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La Clairière aux Digitales
Le crépuscule d'or diffuse doucement à travers la forêt. Ses rayons frôlent la cime des sapins, puis descendent lentement le long de leur tronc, comme pour une tendre caresse. La clairière n'est plus qu'une gigantesque enluminure. Des oiseaux fantastiques se balancent sur les basses branches, les lapins gris folâtrent dans l'herbe fraîche et parfumée, un jeune cerf guide les pas de son premier faon. Les digitales de pourpre sont autant de sceptres royaux, dressant leurs tiges d'or loin des herbes plus simples, dont l'ambition n'est que de nourrir humblement les habitants de la clairière . Le soir est venu avec sa tiédeur, avec sa paix. Comme chaque nuit, les lapins gris viendront danser sous les sapins, évitant soigneusement les digitales, ne leur faisant même pas l'honneur d'un coup de dent distrait. Comme chaque nuit, le faon s'endormira contre la biche blanche et les oiseaux berceront son sommeil. Comme chaque nuit, le cerf interrogera les étoiles…
Comme chaque nuit… Un lourd silence pèse sur la clairière.
L'heure est avancée. Le soleil a éteint ses flambeaux, la lune ne peut chauffer la clairière de sa lumière glacée. Des ombres noires se dessinent entre les sapins, inquiétant va-et-vient dont on ne devine encore le pourquoi. Mais les digitales, elles, ont compris et pointent leurs clochettes avec impatience. Un hibou ulule sinistrement, et vient se percher à la cime d'un sapin qui gémit. Puis l'on voit deux hiboux, trois hiboux, un peuple de hiboux venus de tous les arbres de la forêt et c'est bientôt un concert lugubre, magistralement exécuté par un orchestre de disques brillants et d'ailes battantes. Une ouverture solennelle! Les ombres sont maintenant dans la clairière. Un mouvement, quelques cris rauques; un feu jaillit, un feu qui ne se nourrit pas du bois odorant des sapins, mais de maléfices et de charmes, un feu qui brûle, mais ne réchauffe pas. Sa lumière haletante et diabolique accuse le relief décharné des vieilles : un front ridé et osseux, des yeux fulgurants, un nez crochu, une bouche ricanante par l'absence des dents. Des cheveux? Tout au plus quelques cordes noircies. La danse a commencé. Les sorcières tournent lentement autour du feu, marmonnant une sauvage litanie indistincte. Puis le mouvement s'accélère, le cercle va de plus en plus vite. Comme aspirées par cette ronde infernale, les digitales s'arrachent à leurs racines. Clochettes à clochettes, elles s'enivrent de ce mouvement qui les a délivrées, qui leur redonne la liberté des temps primitifs. Le ballet dure longtemps, rythmé par les hiboux. Le feu gémit, comme atteint d'une foudroyante douleur, puis se déchire enfin. Les feu-follets ont envahi la clairière . Le ciel est toujours limpide et sans nuages, et pourtant il n'y a plus d'étoiles. Mais elles n'ont pas disparu, les étoiles, attirées par le cercle magique, elles sont descendues dans les yeux des sorcières, captives, elles font scintiller la clairière de leur éclat vaincu et impuissant.
Avec le feu est morte la ronde. Tous,
feu-follets, sorcières et
digitales, sont maintenant dispersés dans la clairière. Mais le mouvement infernal reste en eux: ce ne sont que
tournoiements autour des sapins épouvantés,
éberlués de n'être pas dévorés par les feu-follets
, craintifs devant la nouvelle dignité des digitales
longtemps méprisées. Les hiboux sont silencieux, eux-aussi, mais ils
passent et repassent au-dessus de la clairière,
versant les eclairs de leurs yeux et le
bruit de leurs ailes, plus sinistre encore que leurs cris. En bas, des groupes se
forment, bondissent vers un sapin, le brûlent de
leurs étoiles, de leurs flammes dansantes et de leurs
pourpres, puis se défont, se refont. L'incohérence et l'exaltation la plus
complète se déversent à gros bouillons de la clairière
, comme une lave incandescente. Le tumulte
grandit, les digitales et les
Puis, peu à peu, tout se calme. Les hiboux partent les premiers, un à un,
comme à regret, les étoiles remontent dans le ciel,
où elle pâliront bientôt, les ombres s'évanouissent, les
L'aurore somptueuse illumine la forêt ; miracle
quotidien, toujours espéré, toujours attendu, et qui pourtant ne déçoit jamais. Mais ses
rayons d'or ne peuvent plus rendre la vie à la
clairière. Les sapins
brûlés,
roussis, n'auront plus la fierté de survivre à l'hiver. L'herbe jaunie sera dédaignée même par le jeune faon. Les digitales
épuisées, gorgées de danses et d'envoûtements, pendent, inertes, sur leurs tiges molles et
empoisonnées. L' herbe repoussera, les
sapins renaîtront, verts
et immuables. Mais les lapins gris ne
reviendront plus jamais dans la clairière.
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