Index Léon Bernard

ÉCRIT AU CRAYON - (Note M.B.)

Paquebot “Southland” 8/8/1918

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Je suis rentré hier soir de Baltimore, et je comptais avant de me coucher écrire ... car je savais bien que la valise partait aujourd’hui; mais à mon grand désespoir je n’ai pas pu combattre le sommeil; il est vrai que la journée a été assez fatiguante car il faisait horriblement chaud, je ne me souviens pas avoir eu si chaud, près de 45°, c’est gentil. Je n’ai pas voulu laisser partir le courrier rapide sans envoyer de bons bruits à ...e. Cet après-midi, nous revenons au bureau, une dépêche nous annonçant l’arrivé de l’Antoinette à Norfolk, Mr N.l me dit, vous savez ce qu’il vous reste à faire? J’ai compris facilement et je n’ai eu que le temps de faire mon petit baluchon pour sauter dans le steamer; dans ma précipitation j’ai laissé mon stylo; j’irai bien écrire dans le salon, mais il fait chaud; je préfère être à la fenêtre de ma cabine; il fait tellement bon sur l’eau; et puis côté de ma porte se trouve un piano et les passagères jouent quelques petites fantaisies. Vous pouvez voir que de tels voyages en Amérique ne sont pas du tout fatiguants et malgré un déplacement de nuit, on est d’attaque pour travailler toute la journée.

J’ai reçu toutes vos lettres jusqu’au 20 juillet (sauf celles entre le 17 et 19 juillet, elles devaient parler de votre départ de Paris et de votre arrivée au T. ...

J’interromps un instant ma lettre pour entendre jouer Carmen; car il est assez rare d’entendre un opéra français en Amérique.

Les mois d’Août et de Septembre seront assez chargés car pour mon service de voiliers je suis seul et j’attends dans un ou 2 mois deux capitaines au ?? (L.B.??) qui s’occuperont principalement des ports; j’aurai donc la direction à W. ce qui ne m’empêchera pas de voyager un peu.

Pour le moment je fréquente les mêmes points, et dans les envois de cartes postales, il arrivera qu’il y en aura qui feront double emploi.

Quoique bien éloigné, je suis continuellement avec ma famille ... M. doit être encore dans tous ses états; le pauvre G.n doit regagner son service, le congé quoique de 20 jours a été bien vite passé et la séparation est d’autant plus pénible que le séjour a été plus long; ça a été comme cela pour nous, mais maintenant nous ne regrettons pas d’avoir passé un bon mois. Quand cette lettre vous parviendra il y aura 3 mois que nous nous sommes quittés; le temps passe, il faut être très patient, ....

Ma lettre a tellement été écrite au galop que j’ai oublié de vous dire que mon ami T. venait de mourir subitement; pensez si j’ai été surpris quand un de ses amis à N.Y. m’a télégraphié cette nouvelle; sa femme si jeune doit être bien affligée; je vais lui écrire un petit mot à mon retour à W.; vos commissions resteront à Bordeaux; c’est une petite affaire, n’est-ce-pas. Je regrette vivement mon camarade T. que je comptais voir à la fin du mois à N.Y., ami que j’ai été très heureux de rencontrer en venant ici, et qui si gentiment s’était offert pour faire mes petites commissions.

Je ne connaissais pas cette nouvelle maladie, la grippe espagnole; je vois quoique n’étant pas grave, que c’est très contagieux; le bord de la mer va chasser tout cela. Vous me demandez si ma santé est bonne, je ne puis vous répondre qu’un seul mot “excellente”.

Merci de vos bons conseils pour la glace; je puis vous assurez que je n’en abuse pas; par ces temps de chaleur on est obligé d’en user car toutes les boissons seraient inbuvables; après chaque repas je prends quelque chose de chaud, cela fait une juste compensation.

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Mes lettres partent ce soir à Norfolk et ensuite à Tacoma près de l’Ile Vancouver (4 j ½ de train) j’ai été heureux de causer avec un ami nantais qui très gentiment avait été à la maison s’inquiéter si ma maman n’avait pas de commissions pour moi. La demoiselle est bien aimable; le départ pour la côte Ouest ne l'a pas fait sourire; je lui est demandé d’écrire à ma maman pour lui donner quelques détails sur mon existence à W. et sur ma santé.

... Pour ne pas passer pour un embarqué yankee, je porte les deux rubans, Croix de Guerre + blessure, j’espère que ma maman sera satisfaite.

Miss Scott ne me fera pas de gros yeux, cette semaine, et pour cause, étant en route je ne puis prendre mes leçons; ceci à mon grand regret.

Dans mes premières lettres, je vous disais que j’irai toutes les semaines à N.Y., le programme est changé, ce service sera confié à un collègue attendu à W.; pour moi ce service m’appelle à l’heure présente à Norfolk et Baltimore, cela s’étendra petit à petit suivant les ports que fréquentent les voiliers.

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Le pauvre papa toujours à l’attache, il ne connait pas beaucoup les congés; vivement la fin de cette guerre, pour que tout le monde puisse respirer librement, et prendre en famille de bonnes petites vacances.

Merci beaucoup des compliments de Mr & Mme F., je leur enverrai une carte sans doute de Norfolk ce soir; ma grande distraction à Norfolk, c’est d’envoyer des cartes à mes amis cela me fait passer la soirée.

Et P., pas de congé cette année, il est toujours à Sarthonay, il est certain qu’à manoeuvrer il doit faire chaud, je connais un peu cela, dans mon service actif, nous commençions la journée de très bonne heure et vers 9 ½ le matin l’exercice était terminé, l’après-midi sieste; j’espère qu’ils font toujours de même. Ce doit être à peu près l’époque où la jeune classe se rapproche du front pour y passer l’hiver; je puis vous assurer que pendant cette période à l’arrière du front les jeunes poilus sont plus heureux qu’à l’intérieur; avec ce qui se passe à l’heure actuelle, j’ai le ferme espoir que la guerre sera terminée cette année, et ce cher P. n’aura pas à goûter la première ligne.

...le temps passe ...e, il faut vivre un peu en philosophe et surtout “ne pas s’en faire” comme dit le poilu.

Les petits voyages à St Germain marchent de temps en temps; vous allez les reprendre à votre retour du T.; ...

Mon cousin Joseph va vous rendre des petites visites; il est votre voisin s’il est au Mont Valérien; à votre retour du T., il aura certainement rejoint le front; vous avez du apprendre que mon oncle s’était blessé assez sérieusement en tombant d’une échelle; il est mieux maintenant; ce n’est pas de chance vraiment, mon cousin Léon étant amputé; cela doit le gêner bougrement pour faire marcher l’usine.

Paquebot “Southland” 8/8/1918





Machine à écrire sur même feuille - (Note M.B.)

Norfolk, le 11 aout 1918

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Je comptais rester a Norfolk, deux jours, mais voila qu’hier m’est arrive le „Montmorency”, je vais etre obligé de rester jusqu’a lundi soir et encore je n’aurai pas terminé, il faudra que je revienne la semaine prochaine, je pars lundi soir car Mr. N. m’appelle a Washington.

Depuis huit jours je puis dire que je roule, et encore dans ce Norfolk, pour aller a bord des navires il me faut ½ heure d’auto.

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(trois uniques fautes de frappe: un “q” visiblement sur un “a”: Il était habitué au clavier français)(Note M.B.)



Aujourd’hui je suis invité à déjeuner à bord du Montmorency. Grand tralala.

URL http://bernard.hesnard.free.fr/LeonBernard/Guerre14_18/Tardieu1918_08_08.html