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Mai 68

Journal d'une étudiante nantaise

Mercredi 29 Mai
10h30 Mamie annonce qu'Idier aurait de la Solexine, à condition d'amener en douce des bidons adéquats. Je suis sceptique. Laurence part avec Mamie et deux bidons.
10h45 Mamie ne s'était pas trompée, nous avons deux bidons pleins. On va pouvoir utiliser normalement les solex. On refile le tuyau à Claude Lambert.
11h Je propose à Mme Texier de lui porter cette après-midi une lettre rue des Girondins.
11h15 Je pars en balade pédestre avec Laurence pour me désennuyer. En passant devant chez M. Texier, je lui demande s'il a la lettre, comme il ne l'a pas sous la main, je décide de repasser. Devant l'église, Laurence suggère une glace à la fraise.
12h30 Pizza aux oignons
14h Je prends le solex et je vais donner son cours à Mamie.
15h30 Je prends au passage la lettre chez M. Texier.
15h40 Après avoir déposé la lettre, je passe chez Tante Julienne. Jeannette, Pitre, et Anne sont déjà là, Grand-mère ne tarde pas à arriver. Nous discutons les événements puis je me retire, je prendrai le vélo un autre jour.
18h Je mange trois des galettes que Marie a faites dans l'après-midi. Laurence prend un bain de soleil sur la terrasse.
22h J'ai lu trois livres de l'Enéide. Je préfère tout ce qui se passe dans cette partie de la Méditerranée qui évoque le mieux le soleil, la mer, les oliviers, la joie de vivre.
Assez de lyrisme, je vais me coucher!
Jeudi 20 Mai
8h Mme Lebert téléphone: Papa ne pouvant nous joindre s'est adressé à elle. Il préconise l'annulation du voyage de Pentecôte, mais M. Lebert le maintient dans l'espoir de nous détendre les nerfs.
8h40 Mme Lebert : son mari estime que la situation se dégrade très vite, le voyage est annulé.
9h Maman appelle M. Robinet, lui transmet les nouvelles de Papa, lui demande la marche à suivre pour contacter les journaux.
9h30 Laurence part en Solex pour Ouest-France et Presse-Océan.
10h M. Courant téléphone par désoeuvrement et blague longtemps.
10h45 M. Robinet rappelle, il apportera en bicyclette un acompte. Maman décide de le retenir pour l'apéritif. Laurence est rentrée. Dans le bureau de Ouest-France, le reporter qui s'ennuyait l'a retenue pour blaguer.
11h Maman fait le marché. Des voyous au brassard rouge circulent. Une ménagère raconte que par ennui, elle n'arrête pas de cirer sa salle à manger. D'ici qu'il y ait des pattes cassées!
Les petits chats se "contenteront" d'un merluchon.

Alix s'entraine à la guerrilla: il se cache dans les herbes, on ne le voit pas, mais quand on l'appelle, on voit pointer deux oreilles noires.
12h M. Robinet arrive. Je peine à ouvrir la bouteille de Porto, je l'entends rire dans le salon, cela me rappelle le voyage à Sète, l'année dernière. Il esquisse son désir de rejoindre Papa à Anvers, car il s'embête à Nantes, mais il ne semble pas oser en parler à M. Reynard.
13h45 A la Faculté. Ils ont reporté les réunions d'informations sur l' examen à une date ultérieure. Toujours la vieille histoire de la carotte et de l'âne. Mais je n'aime pas faire l'âne, et de toutes façons, je ne tiens pas aux carottes. Alors, il se passeront de moi dans leurs amphis de contestation.
14h Myriam Pelé est arrivée à la maison. Elle a l'intention avec Laurence de se faire des poupées de chiffon, il faudra que j'en fasse autant. Ce faisant, nous échangeons quelques idées sur la politique.
14h30 J'entreprends un rangement radical de ma chambre, cela risque de durer quelque temps!
16h25 Ayant pris par hasard Europe, j'entends le discours de De Gaulle, il reste au pouvoir, il maintient Pompidou, il reporte le référendum, dissout l'Assemblée, décide des élections législatives, engueule les communistes. Vers la même heure, une très importante manifestation anti-communiste commence place de la Concorde.
18h30 Louis Bolze vient discuter, il est très inquiet par tout l'élement voyou de la crise. Il voudrait connaître l' opinion de Papa.
A l'usine Falkenstein, ils voulaient procéder à un vote secret sur la reprise du travail, une délégation C.G.T. a débarqué pour interdire tout vote.
Et la liberté, alors?
20h Sustentation biquotidienne.
20h30 Maman et Laurence vont faire un tour à côté.
21h Je commence l'élaboration d'une lettre à Peter.
22h12 Il serait peut-être temps d'aller me coucher.
Vendredi 31 Mai
8h Je me réveille, mais pas de journal, Laurence le lit.
9h30 Je me lave les cheveux
10h Les cheveux sont secs, je descends à la cuisine pour me faire prêter un tee-shirt, Serge est là en tenue de campagne: il faut nettoyer la place à cause du marché. Je décide d'aller les aider, quant au t-shirt, il sera rouge, avec mon pantalon noir, cela fait très anarchicocommuniste. Tant pis!
10h15 Bottes de Brière, blouse blanche, gants récupérés dans le cirage, je fais équipe avec les deux fils Orgebin, Hervé et Daniel, Serge, Paul et Françoise Aguesse, les deux fils Préfontaines, un barbu, plus un jeune. Nous rassemblons avec les balais les ordures pour les mettre dans des cartons et des caisses que nous stockons le long du trottoir. Les gens nous sont en général favorables, pourtant un militant C.G.T. de l'autre côté du trottoir nous a dévisagés d'un sale oeil. Par contre, un petit vieux a tenu à nous faire accepter un billet de mille francs, il y a eu aussi quelques pièces.

Après le travail, nous décidons d'aller prendre un pot ensemble. De là, Vincent "Préfontaines" téléphone à la Mairie pour demander un camion de voirie. Impossible, mais ils ne voient pas d'inconvénients à ce que l'on prenne un camion privé. Maman, qui passait par là, est réquisitionnée pour demander à Louis Bolze, réponse négative, on lui a abimé deux chauffeurs et balancé une camionette à la Loire. Laurence téléphone à M. Bellancourt, il avait voulu faire la même chose dans sa rue, mais on le lui a interdit, et il nous a cité le cas de la maison Williamson qui avait eu le droit d'emporter les délivres, mais on lui a interdit de les décharger, et les ordures pourrissent dans l'entrepôt. Nous n'aurons pas de camion. M. le Curé a proposé de ramasser les ordures dans le petit terrain qui lui reste dans le parc. Nous montons à la Cure après avoir fini notre Gros-Plant (il n'y avait plus de limonade au café) et nous interrompons son repas pour reobtenir la permission, que nous avons d'ailleurs tout de suite. Rendez-vous est pris pour deux heures avec charrettes et brouettes avant de tout transporter dans le parc. Nous passons chez M. Potier, pour lui demander s'il n'aurait pas une charrette, il n'en a pas mais il nous remet une enveloppe au nom des commerçants de Zola. Dedans 50 Fr.! Nous faisons cela de façon bénévole, mais le geste est gentil. On confie la caisse à Préfontaines aîné. Serge nous suit à la maison pour y reprendre sa veste. L'ostrogoth a parlé aux autres d'Alix et cela semble beaucoup trop les intéresser!
12h30 Nous déjeunons.
13h30 Je descends avec Maman et Laurence pour préparer la remorque. Je vais chercher la petite brouette de Grand-mère. Nous sortons les engins. Paul Aguesse vient nous aider, nous commençons à empiler un premier chargement.
14h Les Orgebin, les Frappesauce, le barbu, Gildas, nous ont rejoints. Nous faisons d'incessants va-et-vients entre la place, le boulevard et le parc avec des carrioles de tous genres et de tous calibres. Dès l'arrivée du premier chargement, nous avons mis le feu au tas, et il fait une chaleur d'enfer. Pendant tout ce temps, nous continuons nos allées et venues, jettant au fur et à mesure sur la pile de nouveaux cageots. Des curieux nous observent.
15h Le travail touche à sa fin. De toutes parts, on va chercher des litres, avec l'aide de Paul, je ramène la remorque. Des guitares surgissent, nous nous mettons à chanter devant le feu qui continue, sous l'oeil ébahi des passants. Dans le courant de l'après-midi passent des voitures avec haut-parleurs et drapeaux tricolores. Nous nous précipitons, ils jettent des tracs pour la manifestation de demain. Nous avons déjà décidé que nous irions avec Lucette. Dans le groupe, les avis sont partagés, mais beaucoup pensent à aller à cette manifestation.

Nous nous regroupons devant les guitares. La voyoucratie débarque, fait de grands bruits de mobylette, mais en vain, nous ne sommes pas décidés à partir. Enfin, les Orgebin nous suggèrent de nous replier chez eux. Nous y restons une demie heure, puis tous rentrent.
20h Laurence et moi mangeons rapidement, avant d'aller voir les informations à la Télé. On dirait que la reprise du travail se dessine. Le franc s'est affermi dans les bourses étrangères.
21h45 Crevée. Je ne ferais pas une très bonne boueuse!
Samedi 1er Juin
10h Je vais chez Japy pour effectuer le dernier versement, mais c'est fermé. Place Royale, on lit sur la fontaine les inscriptions "Place du Peuple". Tout est calme en ville, mais comme l'essence commence à être redistribuée normalement, il y a de gigantesques files d'attente devant les stations. Un tract prétend que cela vient des comités de grève, mais en fait les piquets de grève des stations-service ont été débordés.
12h30 Lucette passe pour prendre rendez-vous: nous avons décidé de participer à la manifestation anti-communiste de cet après-midi. Nous ne voulons pas suivre une manifestation gaulliste, hereusement des tracts posent cette manifestation comme apolitique. M. Dumon doit y aller aussi. Les Lebert passeront nous chercher à 14h. Nous prenons un Porto avec Lucette. A ce moment on sonne: M. Texier sachant par sa femme que Maman était à sec d'essence, nous en a pris un jerrican en allant lui-même faire le plein. Nous lui offrons un Porto.

Alors que nous mettons le couvert, M. Dumon passe pour nous dire qu'il a raccolé quelques copains et qu'ils se rendront à la manifestation par leurs propres moyens. Nous déjeunons enfin.
13h45 Les Lebert arrivent, ils ont décidé de prendre la voiture. Ce sera moins fatiguant.
14h15 Lucette est arrivée, nous partons. Nous trouvons à garer rue Dugommier. Nous croisons de nombreux groupes se rendant Place Graslin, drapeaux tricolores en tête. La place est déjà noire de monde. Un dirigeant donne ses consignes: la manifestation est apolitique mais Française, les slogans sont à refuser, toute provocation est à dédaigner, le silence est réclamé, les consignes du service d'ordre doivent être respectées.

Le cortège s'ébranle très lentement, nous commençons à descendre la rue Crébillon. Place Graslin, nous passons entre des rangées de gens dont certains nous lancent des slogans hostiles, mais beaucoup d'ordre dans la manifestation, nous répondons par la Marseillaise. Nous remontons vers la rue de Strasbourg et nous attendons un peu au Pont-Morand pour permettre le regroupement. Là, des ouvriers du piquet de grève de l'E.D.F. entonnent l'Internationale, qui est alors couverte par la Marseillaise. Les ouvriers disparaissent à l'intérieur de l'usine. Un panneau sur leur entrée: "liberté syndicale", mais ils sont derrière des barreaux! Nous nous dirigeons vers les Tables Mémoriales, nous passons devant la Préfecture dont de nombreux carreaux sont cassés. Le Préfet s'est mouillé, il est à sa fenêtre. On devine à travers les grillages quelques gendarmes dans leur cantonnement, ils se font applaudir. Ah, j'oubliais! Devant la Maison Haramba, on avait sorti un électrophone qui jouait à toute puissance la Marseillaise. Devant les Tables Mémoriales, la sonnerie aux morts, un silence total, les drapeaux inclinés vers le sol, puis on entonne la Marseillaise. enfin dislocation.

En retournant vers la voiture, nous avons vu des traces de dépavage, des restes de barricades, certaines noircies par le feu. En traversant le Cours des Cinquante Otages, nous voyons dans notre dos une contre-manifestation: quelques jeunes, drapeau rouge en tête, chantant l'Internationale. Comme ils avançaient très vite, nous avons pressé le pas, et nous avons grimpé les marches devant la Poste. De là, nous avons observé le groupe, ils étaient assez peu nombreux. Près du Pont-Morand, j'ai vu M. Filhol. Nous avons regagné la voiture sans plus de pépin.
17h Les Lebert sont repartis, mais Lucette est restée quelque temps à la maison. Myriam y finissait sa poupée avec Laurence. Nous avons pris la radio, mais on ne parlait pas encore de Nantes.
18h Cinquante mille personnes à Nantes! Maman est ravie que sa première manifestation soit un succès.

Le Suma qui n'avait pas le droit d'ouvrir l'après-midi fonctionnait pourtant à notre retour.

Manifestations U.N.E.F. à Paris. Cohn-Bendit a été vu dans la foule. Selon les étudiants, il y aurait eu quarante mille personnes.

Laurence,
qui a fait un tour en ville, dit que le drapeau tricolore flotte à présent sur la fontaine de la Place Royale, les inscriptions "Place du Peuple" ont été passées à la chaux, quelques étudiants discutent calmement sur la pelouse. D'après Laurence, il s'agit de ceux qui ont remis la fontaine en ordre. Le folklore aura toujours ses droits: ces manifestants anti-anarchiques sont comme leurs copains de l'autre bord grimpés sur les statues de la fontaine et brandissent toujours des drapeaux, simplement, ils ont changé de couleurs!
19h Europe-Soir
Importance de la manifestation de Nantes.
Le Franc se raffermit à l'étranger.
Le Pen-Duick IV est parti.
Eddy Merck de nouveau maillot rose.
20h A la télé, on montre plusieurs manifestations, dont celle de l' U.N.E.F., mais on ne parle pas encore de Nantes. Peut-être verrons-nous le film demain.
Dimanche 2 Juin
10h J'ai pris le quart à la garderie. J'ai trois gosses. Thérèse ne m'a pas confié Pascale: elle est inquiète pour Jean qui n'est pas rentré hier comme prévu, et elle estime que les balbutiements religieux de Pascale pourraient avoir un effet. Ce n'est pas idiot.
12h Fatiguée et déprimée, j'ai piqué une crise qui n'a pas été allégée par Maman qui trouve systématiquement les arguments à rebrousse-poil! Enfin, j'ai réussi à me calmer pour descendre manger avec Grand-mère et Tante Julienne.
16h Maman n'a pas voulu sortir la voiture, nous sommes restées à la maison. Ces dames tricotent, je suis retournée à l'Enéide.
20h Europe-Soir: Tabarly a été heurté par un cargo et a du retourner à Plymouth pour s'y faire réparer. On ne sait pas combien de temps durera la réparation.

Rien de fulgurant chez les grévistes.
Mercredi 5 Juin
6h Athalie, que j'ai eu hier soir la faiblesse de tolérer dans ma chambre, a fait un cirque infernal: miauler pour sortir, miauler pour entrer, miauler pour renter dans ma chambre, redescendre au moment où je me levais pour lui ouvrir, bref, tout le monde était réveillé.
7h Le journal: les bus ont été empêchés de tourner par les étudiants mécontents de la reprise du travail. Aujourd'hui, ils tournent. Des reprises un peu partout, mais pas d'une façon évidente.
8h27 Je me prépare en écoutant les informatioons. Soudain une dépêche de l'Agence France-Presse:
Robert Kennedy vient d'être victime d'un attentat à Los Angeles;
on venait d'apprendre qu'il était vainqueur aux élections primaires de Californie. Peu de détails.

Le correspondant en Amérique appelle quelques secondes plus tard:
Robert Kennedy a été touché à la tête et à la hanche. L'agresseur a été arrêté. Une confusion générale partout.

Dans l'histoire, on a à peine remarqué que Eric Tabarly avait du de nouveau faire machine arrière, cette fois, il s'agit du gouvernail automatique. Ses chances sont pratiquement nulles.
8h55 Long flash à Europe.
Quelques témoignages sur l'attentat, malheureusement en Anglais, je n'ai pas pu saisir grand`chose. Bob Kennedy a été transporté à l'hôpital. L'assassin ne semble pas comprendre l'Anglais.
11h Bob Kennedy a été transporté dans un autre hôpital pour y être opéré par des neuro-chirurgiens. Durée de l'opération: environ une heure. Pronostic très réservé.
11h10 Mme Augusti passe pour s'enquérir de l'adresse de Mamie et, accessoirement, pour voir si je serais hostile à l'idée de prendre Jacques en main durant la grève des écoles. Nous restons à discuter un bon moment jusqu'au retour de Maman.
12h Françoise rentre très excitée de l'école et semble désirer faire périr à petit feu l'auteur de l'attentat. Je ne vois pas la nécessité de répondre à une ignominie par une autre ignominie!
12h45 Europe-Midi.
Kennedy toujours sur le billard
Son assassin toujours non identifié.
Mac Carthy
a provisoirement interrompu sa campagne électorale.
En France, Couve de Murville, nouveau ministre économique, parle des conséquences économiques graves de la grève.
De Gaulle
à la Télévision vendredi soir.
L'O.R.T.F., toujours en grève, a un nouveau directeur.
Eric Tabarly est reparti.
14h25 Bob Kennedy est toujours sur le billard. Je descends donner sa leçon d'Italien à Mamie.
15h35 De retour à la maison, j'apprends que Bob Kennedy a quitté le billard. Pronostic reporté à trois jours. Johnson veut presser le vote d'une loi réglementant le port d'arme.
La R.A.T.P. semble décidée à reprendre le travail.
18h25 Je lis Wilhelm Busch, bien qu'avec quelques difficutlés.
Flash sur Europe: L'assassin serait de type latino-américain, et parle en fait très bien l'Anglais. Se refuse à toute déclaration, même en ce qui concerne son identité, ou les motifs de son geste. Rien de neuf pour Bob Kennedy. Coeur bon, il respire sans aide artificielle.
19h30 M. Bellancourt au téléphone, il était lui aussi à la manifestation.
Europe-soir: la candidature de Bob Kennedy à la Maison Blanche semble désormais impossible, voire même toute sa carrière politique, si jamais il en réchappe. L'assassin a été identifié grâce à son frère. Il serait d'origine arabe.
Nouvelle avarie
pour Tabarly.
20h Europe: selon un des neuro-chirurgiens qui ont opéré Bob Kennedy, la moëlle épinière serait atteinte, des artères cérébrales seraient sectionnées, des caillots de sang se seraient formés dans le cerveau. Cela donne un très mauvais pronostic!

Eric Tabarly
a décidé d'abandonner. J'espère qu'il nous refera un jour une autre course.

France: Les métros et les bus parisiens reprennent demain matin.

J'oubliais, très important: nous avons eu ce matin deux lettres!!!
20h55 La C.G.T. a donné un ordre général de reprise.
Mots d'ordre de reprise aux P.T.T., et à la S.N.C.F. Le travail reprendra progressivement à partir de demain.
Jeudi 6 Juin
9h Thé et Ouest-France.
De nombreux détails sur l' attentat de Robert Kennedy. L' agresseur, Shiran Shiran, est né dans le quartier jordanien de Jérusalem, on ne sait toujours pas pourquoi il a tiré. Jackie et Mme King ont rejoint Ethel Kennedy à Los Angeles. L'ambassadeur des U.S.A. en France, Sargent Shriver, dont la femme est une Kennedy, se tient prêt à partir.
Les autres nouvelles ont parues un peu estompées à côté, pourtant une reprise générale se dessine: les trains et la poste vont remarcher.
9h25 Deux lettres!!!
10h05 Un flash spécial sur Europe: Bob Kennedy vient de mourir à 1h44, heure locale.
10h10 Bob n'a pas repris connaissance. Sa femme, Jackie, étaient à son chevet. Hier, quand on a reçu les premières notes de téléscripteur, je n'avais pas cru que c'était très grave. Même maintenant, je ne peux y croire. Après John, c'est Bob. Je commençais à espérer le voir à la présidence.
Nous avons mis le drapeau français, à défaut du drapeau américain en berne.
11h55 On a retrouvé le père de l'assassin en Cisjordanie. Il ignorait que son fils s'intéressait à la politique, il était attaché à la famille Kennedy parce qu'elle s'efforçait de ramener la paix dans le monde.
12h Maman passe un kilog de sucre à Mme Texier qui ne peut arriver à en retrouver, d'autant plus que la raffinerie de Chantenay est toujours fermée.
Maman,
qui a rencontré Marie Lecam, a appris qu'elle avait foncé sur Paris pour y ramener d'urgence Jeanne, qui, modérée, s'efforce par son vote de calmer les excités de Maisons-Alfort. D'autre part, certains commerçants du marché prétendent que ce sont les étudiants qui ont nettoyé derrière eux! En fait d'étudiants, il n'y avait que moi! J'irai à l'Assemblée Générale de cette après-midi, et s'ils en parlent, j'interviendrai.
13h Nous sommes allées à tout hasard à Télé-Midi, espérant qu'ils feraient une entorse à la grève vus les événements, mais ils n'ont même pas eu ce geste. Sur Europe, nous avons entendu l'enregistrement d'un reporter qui était présent lors de l'attentat, dont tous les commentaires étaient plus que spontanés. Ma faible connaissance de l'Anglais ne m'a pas permis de tout saisir très bien, mais avec les explications du meneur d'Europe, on arrivait à se rendre compte: le meurtrier n'a pas été maîtrisé avant deux minutes. Johnson a rendu hommage à Bob Kennedy, en a profité pour rappeler ce projet de loi, qui visait à réglementer le port d'armes et que le Congrès a refusé de voter. Sargent Shriver, sa femme et la femme de Ted, qui se trouvait à Paris sont partis ce matin. Johnson a décidé une journée nationale de deuil pour dimanche; les obsèques auront lieu samedi. Un avion de la Maison Blanche est parti pour ramener le corps à New-York, où il sera exposé à la Cathédrale Saint-Patrick. Le cercueil arrivera en train spécial pour le cimetière d'Arlington, on pense qu'il sera inhumé à côté de John.

Ted
prendra-t-il la relève? Il est moins populaire que ses deux frères, mais peut-être est-il tout aussi valable.
Couve de Murville a pris toute une série de mesures pour essayer de secourir les petites entreprises. Un trafic ralenti de trains s'organise. Les points chauds restent Sud-Aviation, les automobiles et la métallurgie en général, comme par exemple les chantiers navals de Loire-Atlantique.
15h Dans le grand hall de la Faculté, au-dessus de l'amphi C, il y a une bande dessinée avec beaucoup d'habileté sur le sujet des barricades. Les C.R.S. y ont plutôt une bonne tête, l'un d'eux se demande sous le jet des pavés: "ça veut dire quoi, contestation?", un blessé étudiant que l'on emmène sur une civière dit: "Tais-toi, ô ma douleur..", un C.R.S., l'oeil méchant et la matraque brandie, poursuit un étudiant qui répond: "vous ne m'attraquerez pas!". Devant un photographe de presse qui hurle: "Presse! Presse!". Un étudiant lance un pavé en disant: "as-tu vu le pavu?". Un C.R.S. traine un étudiant par les cheveux en chantant: "une mèche de tes cheveux…" Enfin, un bébé dans son landau jette son biberon et s'enfuit en ramant à l'aide d'un balai "non à toutes les familles". Comme quoi le folklore aura toujours ses droits!
16h Assemblée Générale. M. Grange, chef de la section d'Allemand, déclare que le coût de réparation des "graffitis de pissotière" (je cite) risque de peser lourdement sur la gestion d'une faculté autonome. Il est très applaudi.
On annonce que des ouvriers ont crevé les pneus des bus Place du Commerce, qu'ils sont encerclés Place Royale par la police et qu'ils demandent l'appui d'un commando étudiant. La moitié de l'amphi se lève déjà, quand arrive un contre-ordre, ne circulent en ville que de petits groupes. Des interventions d'étudiants ont eu lieu un peu partout; chez Brissoneau, à la raffinerie de Chantenay, chez Dubigeon. Ils sont prêts à intervenir partout où on les appellera.
20h J'espérais voir comme hier un film à la Télé sur la vie de Bob Kennedy, mais ils n'ont rien donné.
La voirie n'est pas passée, les jaillous bénévoles ont encore officié, je n'en étais pas, j'étais à l'assemblée.
Si les classes recommencent demain, je ne sais pas comment nous ferons car il s'agit encore de les transporter dans le parc et de les y brûler.
21h50 J'aimerais bien avoir du courrier demain, cela semble si extraordinaire.

 

 

Alix Mon lapin gagné dans une kermesse. Blanc avec oreilles, queue et trois pattes noires.
Japy Ma première machine à écrire
Pascale Ma filleule

 

Version : 13.03.2006 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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