chez quelques uns certains calculs. Mais une telle décision était inacceptable pour plusieurs raisons. D'abord qu'aurions nous pu évacuer de notre armée en Afrique du Nord, tout son matériel aurait dû évidemment être abandonné. Et l'ennemi, maître de tout notre territoire, maître de nos ports, quel eût été le sort de ceux qui seraient restés? Enfin il eût fallu reconquérir le pays et pour celà le détruire. En Afrique du Nord nous n'avions à cette époque que les quelques divisions laissées en Tunisie. Toutes celles d'Algérie et du Maroc avaient été transportées en France et jetées dans la bataille. Vous savez bien que nous ne disposions pas ici de réserve de munitions suffisantes, nous n'y avons absolument aucune usine de guerre. Notre résistance n'eût pu être que très éphémère sans le concours immédiat des Etats-Unis et comme je demandais à un de nos ministres, Monsieur DAUDTRY, partisan de la lutte à outrance, dans combien de temps les usines américaines seraient en mesure de commencer à nous livrer des armements, il convint que ça ne serait pas avant deux ans.

Non, Messieurs, dans ces conditions, dans l'état où se trouvait l' armée Française, au point où en était la France, aucune autre solution que celle à laquelle nous nous sommes arrêtés n'était possible.Vous pensez bien que ça n'est pas sans un gros serrement de coeur que je me suis résolu à prendre cette désicion. Mais maintenant, avec le recul du temps et après y avoir bien réfléchi, je ne me repens pas d'avoir agi ainsi.

Nous avons été vaincus à cause de notre insuffisance en effectifs et en matériel mais surtout à cause de l'abandon de l'armée française à son destin par les Britanniques dès les premiers coups durs. Je vous rappellerai à ce propos, un mot de MONTLUC "on doit aller au combat avec ses deux fesses". La fesse britannique nous a manqué. Ainsi s'est consacré la rupture d'une camaraderie de combat si magnifique durant l'autre guerre. Ne l'oubliez pas. Mais la lutte continue aujourd'hui pour les autres. Et il ne s'agit pas pour nous de signifier nos préférences quant à celui des adversaires qui devrait remporter la victoire finale. Il s'agit encore moins de nous perdre en vaines discussions à ce sujet.

Nul ne peut prévoir à l'heure actuelle qui sortira vainqueur du conflit. Tout ce que nous pouvons constater c'est le succès remporté par l'Angleterre en empêchant l'invasion de son territoire par les Allemands, les succès enregistrés par les Anglo-Grecs en Albanie et les revers très probables et prochains que vont essuyer les Italiens en Egypte.

Personne ne sait non plus comment celà se terminera pour nous. Devrons-nous reprendre les armes ou sera-ce simplement autour d'un tapis vert que se discuteront pous nous les conditions de paix. De toute manière nous ne pourrons faire entendre notre voix et faire respecter nos droits les plus sacrés que si nous nous présentons parfaitement unis et forts moralement et matériellement.

C'est pourquoi je vous demande d'abord et avec beaucoup d'insistance d'avoir confiance dans le destin de notre Patrie, d'avoir confiance dans notre Chef actuel, de le suivre et de lui obéir.

Notre Chef, le Maréchal PETAIN, le vainqueur de VERDUN, vous savez la pureté de son âme. Sa carrière, sa vie toute entière sont vierges de toute compromission. Il n'a jamais mis son intelligence et son zèle qu'à un seul service, celui de la FRANCE. Dans tout ce qu'il fait et qu'il commande, c'est en Chef et en français qu'il agit et il a toujours en vue l' intérêt général. Et si l'on avait demandé à l'armée de se choisir un chef, aurait-elle porté son choix sur un autre que le Maréchal PETAIN. C'est pourquoi nous devons nous serrer autour de lui et ne devons pas écouter et encore moins servir la propagande britannique qui se manifeste si bruyamment de tous côtés.

Cette propagande ne vise qu'à une chose: Désunir la France, et pour y parvenir elle ne craint pas de nous abreuver de mensonges.

Elle ment quand elle prétend que la France a trahi la Grande-Bretagne en mettant bas les armes sans l'en prévenir. Car ainsi que je vous l'ai dit précédemment le Gouvernement Anglais a été tenu constamment au courant de la situation, de la nécessité de l'ouverture de négociations dans laquelle nous nous trouvions de demander l'armistice et il a fini par en convenir.

Que n'a-t-elle pas dit aussi au sujet de la politique de collaboration avec l'Allemagne envisagée par le Gouvernement. Même avant que Monsieur LAVAL ne fut rentré de PARIS, c'est-à-dire avant le départ du Maréchal pour MONTOIRE la radio anglaise n'annonçait-elle pas que la paix allait être signée moyennant une nouvelle délimitation de frontières qu'elle précisait et une cession de la majeure partie de nos colonies. Et cependant, je vous le jure, au cours des entretiens du Maréchal et du chancelier HITLER il ne fut parlé que des 3 questions suivantes: sort de nos prisonniers, relations entre la France occupée et la France libre à travers la ligne de démarcation, ravitaillement de la population de la France occupée.

Cette propagande s'est attaquée dernièrement à l'Amiral ABRIAL que nous considérons à juste titre, n'est-ce-pas, comme le héros de DUNKERQUE. Elle lui demandait comment il se faisait qu'il se trouvait vivant si la place qu'il a défendue avec tant de vaillance et de sang froid avait, comme on le disait, été rasée.

N'avait-il pas aussi été question de moi? Ne serai-je pas venu en Afrique pour la soulever contre le Gouvernement de Vichy et créer ici un mouvement de sécession.

Voyez-vous, tous les moyens sont bons pour la propagande britannique qui ne vise qu'à briser notre union. Comment se fait-il que des Français puissent encore se laisser abuser par d'aussi grossiers mensonges. Si immédiatement après l'armistice, mal éclairés sur les circonstances de notre défaite, des hommes aient pu avoir quelques scrupules de cesser le combat, celà peut s'excuser; mais aujourd'hui çà ne doit plus. Faut-il donc que les meilleurs de nos jeunes Officiers et Sous-Officiers, les plus ardents, ceux dont le coeur à peine éveillé à la vie est le plus pur, désertent nos rangs pour aller servir l'étranger, celui dont l'égoïsme féroce a provoqué notre défaite? Non! Nous devons de toutes nos forces nous employer à mettre ces bonnes volontés dans le droit chemin, elles nous sont beaucoup trop précieuses.

Vous ne devez pas perdre de vue non plus que ceux qui se font les propagateurs de cette campagne mensongère, ceux qui diffusent parmi nous toutes ces calomnies appartiennent à certaines sectes religieuses ou certaines sociétés philosophiques plus ou moins secrètes. Ils propagent ces mensonges parce qu'ils y ont intérêt. Tenant jadis le pouvoir qui leur procurait tant d'avantages dont ils sont désormais frustrés, ils ne veulent qu'une chose, le reconquérir pour retrouver les situations perdues.

Notre devoir est donc d'abord de combattre cette propagande néfaste si nuisible aux intérêts de la France. Je vous ai donné des arguments pour celà, diffusez-les autour de vous et ne craignez pas de dénoncer ceux qui se font les artisans d'une besogne aussi criminelle.

Ensuite appliquez-vous avec plus de foi que jamais dans la tâche qui vous incombe pour le redressement de notre armée. Il faut que nous organisions ici en Afrique du Nord des forces prêtes à toutes les éventualités. Travaillons en silence et apportons à ce travail tout le zèle dont nous sommes capables. Et puis soyez discrets, défendez-vous d'un bavardage si préjudiciable à nos intérêts. Recommandez aussi la plus grande discrétion à vos compagnes. Je connais trop les vertus de vaillance, dévouement et d'abnégation de la femme française pour ne pas avoir pour elle le plus grand respect, mais il n'est sans doute pas superflu de lui prodiguer des conseils de discrétion.

Si chacun voit et fait son devoir comme celà, en pensant et en agissant français, en accord avec le Maréchal, la France se relèvera et se relèvera vite. L'avenir apparait déjà moins sombre, la voie tracée est donc la bonne, c'est celle qu'il nous faut suivre. Je n'en dévierai pas pour ma part, et dans la défense de l'Afrique que le Maréchal m'a confiée, j'emploierai toutes mes forces, tous les moyens dont je dispose et je compte sur vous.

Avant de vous quitter, je voudrais vous faire encore quelques réflexions au sujet de la ligne de conduite que vous devez vous assigner à l'égard du Gouvernement du Maréchal et dissiper aussi quelques derniers scrupules s'il en était, ce que je ne pense pas.

L'armée n'a jamais fait de politique, et ce n'est pas faire de la politique que de soutenir les Chefs que la nation a aujourd'hui. L'armée s'est toujours tenue au dessus de ces luttes de parti, elle est restée la "grande muette". C'est celà qui a fait sa force car elle a pu garder intact son esprit de discipline dans les crises que nous avons traversées. Bien que beaucoup d'entre nous n'aient pas eu de délection spéciale pour les Gouvernements que la France s'est donnée surtout au cours des années qui ont précédé la guerre, aucun acte d'indiscipline n'a été constaté. L'armée n'a cessé de faire preuve du plus pur loyalisme, aussi ne comprendrait-on pas qu'aujourd'hui où nous avons le meilleur des Gouvernements que nous ayons eus, il peut être question de nous disputer le droit de l'appuyer de tout notre coeur et de toutes nos forces. Restons donc unis autour du drapeau Français, le vrai, le seul avec ses trois couleurs où le blanc est si pur, sans croix de Lorraine au milieu autour du Maréchal qui tient si haut ce drapeau, défendons son Gouvernement avec toute l'ardeur possible et gardons confiance.

 

 

Version : 08.08.2005 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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