Discours de fin d'année scolaire

Index

 

M.M

Qu'en ce lien, qu'en ces circonstances on ait ses raisons pour parler concurrence, encombrement des carrières, surproduction, recrutement des élites, orientation professionelle, c'est bien, n'est-il pas vrai, entre tant d'autres, un signe des temps?

Nos préoccupations sont si vives, elles s'imposent et constamment à nous tous que même au moment où nous pourrions être, comme nous l'avons été jadis plus d'une fois, tout entiers à la joie du repos promis et obtenu, nous ne nous séparons que pour nous livrer les uns aux autres de graves thèmes de réflexion, à emporter, dirait-on, dans nos bagages.

Prenons-en notre parti. Après tout, il n'est pas moins utile de noter avec calme et clairvoyance les nécessités de l'heure que de faire une fois de plus l'éloge des sciences exactes, des Humanités ou des langues modernes.

Que voulez-vous? Notre monde qui fut pour de précédentes générations un habitat commode a subi, après de rudes secousses, de graves transformations. Nous ne le regardons plus avec les mêmes yeux. Personne n'a le pouvoir de se mettre au-dessus des faits. Or, c'est un fait que les diplômes ne portent plus leurs titulaires aux emplois aussi facilement qu'autrefois. C'est un fait que les professions libérales n'offrent plus à la foule des candidats qu'une entrée sévèrement défendue. C'est un fait que les contraintes de l'utilité immédiate pèsent sur l'Enseignement et le menaçent dans son esprit, dans sa tradition de culture désintéressée. C'est un fait que la production industrielle et agricole languit, ou plus exactement que la demande reste déplorablement inférieure à l'offre, le pouvoir d'achat à la quantité réelle des biens.

Ce sont là d'amères réalités. Elles nous ont surpris quand nous avions cru, nous aussi, à la prospérité générale, quand notre vieille Europe, suivant l'exemple du nouveau monde, avait accru ses désirs de gains et augmenté son train de vie. Surprise douloureuse, puisque des milliers de désastres indidivuels marquent toujours ces crises internationales et que la vie économique et sociale des peuples s'en trouve profondément affectée, avec leurs dispositions d'esprit, leur moral et leur humeur.

Et pourtant, M.M, il est permis d'évoquer ces échecs, d'ailleurs périodiques, de nos méthodes humaines sans verser dans le pessimisme. N'aggravons pas les ombres du tableau. Nos jeunes gens ont toujours de belles chances à courir. La difficulté croissante des débuts ne doit décourager personne. Elle doit au contraire exalter la volonté de vaincre. Ce n'est pas en se lamentant sur les conditions d'un concours qu'on se prépare à en forcer la porte; pas plus ce n'est en se plaignant du bellicisme des autres qu'on impose la paix. L'époque est celles des résolutions viriles. Il faut que les jeunes sachent bien que dans les fonctions publiques, comme dans celles de l'Industrie, du Commerce, les chefs de service auront toujours besoin d'une élite, et la rechercheront toujours avec le plus grand soin. Qu'un jeune ingénieur, par exemple, consente à donner bravement, modestement sa mesure à la place qui lui est offerte, si peu brillante qu'elle soit, et je connais bien des chefs d'industrie qui sauront, à l'usage, distinguer son mérite, et récompenser ensuite les dures épreuves qu'il aura subies. Tout le monde accorde que l'entrée en ligne est ardue, mais dans l'insuccès de certains, on admettra bien qu'il y a parfois une prétention personnelle, une impatience, une avidité de jouissance immédiate et facile dont notre société d'hier n'avait peut-être pas connu tant d'exemples.

Il faut donc appartenir aux élites. Or, elles sont nombreuses, elles sont diverses. Tout écolier sachant de bonne heure ce qu'il veut, peut espérer en faire partie. Il n'y a pas qu'une élite, celle des grandes Ecoles, des diplômes de nos Facultés. Il y a celle de la machine et du comptoir, celles de la Banque, de la Navigation, celle des entreprises coloniales, celles de l'usine et de l'exploitation agricole. Il y a l'élite paysanne, l'élite artisane, d'autres encore. Dans chacune d'elle le jeune homme de raisonnement sain, d'intelligence nette, fort d'une libre discipline doit chercher et trouver sa place. Les aptitudes sont diverses. Si inégales quand on les veut rapporter toutes au même travail de l'intelligence, elles se révèlent, en gros, de valeur égale dès qu'on sait appliquer chacune d'elle à l'activité qui lui convient. Et si tel genre d'activité professionnelle subit une crise passagère, celui-là saura la dominer qui, avec plus d'énergie et de savoir-faire possédera plus de ce talent, peut-être le plus rare de tous, qui consiste à savoir mieux que les autres attendre, se restreindre, patienter, supporter et préparer ses revanches.

D'où il suit, mes chers amis, que le développement de l'intelligence ne suffit jamais au succès: Il y faut la formation du caractère. Si la Raison, toute occupée aux nécessités de la technique s'était appliquée avec autant de vigueur à l'étude des faits économiques et sociaux, et de leurs innombrables liaisons, la production de notre globe n'aurait pas connu ce chaotique désordre; et si les valeurs morales avaient été plus ardemment cultivées, nous n'aurions pas assisté à certaines surestimations contagieuses du profit personnel et du bien-être égoïste.

Notre Enseignement national, à tous les degrés, n'oubliera pas ces vérités vitales. A tous les degrés, sous des formes plus ou moins hautes et fines, il continuera à enseigner, à clarifier, à approfondir les valeurs humaines. Les maîtres savent qu'elle ne sont pas exclusiment intellectuelles. Les valeurs sociales et morales, esthétiques et métaphysiques importent autant, à certaines époques, même davantage. A la foi qu'elles inspirent peut se mesurer la force et la grandeur d'un Etat. Elles peuvent être plus vivantes, plus efficaces chez un paysan, chez le patron d'une barque de pêche, chez le forgeron du village que chez tout autre. Toute activité sociale exercée avec courage, avec goût, avec honneur, est d'une éminente dignité. Mais il y faut de la vocation pour reprendre le mot de votre Maître. Il y faut du caractère, de la personnalité, et, qu'on me passe le terme, du calibre.

Mes chers amis, le Lycée est une belle et vénérable école. En la quittant pour quelques semaines, que vos familles ne s'imaginent pas que ces semaines soient totalement perdues pour votre éducation. La famille et la vie, la nature et la société des jeunes gens de votre âge, le sport, le jeu, l'aventure, autant de milieux et d'actions dont la vertu éducative peut être de haute importance.

Pour l'étude des programmes, il y a des vacances, les indispensables vacances.

Pour le progrès de l'expérience personnelle et pour l'essentielle formation des coeurs, heureusement, il n'y en a pas, et il ne peut pas y en avoir.

 

 

Version : 02.02.2005 - Contents : Marzina Bernez-Hesnard

Codewriter: Visual Basic Application - Programmed by : Marzina Bernez
Webdesign & Copyright : Marzina Bernez

URL http://bernard.hesnard.free.fr/Hesnard/Oswald/oHesnard89.html