Enseigne de Vaisseau Paul Bernard

Correspondance de guerre

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Dakar, le 1 Mars 1941

Chers Parents,

Je suis arrivé de Conakry (Guinée) vendredi matin. Je repars demain pour Port-Etienne (où je suis déjà allé en janvier).

Voyage très intéressant à Conakry. Cette coquette petite ville est noyée dans la verdure. Formée d'avenues et de boulevards qui se coupent à angles droits, agrémentée de quelques jolis squares avec des fontaines faisant jaillir une eau claire et fraîche, elle donne la meilleure impression. Conakry est construite à l'extrémité d'une presqu'île reliée à la terre par une digue. Une belle corniche la borde. Au large se détachent les îles de Los (restes d'un ancien cratère). Ces îles sont très belles. Assez hautes (point culminant 169 m), elles sont couvertes de bois. C'est dans l'île de Tamara que se trouve d'ailleurs le bagne de l'A.O.F. (heureux forçats!)

Les gens sont très sympathiques à Conakry. Les indigènes (de race Soussou) ont les traits beaucoup plus fins que les Sénégalais. Les jeunes femmes sont même assez jolies.

A Conakry les fruits abondent. C'est fou ce que nous avons pu manger d'oranges, d'ananas, de mangues, de caramboles, de noix de coco, de bananes. Sans se donner la peine de discuter une seconde les prix on a trois beaux ananas pour 5 francs, un régime de bananes pour le même prix, un immense panier d'oranges pour 40 francs.

La saison chaude est commencée à Conakry qui est par 90 de latitude. La chaleur en fin février est comparable à celle de juillet à Dakar heureusement qu'il y a de la verdure pour donner de la fraìcheur.

Mon bateau a escorté en descendant Poitevin et Bot qui sont là-bas pour quelques semaines (les veinards).

J'espère bien redescendre dans cette région. Dommage d'ailleurs qu'il soit malaisé de visiter l'intérieur de ces pays. On méconnait trop souvent dans la métropole le charme de ces colonies africaines. On ne se rend pas toujours suffisament compte que les soldats qui ont donné ces territoires à la France lui ont rendu un immense service.

Je me suis toujours intéressé à la géographie. Néanmoins voir ces contrées de l'A.O.F. a été une révélation pour moi. Je ne saurais trop vous encourager à faire parmi vous de la propagande pour ces colonies qui, on doit bien s'en rendre compte actuellement, sont d'un intérêt vital pour la métropole.

Bein reçu la lettre du 26/2 de Monsieur Samzun, ainsi que la votre du 11/1 (succédant à celles du 23 et du 18/1).

Je m'occupe de la préparation d'une expédition de savon et de café à Monsieur Chartres par un bateau Delmas. Je tâcherai d'envoyer dans une huitaine de jours 10 kilogs de café et 5 ou 6 barres de savon. Ces denrées ne manquent pas ici, mais on a quelques embêtements avec les gabelous. Il faut construire soigneusement ses plans à l'avance.

Désolé d'apprendre que Mémère s'est gravement blessée. J'espère qu'elle est maintenant rétablie.

Comment vont Tante Juliette et Tante Richeux ?Monsieur Samzun me dit que tante a eu quelques ennuis du côté du coeur. J'espère que cela ne sera rien, car cette pauvre tante a déjà bien assez souffert depuis deux ans.

Ce n'est pas sans une grande peine que je verrai passer demain la date du 2 mars. Loin de vous tous j'ai toujours de la peine à me faire à l'idée que je ne reverrai plus mon cher tonton. Je pense que vous aurez bien fleuri sa tombe pour moi demain.

Comment allez-vous à la Fraternité? La grippe hivernale vous a-t-elle épargnés? Mangez-vous à votre faim à Nantes? Les restrictions ne sont-elles pas trop sévères?

D'après ce qu'on entend ici des gens venant de France, le ravitaillement de certaines villes de France et surtout de Paris est terriblement difficile. Il y aurait parait-il des tickets de rutabagas à Paris ! et les Boches se promèneraient pendant ce temps sur les grands Boulevards avec leur Gretchen. J'espère bien que nous aurons notre revanche et qu'à ce moment-là les les Allemands n'auront pas besoin de donner des tickets pour recevoir des coups de pied quelque part.

D'ailleurs les gens ont parfaitement compris. Même ici où on a senti le souffle des 380 anglais, on espère vivement la victoire des Britanniques.

Tout va bien à bord. La vie y est toujours régulière. Tout le monde se porte bien.

Je vous envoie mes meilleurs baisers à tous,

Votre midship

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Sur la même lettre, mais d'une autre main.

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Vous nous excuserez l'indiscrétion mais obligatoire; nous vous espérons en bonne santé tous et vous adressons nos bonnes amitiés espérant vous voir bientôt.

Voulez-vous passer cette lettre à Paul; (ne peut être qu'un autre PAUL que mon père) combien il doit être heureux! Une fille

Nos bonnes pensées à tous.

 

 

Version : 19.12.2007 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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