Lettre de Dakar à ses parents
| Croiseur auxiliaire «Bougainville» |
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Bord, le 16/2
-1942 |
Chers Parents,
Je suis toujours en excellente santé. Tout va bien. Moral: 21/20 – Je suis très heureux de mon
sort, ayant une vie parfaitement antibourgeoise, c’est à dire pleine d’imprévus.
Si je suis peu loquace, je n’y puis rien. A l’abri de tout soupçon, je profite avec délices du
répit qui m’est justement accordé.
Cela ne m’empêche pas de penser souvent à vous ainsi qu’à tous les membres de la famille et à
tous les amis. Dites-le leur bien.
Je ne sais actuellement à peu près rien de ce qui se passe en France, en
Russie, en Lybie, au Pérou, etc. Peu
m’importe d’ailleurs.
Nous naviguons pavillon haut et notre devise pourrait être: «En
avant, que les importuns s’écartent». Le reste, nous nous en moquons totalement.
Monsieur l’ingénieur mécanicien Kerveny recevra, du moins je l’espère, d’ici
quelques mois une caisse. Je ne pourrais pas l’en aviser moi-même. Il s’agit de
ravitaillement. L’adresse est libellée ainsi:
Exp. P. Bernard à confier à Mr l’I.M. Kerveny
«Strasbourg».
Envoyez-moi, si vous en avez l’occasion les pointures de membres de la famille. Certains
pourraient peut-être préférer une bonne paire de chaussures à la lettre
standard périodique, si chère à la génération de nos grand’mères.
J’ai modifié mon genre de beauté; à cet effet je me fais passer la tête à la tondeuse toutes les
3 semaines. C’est ultra-hygiénique. Cela facilite le démêlage. Certains collègues préfèrent se
faire raser complètement le crâne, ça fait aussi son petit effet, mais je réprouve ce procédé, car
j’aime qu’on me passe la main dans les cheveux. Pour que cela soit vraiment agréable, il faut
qu’une main délicate vous caresse les boucles à rebrousse poil et que la longueur moyenne des
mèches soit de 0millimètre,2 à 0mm,5 –
J’espère que le Français moyen commence à comprendre qu’on ne lui demande
qu’une chose: être bête et discipliné. Il faut qu’il se fourre dans le crâne qu’
on ne lui demande pas son avis. On travaille pour lui. Qu’il en soit persuadé et qu’il
nous laisse faire.
J’espère que toute la famille est en bonne santé. Embrassez tout le monde pour moi.
Je vous envoie mes plus affectueux baisers,
Paul
Version : 30.04.2005 - Contents : Martine Bernard-Hesnard
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