A la recherche de la paix:
Aristide Briand et la Conférence de Locarno de 1925

par
Jacques Bariéty

(Locarno a 60 anni dal patto)

Index

Aristide Briand, Locarno et la Paix. Il n'y a pas une seule ville de quelque importance en France qui n'ait une rue, une place ou un boulevard Aristide Briand; hommage toponymique qu'il ne partage quantitativement, dans les villes françaises qu'avec le Général de Gaulle. Aristide Briand, aujourd'hui un peu oublié, mais qui fut l'un des hommes politiques, l'un des hommes d'Etat les plus célèbres de la France de la Troisième République, a acquis cette grande renommée du fait des accords de Locarno, de l'oeuvre de Locarno, de "l'esprit de Locarno", et de l'immense espoir suscité par ce qui avait été entrepris dans votre cité en octobre 1925.

La communication de Madame Steinert nous a montré de façon magistrale l'extrême complexité des relations internationales après la première guerre mondiale, et aussi le rôle déterminant, à certains moments, de telle ou telle personnalité, homme d'Etat ou ambassadeur. Le rôle d'Aristide Briand, du côté français, ayant été décisif, c'est donc en le suivant, et en suivant son action, que je vais essayer de comprendre comment la France en est venue à Locarno et à la conclusion des accords qui portent le nom de votre Cité.

Mais d'abord, qui était donc Aristide Briand? Vingt-deux fois ministre sous la Troisième République, dix fois Président du Conseil, il fut d'avril 1925 - quelques mois avant la Conférence de Locarno - jusqu'à la veille de sa mort en février 1932, l'inamovible Ministre français des Affaires Etrangères. Du côté français, les accords de Locarno sont en grande partie son oeuvre.
Portrait
de Briand, dédicacé à Oswald Hesnard
Or, Aristide Briand était un personnage complexe et apparemment rempli de contradictions. Rappelons quelques étapes de sa vie.
Briand n'était certes pas un "pacifiste" et surtout pas un pacifiste dogmatique. Il n'était d'ailleurs dogmatique en rien. C'était un empirique. Et n'oublions pas qu'il fut un chef de guerre. Le Briand qui signera les accords de Locarno en 1925 avait été pendant la Grande Guerre l'un des chefs de guerre de la France. Déja en 1913, quand le Parlement français avait voté la fameuse Loi portant à trois ans le service militaire obligatoire des jeunes Français, à la veille de la conflagration, lorsque la France vivait dans la peur de l'Allemagne, Briand était Président du Conseil. Pendant la guerre elle-même, d'octobre 1915 à mars 1917, Briand fut Président du Conseil, chef de gouvernement d'une France en guerre. La bataille de Verdun, c'était Briand sur le plan politique; la coopération de plus en plus étroite, militaire et économique, entre les Alliés pour gagner la guerre, ce fut Briand. ce fut Briand qui appela Lyautey au Ministère de la Guerre. En mars 1917, après l'échec de l'offensive du Général Nivelle, Briand avait dû quitter la directions des affaires, mais n'oublions pas ce passé de Briand chef de guerre, de Briand lutteur. Oui, sous des apparences patientes, voire nonchalantes, il y avait chez Briand un lutteur.

Lutteur qui savait aussi, lorsque les circonstances lui paraissaient l'exiger, être un conciliateur. Il l'avait montré lorsque la France, vers 1905-1907, s'était trouvée au bord d'une guerre civile à propos de l'énome affaire de la séparation des Eglises et de l'Etat, qui posait le problème de l'Ecole, dont on sait combien il soulève de passions en France. Dans ces années 1905-1907, Briand, Ministre de la Justice, et ayant la responsabilité des affaires des Cultes, était parvenu à ce que la séparation des Eglises et de l'Etat se fit avec le moins de dommages possibles.

Le don de conciliateur qu'il avait montré à l'époque, il va le montrer à nouveau à Locarno.

Lutteur, conciliateur, Aristide Briand est enfin un orateur. Avocat de profession, il avait un don oratoire tout à fait remarquable, et il enthousiasmait les foules. Il avait développé son art oratoire d'abord dans les prétoires; il a en effet plaidé durant de longues années, puiqu'il n'est entré vraiment en politique qu'à l'âge de quarante ans. Après les prétoires, ce fut le Parlement, puis, à partir de 1924, la tribune de la Société des Nations comme délégué de la France. La parole, pour Briand, c'est bien plus qu'un "moyen de communication", c'est un outil politique, un moyen d'action politique, et il parviendra grâce à ce don qu'il sut cultiver et porter à la perfection, à emporter des décisions, que ce soit devant le Parlement ou devant des auditoires internationaux, ou même, comme nous le verrons à Locarno, au cours de conversations en tête-à-tête avec d'autres hommes d'Etat.

Tel était l'homme qui devait représenter la France à Locarno. Voyons maintenant quel était alors le problème qui se posait à la France et qu'il avait à résoudre.

C'était essentiellement le problème de la Sécurité.

N'oublions pas que la France avait failli mourir de la guerre de 1914-1918: les sacrifices que le peuple français a consentis entre 1914 et 1918 sont effrayants: 1 400 000 jeunes hommes tués, des millions de blessés qui, jamais, ne purent reprendre une vie professionnelle normale, des destructions matérielles considérables; le nord et l'est de la France avaient servi de champ de bataille; enfin un endettement extérieur, notamment à l'égard des Etats-Unis, qui était pour la suite de la politique française une hypothèque grave. La France était sortie victorieuse de la Grande Guerre, mais épuisée. Du Traité de Versailles, je ne dirai que deux mots: toutes les études les plus récentes sur le traité mènent à constater qu'il voulait être très dur à l'égard de l'Allemagne; en 1919, les Alliés, alors d'accord entre eux, avait cherché par le traité, à faire en sorte que s'établisse sur le continent européen un nouvel équilibre politico-militaire assurant la sécurité. Le Traité de Versailles visait à diminuer drastiquement la puissance allemande et à permettre, au contraire, à ses voisins - la France, la Belgique, la Pologne, l'Italie - de moderniser et développer leurs industries de façon à ce qu'un nouvel équilibre s'établisse en Europe. Si je présente ici cet aspect des choses, c'est que Locarno, comme je vais essayer de le montrer, fut la renonciation de la France à cette ambition de 1919. En 1919, la France avait eu l'ambition de devenir la première puissance industrielle sur le continent européen, à la place de l'Allemagne; et la Grande-Bretagne et même les Etats-Unis avaient alors soutenu cette ambition.

Pour essayer de réaliser ce projet, la France avait d'abord pensé pouvoir détenir trois atouts, dont nous retrouverons les componantes dans l'affaire de Locarno: 1 - la démilitarisation de l'Allemagne et principalement le statut de la zone rhénane qui devait d'abord être occupée par les armées alliées, puis, après le départ de celles-ci, rester démilitarisée, de sorte à former une sorte de glacis en avant des frontières de la France, 2 - des traités de garantie, ou d'alliance, avec la Grande-Bretagne et l'Amérique, et 3 - une sorte de guerre économique était inscrite en filigrane dans le traité: outre les réparations, il y avait les clauses économiques et commerciales diverses qui, pour une période transitoire de cinq ans, imposaient à l'Allemagne un statut discriminatoire dans le commerce international, la commercialisation du charbon, etc… Retenons cette durée de cinq ans: le traité étant entré en vigueur le 10 janvier 1920, la période transitoire de cinq ans, s'étendait jusqu'au 10 janvier 1925… moment où commencèrent à se nouer les contacts qui devaient mener à Locarno.

Entre 1920 et 1924, la France avait d'abord cherché à faire entrer dans les faits l'ambitieux projet versaillais. Pourtant la construction d'ensemble du traité s'était trouvée très tôt déséquilibrée parce que les Etats-Unis ne ratifièrent pas le traité, n'entrèrent pas la la Société des Nations, et que les traités franco-anglais et franco-américain ne virent pas le jour. Il n'en reste pas moins que la France, dans un premier temps, et malgré son isolement croissant, a cherché à réaliser quand même le projet versaillais. C'est ainsi qu'il faut expliquer l'affaire de la Ruhr en 1923. Cet effort suprême de la France pour essayer d'imposer malgré tout l'ambitieux projet de 1919, ayant finalement échoué on en arriva, en août 1924, à la Conférence de Londres qui vit la liquidation des ambitions françaises: la France s'engageait à évacuer la Ruhr, mais - et on l'oublie trop souvent - l'Allemagne, en contrepartie, s'engageait à négocier rapidement avec la France un traité de commerce avant l'échéance du 10 janvier 1925, afin de parvenir à une sorte de liquidation à l'amiable, entre Français et Allemands, du contentieux hérité des ambitions françaises de 1919 et de ce qui s'était passé par la suite.

C'est ainsi que le 1er Octobre 1924, débutèrent à Paris des négociations commerciales entre la France et l'Allemagne, négociations d'une portée considérable, car, entre les deux pays, il y avait de très difficiles problèmes économiques et commerciaux à résoudre; ainsi du fait du retour à la France de l'Alsace et de la Lorraine du nord, un très important potentiel industriel et d'abord sidérurgique, avait été transféré du système économique allemand au système économique français, créant de part et d'autre des déséquilibres. De plus, l'Europe entière attendait de voir comment Français et Allemands trouveraient un "modus vivendi" économico-commercial pour s'en inspirer et ramener une paix économique et commerciale sur le continent.

Or, l'historien est contraint de constater que, si le négociateur allemand vint bien à Paris au 1er Octobre 1924, ainsi qu'il s'y était engagé à Londres deux mois plus tôt, il fit traîner les choses en longueur de telle sorte que l'on parvint à l'échéance du 10 janvier 1925 sans qu'aucun accord ait été conclu. La négociation franco-allemande s'était heurtée à une difficulté majeure d'ordre commercial: les Allemands exigeaient que leur soit reconnu ce que l'on appelle en termes de droit international "la clause de la nation la plus favorisée", ce que le négociateur français n'était pas prêt à accorder, du moins pas encore.

Pour commercial qu'ait été le différend, la dimension politique de l'affaire était manifeste. Le 10 janvier 1925, en vertu même des stipulations du traité de Versailles, toutes les clauses du traité, qui établissait au détriment de l'Allemagne un statut provisoire et inégalitaire de cinq ans devinrent caduques. L'Allemagne retrouvait sa liberté de manoeuvre, sans s'être liée à l'égard de la France sur quelque point que ce soit du domaine économique et commercial. La négociation franco-allemande devrait désormais se dérouler entre partenaires juridiquement égaux, et de poids économiques différents. Dans l'immédiat, en janvier 1925, il s'établissait entre la France et l'Allemagne une situation que l'on peut sans excès qualifier de "sauvage".

Situation "sauvage" défavorable à la France: le mark était stabilisé (à la parité or du 1er août 1914!), ce qui faisait affluer les crédits américains en Allemagne, redonnant toute sa puissance à l'industrie allemande; la France était en pleine inflation, endettée, et les Américains exigeaient d'elle la reconnaissance et le paiement de sa dette. D'autre part, dans les affaires militaires, on ne débouchait pas non plus. Les Alliés, constatant les insuffisances allemandes dans le domaine du désarmenent, n'ont pas évacué la zone de Cologne, elle aussi prévue pour le 10 janvier 1925. Bref, autour de cette échéance, le climat des relations franco-allemandes était très mauvais. Edouard Herriot, alors Président du Conseil à Paris, et qui avait lancé en 1924 la nouvelle politique de détente et de négociation avec l'Allemagne, se trouvait presque devant un constat d'échec; il devait démissionner trois mois plus tard, en avril 1925, entre les deux tours de l'élection à la Présidence du Reich du maréchal Hindenburg, l'ancien commandant en chef de la Grande Guerre. Pour ma part - c'est mon interprétation personnelle - Herriot, qui par ailleurs était pressé par toutes sortes de difficultés, notamment financières, a voulu partir: l'évolution de l'Allemagne n'était pas celle qu'il avait espéré.

C'est alors que Briand revint.

Au cours des années précédentes, Briand avait été plus ou moins laissé de côté par les maîtres de la politique française d'alors. A l'automne 1924, il était revenu aux affaires quand Herriot l'avait nommé Délégué de la France à la Société des Nations à Genève. Il y fut mêlé à l'affaire du "Protocole de Genève", le triptyque "Arbitrage, Sécurité, Désarmenent". Dans l'hiver 1924-1925, du poste d'observation sans égal qu'était Genève, Briand a regardé, médité, réfléchi, et ce fut sans doute là qu'il imagina ce qui allait devenir, du côté français, Locarno.

Dans les accords de Locarno il n'est pas question d'"Europe"; le mot "européen" n'y apparaît pas. Je n'en pense pas moins qu'en engageant la diplomatie française dans ce qui allait devenir Locarno, Briand était conduit par une idée "européenne". L'ancien chef de guerre de la France de 1915-1917 en était venu à penser que le problème majeur de la politique extérieure française n'était plus l'affrontement franco-allemand; cela ne voulait pas dire pour Briand qu'il n'y avait plus de problèmes à régler entre la France et l'Allemagne, bien loin de là: l'essentiel, c'était la décadence de l'Europe en général, des pays européens, devant la montée américaine, la montée japonaise et tout ce qui se passait en Union Soviétique. Je situe vers 1921 cette "conversion" de Briand dans sa vue de la situation internationale, plus précisemment à l'automne 1921, à la Conférence de Washington. Il y eut en effet en novembre 1921 à Washington une conférence internationale sur la question des armements navals. Briand, alors Président du Conseil, y était allé personnellement à la tête de la délégation française; permettez-moi l'expression: à cette occasion, Briand "découvrit l'Amérique", son extraordinaire puissance et il pressentit son avenir; il fut aussi frappé par une sorte de "brutalité" américaine dans les façons de négocier et de mener les affaires; entre la France et l'Amérique il y avait l'immense problème des dettes, et les Américains n'étaient prêts à aucune concession.

Et il y avait aussi l'Union Soviétique, un autre facteur nouveau de la vie internationale qui inquiétait beaucoup Briand; le rapprochement germano-soviétique, marqué par l'accord de Rapallo de 1922, avait beaucoup inquiété les Français. Briand détestait ce qui était en train de se faire en Union Soviétique; pourtant il avait débuté dans la carrière politique à l'extrême-gauche, mais une extrême-gauche anarchiste et nous savons bien qu'il n'y a pas d'anticommunistes plus décidés que le anarchistes.

Telle est donc la nouvelle problématique internationale, je dirais même mondiale, que Briand fit sienne au cours des années 1922,1923, 1924, alors que la semi-retraite politique, à laquelle il était contraint, lui laissait le loisir de la réflexion.

Il était dès alors décidé, s'il revenait au pouvoir - et il l'espérait bien - à reconstruire une Europe; non pas une Europe au sens fédéraliste du terme, ni même une Europe dans le genre de celle qui s'est bâtie après la seconde guerre mondiale. Il songeait en fait à la renaissance du "concert européen" par le retour à des relations harmonieuses entre les trois puissances décisives de l'Europe: la France, la Grande-Bretagne et l' Allemagne.

La France avait alors - nous somme au printemps de 1925 lorsque se noue la négociation de Locarno - un système d'alliances sur le continent européen, avec la Belgique, la Pologne et la Tschéchoslovaquie: c'étaient là les amis traditionnels de la France. Mais Briand estimait que les alliances de la France avec de petits pays, souvent mal stabilisés, pouvaient être source de difficultés, causer plus de faiblesses que de forces, et qu'en tous cas, elles n'apportaient pas un véritable ordre européen.

En revenant aux affaires en avril 1925 après le départ d'Edouard Herriot, Aristide Briand trouvait donc, comme on l'a vu, une situation bloquée: le problème de l'évacuation de la zone de Cologne n'était toujours pas réglé, et c'était une pomme de discorde entre l'Allemagne et les Alliés; la difficile et si importante négociation commerciale franco-allemande n'était pas seulement dans l'impasse: en mars 1925, constatant l'ampleur des désaccords et l'impossibilité de les dépasser, les délégations française et allemande avaient décidé de se séparer et d'arrêter la négociation; on était donc non seulement sans traité, mais aussi sans négociation. Et l'historien constate que la négociation commerciale franco-allemande ne devrait reprendre qu'en décembre 1925, c'est-à-dire après la conclusion des accords de Locarno en octobre et leur signature à Londres le 1er décembre. Il devait en être de même de l' évacuation par les Alliés de la zone de Cologne. Entre ces divers évènements les relations ne furent pas fortuites.

En arrivant au Quai d'Orsay en avril 1925, dans la situation internationale que l'on vient de rappeler, Briand trouva sur son bureau la proposition allemande de Pacte rhénan et les prénégociations germano-anglaises que Madame Steinert a magistralement présentées dans son exposé, et sur lesquelles je n'ai donc pas à revenir. Du côté français, il n'y avait encore aucune prise de position officielle apportant une réponse claire à la proposition allemande.

Dans un premier temps, en mai-juin 1925, Briand chercha à rétablir un front franco-anglais par des négociations d'experts et à l'occasion de conversations privées, avec un partenaire privilégié: Austen Chamberlain. On peut estimer qu'au début de l'été 1925 Français et Anglais, après plusieurs et difficiles conversations, étaient tombés d'accord sur la réponse à faire aux Allemands: sur quels points pourrait-on leur dire "oui"; sur quels points devrait-on leur dire "non". Le 16 juin 1925, la France notifia officiellement à l'Allemagne qu'elle entendait donner suite à sa proposition de Pacte.

La délégation française à
Locarno. Oswald Hesnard quatrième à gauche.
Le 15 septembre, après toute une élaboration à l'intérieur des machines politiques et diplomatiques, Stresemann était invité à venir à cette conférence que l'on avait décidé de tenir en un lieu neutre. Toute de suite, bien sûr, l'on avait pensé à la Suisse; Lausanne fut d'abord retenue; puis, pour des raisons où le charme des lieux et des motifs personnels jouèrent peut-être quelque rôle, l'on se fixa sur Locarno.
Le 5 octobre 1925 donc, la Conférence s'ouvrait à Locarno, au "Pretorio". Pour m'en tenir ici à Aristide Briand, mon sentiment est que son rôle personnel, pendant la Conférence, fut encore décisif. Certes, au cours des mois précédents, la Conférence avait été très soigneusement préparée entre Anglais, Français et Belges; on avait eu aussi des conversations, souvent difficiles, avec les Allemands. Il n'en reste pas moins, à mon avis, que rien n'était définitivement acquis au moment où la Conférence s'ouvrit: entre les positions des Alliés et celles des Allemands il y avait encore bien du chemin à parcourir, ce qui devait contraindre encore à de difficiles négociations. Pour résumer: les accords que l'on allait conclure à l'issue de la Conférence pourraient-ils déboucher sur une révision des traités de 1919 ou devaient-ils consolider la situation internationale crée par ces traités? Là était le véritable enjeu.
Délégation française.
Oswald Hesnard derrière Aristide Briand
Briand, von Schubert,
Stresemann, Oswald Hesnard
Pendant la Conférence, et parallèlement à la négociation officielle qui se déroulait au "Pretorio", Briand, faisant appel à toute son habileté de négociateur, mena des conversations informelles avec ses partenaires allemands, le Chancelier Luther et Gustav Stresemann, avec l'aide du Professeur Hesnard, germaniste français, qui était son interprète et son confident. Ces conversations privées, à mon sens, furent décisives pour surmonter les obstacles qui séparaient encore les Allemands des Alliés.
Oswald Hesnard

Briand s'attacha d'abord à convaincre le Chancelier Luther, qui d'ailleurs était le chef de la délégation allemande. Dès le début de la Conférence, il l'invita dans une auberge d'Ascona, l'"Albergo Elvezia"; là, autour d'une table, sans collaborateurs et à l'abri des journalistes, Briand, selon une méthode qu'il affectionnait, s'entretint longtemps avec le chancelier allemand; il employa le mot "européen":

"Monsieur le Chancelier, vous êtres Allemand, donc un Européen; moi, un Français, donc un Européen; eh bien, pourquoi ne parlerions-nous pas européen?"

A la fin de cette conversation, ils s'appelaient "mon cher ami". Une grande partie du chemin qu'il restait à parcourir était faite, mieux et plus rapidement que l'on eût pu le faire dans des séances officielles, au milieu de tout l'appareil des diverses délégations.

Sur la rive du Lac Majeur.
Oswald Hesnard au centre
Une autre conversation, restée célèbre, fut celle du 10 octobre. C'était ce jour-là l'anniversaire de Madame Chamberlain, l'épouse du chef de la délégation anglaise. En son honneur, ces messieurs décidèrent galamment d'organiser une excursion en bateau sur le Lac Majeur. Le bateau s'appelait la "Fleur d'oranger" ("Fiori d'arancio"). On a gardé de cette "partie" d'extraordinaires photographies.
Oswald Hesnard 3ième à gauche, Stresemann assis, premier
à droite

Durant la promenade dans ce cadre enchanteur, Briand, qui pensait avoir convaincu Luther quelques jours plus tôt sous la treille de l'"Albergo Elvezia", s'attaqua à convaincre Stresemann.

Bref, les points de vue se rapprochèrent, si bien que, quelques jours plus tard, les alliés et amis italiens, belges, polonais et tchécoslovaques ayant rejoint la Conférence, l'on put parvenir à un paraphe général des accords, dont l'annonce suscita la liesse de la population de Locarno, et dans le monde entier, une immense espérance.

Malheureusement, et nous le savons bien, la paix n'est pas sortie durablement de l'oeuvre de Locarno. Faut-il pour autant sous-estimer la valeur de ce qui a été tenté à Locarno, non seulement tenté, mais fait, ici, en octobre 1925?

Pour préparer cet exposé, je me suis à nouveau plongé dans les archives, et j'ai été amené à constater qu'avant la Conférence de Locarno il y avait eu un travail diplomatique considérable, au sens le plus fort et le plus noble du mot "diplomatique", et que ce travail diplomatique intense s'est poursuivi tout au long de la Conférence. Rien ne serait plus erroné que de penser qu'ici, à Locarno, l'on se serait retrouvé pour des embrassades pacifistes. Oui, l'on s'est promené sur le lac; l'on s'est retrouvé sous une tonnelle pour boire un verre. Mais l'on a négocié; la négociation fut difficile et elle fut réussie. Un très grand pas en avant avait été fait en direction de la Paix, même si d'autres pas restaient encore à faire.

On ne peut pas reprocher aux artisans des accords de Locarno de ne pas avoir été plus loin que ce que la situation de 1925 permettait; on ne peut surtout pas leur reprocher ce qui devait advenir par la suite, dont ils ne portent pas la responsabilité: la mort trop précoce de Stresemann, la crise, la montée du nazisme et toutes leurs conséquences.

Sans ces malheurs inattendus, l'oeuvre de Locarno aurait-elle porté les fruits que l'on espérait?

L'histoire ne s'écrit pas au conditonnel, mais je suis frappé, comme Madame Steinert, de constater que bien des problèmes qui ont trouvé des solutions heureuses, et durablement heureuses, après la seconde guerre mondiale, étaient déjà les problèmes auxquels les hommes d'Etat réunis à Locarno en octobre 1925 avaient alors pensé et auxquels ils espéraient avoir apporté un début de solution.

"Pacta sunt servanda". Ce n'est pas tout de faire du bon travail diplomatique et de conclure de bons accords. Les documents que l'on signe engagent. Le drame, nous le savons bien, ce fut le 7 mars 1936, lorsque Hitler, remilitarisant la Rhénanie, déchira les accords de Locarno, et que les signataires d'octobre 1925, ou leurs successuers, oublièrent leurs signatures en ne réagissant pas, alors qu'ils avaient le droit de réagir, et qu'ils en avaient même le devoir pour la sauvegarde de la Paix.

Il serait injuste de faire porter aux hommes de 1925 et à leur oeuvre les responsabilités qui furent celles des hommes de 1936. L'oeuvre de Locarno reste à juste titre dans la mémoire des Hommes comme l'effort le plus sérieux, après la Grande Guerre, pour construire la Paix. C'est l'honneur de votre Cité d'en avoir offert le cadre.

 

 

Version : 06.02.2005 - Contents : Marzina Bernez-Hesnard

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