Lettre à son père
Dakar, 1er février 1941
Chers Parents,
Je reçois à l’instant vos lettres du 23 Janvier. Neuf jours pour
Nantes-Dakar en ce moment c’est un record !
Cette lettre sera suivie d’un silence assez long (2 mois peut-être plus). Ne vous inquiétez pas,
je puis seulement vous dire que je suis très content.
Vous avez du remarquer ces temps derniers des irrégularités dans l’arrivée des
cartes familiales. Ne vous en étonnez pas. J’ai reçu plus de la moitié des cartes
que j’avais envoyées. La censure n’a pas molli; tout le monde est dans mon
cas. Pourtant j’avais strictement appliqué les règles. Je ne puis d’ailleurs en envoyer à d’autres
membres de la famille. Le nombre de cartes dont nous disposons est
limité, et puis, on y met si peu de choses que cela n’aurait aucun intérêt. Transmettez
de mes nouvelles à toute la famille en particulier à cette pauvre
tante Juliette à laquelle je pense souvent, et aussi à Mmes Angles
Je remercie beaucoup papa de se donner du mal pour mes vêtements. Les « combines »
qu’il a trouvées sont vraiment magnifiques. Malheureusement je crois que je serai parti avant
d’avoir pu recevoir la mallette en fer de Casa. Tant pis, elle sera bien
accueillie dans deux mois.
Les friandises apportées à Madame Beaussart par le
Maurice Delmas sont arrivées à bon port ainsi
que les biscuits. Madame Beaussart a l’intention de vous écrire. Elle m’a
chargé de vous remercier vivement en attendant. Merci aussi des biscuits que
vous m’avez envoyés. Je les utilise pour la plus grande gloire de la cité nantaise
et je vous prie de croire que tous les membres du carré y font honneur.
Je tacherai de donner à Bot et à Poitevin frères les
adresses des correspondants que j’utilise pour qu’ils puissent vous envoyer
leur courrier. Vous changerez les enveloppes à Nantes.
Papa me dit qu’il ne peut prendre Radio-Dakar. Voici les heures d’émission.
12h15 et 19h15 (heure de Dakar) c’est à dire 13h15 et 20h15 GMT. Longueurs d’ondes : 31m,88 et
46m,62.
J’écoute souvent chez Monsieur Beaussart, l’émission en français de la
« New York Broadcasting Corporation » à 20h GMT. C’est parfois un peu
tendancieux mais pas trop.
A propos qu’a-t-on dit en France de la bataille de Goh-Chang.
Il me semble qu’une fois de plus la Marine a montré qu’elle était là.
Sans cette bonne pillule infligée au Siam, nous perdions peut-être une partie
du Cambodge. J’aurais bien voulu partir pour l’Indochine,
pour continuer un peu ces escarmouches. Mais cela a l’air de se tasser.
A bord tout va toujours très bien. Depuis aujourd’hui, je suis au service Artillerie
Armée-Sous-Marines-Electricité. J’ai toujours mes canons de 37.
J’aime de plus en plus mon métier.
Je n’ai à ce propos, pas un instant compris Rogeon. Pourquoi abandonner la
Baille, alors qu’il était bien classé à Ginette. Pourquoi
ne pas tenter sa chance puisqu’un concours d’entrée à l’Ecole Navale est
rétabli : Je ne comprends vraiment pas. S’enfermer 7 ans et tourner les pages de bouquins pour
faire un médecin ne doit pas être bien intéressant. Tandis que s’il entrait à la Baille,
dans deux ou trois ans il serait midship. Eng...lez le bien de la
part de son ex futur-père.
J’ai pris contact avec les Commandants de bateaux Delmas Medjerda et surtout
Agen. J’ai diné sur l’Agen il y a une quinzaine. Comme ce
bateau part pour Bordeaux, j’ai mis à bord trois barres de savon,
en demandant au capitaine Le Biboul de les confier à
Monsieur Métayer. J’y ai joint une lettre pour ce dernier, en lui demandant d’accepter
l’une des barres (je ne pouvais agir autrement). Je pense que papa aura bien le moyen de faire
venir les 10 kilogs restants de Bordeaux à
Nantes. Je vous en enverrai d’autre lorsque je le pourrai. Aujourd’hui j’avais une foule
de choses à faire. Aussi je n’ai pas pu m’arranger pour vous en envoyer plus. (Il y a toujours des
histoires de douane, papa sait
ce que c’est).
Je ne vous ai pas dit qu’au cours de mes pérégrinations sur la côte d’Afrique,
j’ai touché une fois Port-Etienne, c’est un joli bled. Quelques maisons,
des établissement militaires et une société de pêcheries. Au milieu de tout cela quelques tentes
maures. Nous y sommes arrivés au matin et nous sommes repartis le soir. A déjeuner nous avions
toutes les personnalités de Port-Etienne (les officiers, l’administrateur, un
ingénieur des T.P.). Ils nous ont offert le pot à la Résidence l’après-midi,
contents d’avoir une distraction de choix.
Comment cela va-t-il actuellement en France occupée ? Ce ne doit pas être
bien rose. En attendant les Italiens prennent piquette sur piquette et le jour
n’est pas loin où les troupes françaises les désarmeront à Gabès
ou à Djibouti.
Les Allemands et les Anglais ont l’air de faire une
petite pause.
J’ai vu au cinéma à Dakar des actualités venant de France
et du début de Janvier. J’ai été étonné de voir tant de neige. Ici il fait toujours une
température idéale en ce moment. Quelques vagues de chaleur commencent à se manifester de temps en
temps.
Merci de m’avoir envoyé la copie de la lettre de Delin. C’est parfaitement
correct. Pour le règlement je vous enverrai cela plus tard. En ce moment je n’ai pas le temps (nous
serons peut-être partis demain). J’ai touché une première mise d’équipement à Casablanca
fin août. D’autre part ma solde me permet cela. Je ne regrette qu’une chose : C’est de
ne pas avoir commandé plus à Delin. Les tissus vont devenir rares.
Je ne puis signaler mes mouvements à Mr. Roy. D’ailleurs je ne les connais
que rarement à l’avance. Nous prenons les précautions de temps de guerre
ici.
J’espère que vous êtes tous en bonne santé. Bon courage à tous. Bonjour aux amis (MM
Eysac, Maissiat etc). Je vous embrasse fort.
votre midship,
Paul
Version : 20.06.2005 - Contents : Martine Bernard-Hesnard
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