Psychologie du Crime

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Les Durs

Les criminels ne sont pas ce que Dostoïevsky croyait

"Psychologie du crime" par le Dr A. Hesnard, Payot, 356 pages, 26 F.

L'idée a cours depuis longtemps que les meilleurs psychologues sont aussi les romanciers, et que Dostoïevsky, en particulier, est le plus grand psychologue du crime. Qui lira l'ouvrage de l'éminent sexologue et psychanalyste Hesnard devra bien admettre que cette idée est fausse. On se souvient, en effet, que Dostoïevsky, dans "Crime et Châtiment", pour donner une explication plausible à l'énigme du geste homicide, introduit le motif de la maladie. L'état pathologique de Raskolnikov est constamment souligné. Bien mieux, Dostoïevsky attribue à son héros la parternité d'un article intitulé "Du Crime", Raskolnikov est supposé avoir écrit que "l'acte qui consiste à commettre un crime s'accompagne toujours de la maladie".

Or le Dr Hesnard, et c'est une des premières surprises de son livre est formel : la grande majorité des criminels ne sont pas des malades. D'où il s'ensuit que l'étude des voleurs, pyromanes, assassins h'a que très peu à emprunter à la pathologie. D'où cette autre conséquence, assez surprenante également: l'expertise mentale confiée aux psychiatres, lors d'un procès criminel, est non seulement inutile, mais s'oppose au développement d'une criminologie spécifique.

X tire sur Y

Pourquoi avoir si longtemps imputé le crime à des causes morbides? Parce qu'on examinait le criminel isolément, comme un individu déterminé par ses seules tendances inférieures, alors qu'il est impossible de le comprendre vraiment sans le replacer au coeur des relations interhumaines qui l'ont façonné. Hesnard, recueillant la leçon de Merleau-Ponty et de la phénoménologie, préconise une "psychologie de l'homme total en situation". Le crime apparaît alors comme une "défectuosité du lien à autrui", comme une altération de la dialectique du Je et de l'Autre (quand l'affirmation de soi ne peut avoir lieu qu'avec la négation de l'autre), enfin, dans le cas extrême du meurtre, comme "la catastrophe de l'intersubjectivité".

Si l'on veut maintenant remonter aux motifs d'une telle altération, d'une telle catastrophe, il faut s'appuyer sur une autre discipline contemporaine, la psychanalye. La cause principale de la criminalité est un sentiment de frustration éprouvé dans l'enfance. Voici un cas entre vingt autres. X tire sur Y. Le ménage de Y marchait très mal. X s'est posé en défenseur de Mme Y. Mais il n'a jamais été son amant, n'a jamais voulu l'être, et l'analyse a révélé qu'il n'a pas commis un meurtre "passionnel".

Les copains

La vérité est tout autre. X, né après le divorce de sa mère, a grandi obsédé par l'image de son père qu'il n'a jamais connu. Par réaction, il a idéalisé sa famille maternelle et pris obscurément le parti des femmes maltraitées. Son père battait sa mère : lui, protège les femmes et corrige les maris qui les battent. Son crime a l'innocence d'un acte justicier.

Puisque le crime a pour origine une lointaine situation familiale, l'étude de la délinquance juvénile est particulièrement instructive. Attribuer au jeune voleur un "mauvais naturel" est un préjugé qui n'est plus admissible. Ici encore, il faut replacer le délinquant dans son milieu, dans son entourage. La carence affective des parents, du père surtout, détermine chez l' adolescent des identifications compensatrices: il s'attache à des "copains" plus âgés, substituts de l'image paternelle.

Ainsi nait le gang, famille en marge de la famille absente. Il est curieux de noter que les membres du gang se plient à de strictes obligations entre eux: preuve que ce n'est pas l'attitude trop sévère des parents qui les a poussés à déserter la maison, mais plutôt l'indulgence ou l' indifférence, tant il est vrai que l'enfant n'a pas moins besoin d'autorité que d'affection.

La froideur libidinale

Ces voyous ne sont nullement des "durs", des brutes, comme on le croit. Mais, assoiffés de la tendresse qu'ils n'ont pas eu des leurs, ils n'osent la manifester. Convaincus que leurs parents ont eu leurs raisons de ne pas les aimer, ils tiennent que l' amour est coupable. "L' adolescent délinquant reste par certains côtés cachés, le petit enfant qu'il n'a pas eu suffisamment la possibilité d'être et, en même temps, il est prématurément homme, car il s'efforce de brûler les étapes."

Au reste, aucun criminel, même adulte, n'est pour Hesnard, un "dur". Rien de plus faux, en particulier, que le mythe, popularisé par le cinéma, du hors-la-loi fortement viril. Ces sujets sont caractérisés au contraire par une faible vitalité, une sexualité peu exigeante. Comme le dit Lacan, "leur hypogénitalité est souvent manifeste et leur climat rayonne la froideur libidinale."

Je ne puis résumer dans toutes ses parties un livre aussi riche. Il aurait pu, sans doute, être écrit avec plus d'aisance. Mais malgré les difficultés de lecture, il retient l'intérêt jusqu'au bout. S'inscrivant dans la suite des meilleurs travaux de psychologie moderne, il vient corroborer cette grande vérité, qu'il n'y a pas d'aberration du coeur humain qui soit naturelle ou fatale: on trouve toujours à la source une erreur, une faute, une ignorance pédagogique, un manque de compréhension, qu'il n'eût pas été impossible d'éviter.

DOMINIQUE FERNANDEZ

L'EXPRESS - 21 Mars 1963

 

 

Version : 07.12.2004 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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