Journal de Ploërmel du 3 octobre 1909 – page 2 - Article sur la Guerre de Sébastopol

Les vieux de "Sébasto"

Ils ne sont pas morts, puisqu'ils vivent et on en signale toujours de droite et de gauche, de ces vieux "Père-La-Victoire" de Sébastopol. Nous lisons dans l'Ouest-Eclair, les récits de deux survivants, dont M. Hesnard de Pontivy. Il était aussi à Sébastopol.

M. Hesnard conducteur des Ponts et Chaussées en retraite, est bien connu à Pontivy, mais peu de personnes savent qu'il a 73 ans, et qu'il était en 1855 à Sébastopol. Je l'ai trouvé au retour d'une promenade de 15 kilomètres. Voyez qu'il est encore alerte - et tout en me disant combien il était heureux de lire chaque jour dans "l'Ouest-Eclair", les souvenirs des vieux combattants de Crimée,

Il m'a narré les siens.

Pendant 7 mois, il resta sous les murs de Sébastopol. "Mal nourris, nous mangions souvent de la viande de cheval et des morceaux de lard pourris, mais nous ne nous fassions pas trop de chagrin, dévorés par les poux, les soldats français restaient joyeux quand même. Et pourtant la vie n'était pas douce."

Le 26 mai 1855, dans la nuit M. Hesnard était occupé à l'ouverture d'une tranchée ; il piochait et un camarade rejetait la terre avec une pelle. A un certain moment, M. Hesnard s'assit au bord de la tranchée ; une balle russe vint le frapper à la tête près de la tempe; ses compagnons s'empressèrent. Le sang qui s'échappait de sa blessure coulait sur son bras et croyant ce membre blessé ses camarades lui enveloppèrent le bras de linges et le voyant évanoui, le mirent sur une civière ; On l'emporta, mais une bombe ayant éclaté auprès d'eux, les porteurs lâchèrent leur fardeau. Enfin au petit matin M. Hesnard se retrouva au "clocheton" sous la pluie, au milieu de nombreux morts et blessés.

Quand il revint à lui , on procédait au "triage" : les morts étaient jetés dans une grande fosse ; les blessés qui "donnaient encore signe de vie" étaient dirigés sur l'ambulance. Là, M. Hesnard attendit le médecin ; mais le deuxième jour, il se rendit au camp pour régler ses comptes et remettre à son chef 80 francs qui appartenaient à la Compagnie.

En revenant à l'ambulance, il s'évanouit et un caporal du 28° Régiment accompagné d'un homme de corvée, l'aida à regagner sa couche.

Le quatrième jour, M. Hesnard fit remarquer à l'un des médecins qu'il avait un morceau de fer dans la bouche. C'était la balle qui l'avait frappé. Elle avait d'abord touché une pierre puis par ricochet avait atteint M. Hesnard; si elle l'eut frappé directement, il eut été tué.

Le médecin le renvoya au docteur chargé du pansement, mais au pansement, seuls vinrent les infirmiers.

Ayant tout de même réussi à rencontrer le médecin, il put faire extraire la balle. Le docteur lui dit, après l'opération: Mon ami, vous pouvez expédier "cela" à vos parents en leur disant de "la" faire encadrer, car c'est une balle qui vous coûte cher!.

M. Hesnard vit en effet sa carrière brisée. Il ne put continuer la campagne, alors qu'il allait être nommé sergent. Il rentra en France et fut réformé, avec pension à Tours.

Rentré dans l' Administration des Ponts-et-Chaussées, M. Hesnard y a fourni une laborieuse carrière.

Il a été décoré de la Médaille de Crimée, et, sur ses états de service qu'il conserve précieusement - ainsi que la balle qui l'a frappé –




Arbre Hesnard




Marzina Bernez