Entretien du Dr. Angelo Hesnard avec le Dr. Rahn, représentant diplomatique du Reich

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Entretien avec le Dr Rahn, Ministre allemand

 

IVe Région Maritime
-
DIRECTION
DU
SERVICE DE SANTE
Bizerte, le 1er Juin 1944
  Le Médecin-Général HESNARD,
Directeur du Service de Santé de la IVe Région Maritime
certifie avoir eu, le 20 Avril 1943, à Tunis, avec le docteur Rahn représentant diplomatique du Reich, l'entretien suivant, dont il certifie sur l'honneur l'exactitude:
Ministre Rahn :
  M. le Médecin général, je m'excuse de vous avoir prié de venir me voir. Mais le temps presse, et, après avoir fait votre connaissance à la Résidence générale de France, le mois dernier, je tenais à avoir avec vous un entretien personnel.
  L'armée allemande va quitter prochainement la Tunisie. Je voulais d'abord vous remercier d'avoir fait donner à nos blessés les soins auxquels leur donnait droit la Convention de Genève - puisque vous avez cru devoir invoquer ce texte international lors de votre première entrevue avec nos médecins.
  A ce sujet, je voulais préciser, que, tout en marquant que vous ne vouliez pas accepter la collaboration que vous offrait loyalement le Service de Santé allemand, vous avez consenti à faire donner à ces blessés et grands malades les mêmes soins qu'aux malades et blessés des autres nations. Le Médecin général des Troupes allemandes me l'a confirmé. Tout s'est passé de la manière la plus correcte. Pour en remercier le service de santé français, je vous demande si vous avez un souhait à formuler?
Med. général Hesnard :
  Oui. Celui que la correction du service de santé français à l'égard des blessés de l'axe, en application de la Convention de Genève, soit portée à la connaissance des autorités du Reich; et cela, en vue de la réciprocité de l'attidude du Service de santé allemand à l'égard des blessés et malades français.
Ministre Rahn :
  C'est déjà fait. Le devoir, pour l'Allemagne, de rendre justice au Service de santé que vous dirigez avec tant d'autorité et de tenir compte de ce que vos chirurgiens ont fait, s'impose.
Med. général Hesnard :
  Je vous remercie.
Ministre Rahn :
  Mais j'ai autre chose à vous dire, dans un domaine plus délicat. Vous m'avez laissé comprendre, lorsque je vous ai dit que j'avais connu jadis à Berlin, votre frère, le Professeur Hesnard, de l'Ambassade de France, que ce dernier était un adversaire du parti national-socialiste. Mais l'opinion allemande a évolué depuis cette époque troublée: Notre Führer est aujourd'hui le chef incontesté de tous les Allemands. Or ceux-ci estimaient universellement votre frère, malgré ses idées politiques, car ils le considéraient comme un adversaire loyal. - Le temps n'est-il pas venu que les hommes comme vous, ayant quelques connaissance de l'Allemagne, consentent, sinon à collaborer (puisque vous ne voulez pas admettre cette collaboration), du moins à traiter au mieux des intérêts de nos deux pays, les problèmes intéressant la France et l' Allemagne?
  Nous avons pensé qu'en France vous rendriez en ce moment beaucoup plus de services qu'en Tunisie, à vos compatriotes. Nous avons des difficultés avec le service de santé; et de nombreuses questions restent pendantes concernant le service médical et l'hygiène des prisonniers, des travailleurs français en Allemagne, etc. Aussi je vous demande instamment de rentrer en France ces jours-ci avec quelques hauts fonctionnaires de la Régence. Le général en chef de l'armée allemande met à ma disposition, dans ce but, deux avions: Une place y sera réservée pour vous ainsi que pour Madame et Mademoiselle Hesnard.
Med. général Hesnard :
  Il m'est absolument impossible d'accepter votre proposition. Car j'ai reçu de mes chefs de Vichy - tant dans cette lettre officielle que dans plusieurs lettres privées - l'ordre absolument formel de rester à mon poste, et, si mes subordonnés doivent partir, de rester le dernier; et cela, quoiqu'il arrive.
Ministre Rahn :
  Mais ce n'est pas possible! Ce n'est certainement pas le Maréchal qui vous a donné un tel ordre, contraire aux intérêts de tous. Quels chefs vous l'ont donné?
Med. général Hesnard :
  Cet ordre émane du Médecin géneral Directeur du service central de santé, en plein accord avec l'Amiral secrétaire d'Etat à la Marine.
Ministre Rahn :
  Le Directeur du service central ne juge pas la situation telle qu'elle est. Car je ne veux pas croire que, contrairement aux conventions franco-allemandes du gouvernement de Vichy, vos chefs veuillent vous laisser à la disposition de l'armée française dissidente. J'ai entendu dire qu'avant l'ouverture des hostilités en AFN, vous aviez été désigné pour diriger un important service à Vichy. Je comptais sur votre départ pour Vichy pour nous aider à résoudre nos difficultés concernant le service de santé, alors que la prochaine arrivée des armées alliées en Tunisie va rendre votre présence ici complètement inutile. - Si vous voulez vous mettre à couvert à l'égard de votre Directeur de Vichy, je puis vous faire donner l'ordre de rentrer par le général en chef de l'armée allemande?
Med. général Hesnard :
  Cela reviendra au même. Car mes chefs de Vichy pourront penser que j'ai proposé indirectement cet ordre par ambition personnelle, c'est-à-dire pour poursuivre en France ma carrière en plein succès (alors que je risque de n'être pas conservé en fonctions par le Gouvernement d'Alger). Mon devoir est donc de vous prier de ne pas me faire donner cet ordre.
Ministre Rahn :
  Votre réponse me déçoit beaucoup. Est-ce que le service de santé de Vichy est vraiment fidèle aux consignes du Maréchal? Est-ce qu'une influence contraire ne s'y exerce pas, émanant d'éléments communistes, franc-maçons, juifs ou gaullistes persistants?
Med. général Hesnard :
  J'ignore ce qui se passe à Vichy. Mais je puis vous certifier sur l'honneur que mes chefs médecins ne se sont jamais préoccupés de politique. Qu'ils ont fait appliquer les lois récentes sur les juifs, sociétés secrètes, etc. de façon scrupuleuse. A ma connaissance, il n'y avait d'ailleurs, dans le corps de santé de la marine ni juif, ni communiste.
Ministre Rahn :
  Quoiqu'il en soit, je suis surpris de l'ordre que vous avez reçu. Je vous demande encore de réfléchir. Il serait très désirable que vous repreniez votre place à Vichy. Vos fonctions y deviendraient rapidement d'une importance considérable; car, en liaison avec le service de santé allemand, vous pourriez organiser un service dépassant le cadre du service de santé de la Marine et de l'Armée, dans l'intérêt de nos deux pays.
Med. général Hesnard :
  Je ne puis que confirmer ma décision, que je ne partirai de Tunisie librement qu'au cas où j'en recevrai l'ordre de mes chefs.
  Bizerte le 1er Juin 1943

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Dernière page du compte rendu du Médecin Général Hesnard
Je sortis de chez le Ministre d'Allemagne persuadé que j'allais recevoir l'ordre formel de rentrer en France. J'attribue à l'affolement qui a marqué les derniers jours de l'occupation allemande de la Tunisie le fait que j'ai pu échapper au rapatriement d'office. Le changement d'attitude de ce haut fonctionnaire allemand envers moi, lorsque j'eus refusé sa proposition, me permettait de redouter toutes représailles.
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Version : 07.12.2004 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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