La vie d'un capitaine "Albatros"
Poème de A.-M. Bidon, Capitaine au Long-Cours
A monsieur Bernard qui connut mon père aux "Voiliers Nantais"
Si peu riches sont mes vers en pieds et en césures
Du sentiment seul ils essaient de battre la mesure
En quinze ans de navigation son père,
Sans mettre jamais le sac à terre,
Fit sur le
brick "Marie Pauline"
Seulement trois voyages de Chine.
Il eut, rien d'étonnant
De ce
fait, trois enfants.
Petit-fils et fils de matelot
I
l rêvait de partir sur l'eau.
A dix ans l'école il
quitta
Pour aux poissons jeter l'appât.
Dans un doris au pied du Cap Fréhel,
Mais du grand large lui venait l'appel.
A douze ans avec le cap'taine Chrétien
Il débuta ce
vrai métier de chien.
Par brume et par glace, de la Manche à
la Baltique,
De ports en caps il acquit une solide pratique.
A seize ans pour raisons de santé,
La mort dans l'âme, la mer l'a rejeté.
De l'école
il gardait un bon souvenir
Aussi son maître vite l'y fit
revenir.
Sans honte, déjà un homme parmi les petits gars,
Un an après il obtint le certificat.
Puis, son sac sur l'épaule à babord,
Joyeux, il reprit la route du port.
Le métier dans
la peau, sans craindre sa peine,
A vingt ans il était second
capitaine,
A bord de l'"Espoir", joli brick-goélette
Dont je conserve pieusement la maquette.
Il fut exempt de service militaire
Sous le col bleu
était mort son frère.
Jusqu'à ving-quatre ans au cabotage
Il bourlingua, mais crû plus sage
De s'aventurer
matelot au long-cours
Pour, ensuite à Saint-Malo, suivre le
cours.
Dans les mers du sud doubla les trois caps
Et au large de Horn prit souvent la cape.
Il apprit le métier de vrai long-courrier,
A
coudre la toile, à serrer les huniers.
Bon gabier il acquit
une telle réputation
Que son cap'taine veilla à son
instruction.
Quand il eut de côté assez d'économies
A terre il entra à l'Ecole d'Hydrographie.
Reçu théorie et pratique, maintenant
Le sort
l'envoie sur "France" premier lieutenant.
Deux voyages de
second, puis, fier comme amiral
Le voilà cap'taine du
trois-mâts "Almendral".
Mais à la Boîte à rouille et aux rades du Chili
Préféra les Nantais et la Calédonie.
A
bord du "Canrobert", puis du "Cornulier"
Sur toutes les
mers du monde il fut un roulier.
Il fit sur l'Australie de
superbes traversées,
Foi des milles parcourus, voir ses cartes
au musée.
Le "Maréchal Suchet" fut son dernier commandement
Mais de toute sa carrière n'est pas le couronnement.
Vingt-six mois de voyage, accablé par le sort,
Plus de six mois de mer, combien de virement de bord,
Pour aller de New-York au nord du Japon.
Navire pris par
les glaces, marins devenus lapons,
Avarie de gouvernail, des
morts dans l'équipage,
Echouage sous remorque pour finir le
voyage.
Se jugeant déprimé, ayant perdu sa femme,
De la grande illusion sentit baisser la flamme.
Mais, "Heureux l'homme, a dit un jour Renan,
Qui a
su conserver son coeur d'enfant".
La main à l'aviron il avait
commencé,
A la barre d'un canot il voulut terminer.
Après ce voyage fatal
Il
acheva sa navigation
Revenu au pays natal.
Comme un moussaillon.
Amarré au
tangon
Il mena une vie sage :
La pêche fut sa passion
Aussi le jardinage.
Il administra le bureau de bienfaisance,
Conseiller municipal il siégea aux séances.
Tout en fumant sa pipe, il aimait de temps en temps,
Revivre dans
Lacroix ses souvenirs d'antan.
Par ses anciens
matelots fut porté au cimetière,
Car ils l'aimaient bien,
quoiqu'il fut austère.
Il eut un fils, et de lui disait toujours,
Jamais il ne sera Capitaine au Long-Cours.
Mais le vieux proverbe le prouve bien,
Il ne faut
un jour jurer de rien.
Bon sang de marin n'a jamais menti,
La preuve en est, c'est de moi qu'il s'agit.
Saint-Malo, le 1er Novembre 1966,
A. Bidon,
Capitaine au Long-Cours
Version : 22.02.2003 - Contents : Marzina Bernez
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