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Paris le 24 Janvier 1945
Mon cher ami,
Je reçois aujourd'hui votre carton du 9 Décembre auquel vous avez tenu à confier votre fidèle souvenir. Je vous remercie de ne point m'oublier dans la retraite où j'ai été prématurément délégué par un ukase d'octobre 1943. Je suis d'autant plus touché de la fidélité de vos sentiments que je me croyais à jamais enseveli dans l'oubli et que j'avais pris la consolation de me draper dans "le linceul de pourpre où gisent les dieux morts."
*Vous vous doutez sans doute des raisons qui m'ont valu cette dernière citation de ma carrière, la plus belle d'ailleurs à mes yeux. La lettre que je vous avais adressée à Bizerte en vous donnant l'ordre de rester sur place, cette lettre où j'avais mis tout mes voeux de Français et mon âme de chef, n'a pas eu l'heur de plaire à l'??? qui trônait à ce moment là à Vichy
Inutile de vous dire que je ne regrette rien, bien décidé que je suis à recommencer le même geste dans une occasion identique.
Puis la suite vous dira les autres accessoires de ma disgrâce. Nous en reparlerons, un jour, où j'espère bien que nous n'aurez ?? qu'à moi.
J'étais le père de "terroristes"! Mon fils aîné, St Cyrien de la classe 1943, avait pris le maquis dans la Creuse. Il y a mené une vie très dure. Il est aujourd'hui aspirant à l'école de Chadull (??)
Mon fils nº 2, élève à l'Ecole de Bordeaux, a quitté son uniforme en Juillet pour entrer aux PTT et comme médecin auxiliaire a ??? pendant les journées de la libération prodigué des soins aux blessés et recueilli les morts, je le voyais de mes fenêtres et je me retrouvais tout entier en lui, au même âge, avec la même ardeur et la même foi. Il a aujourd'hui, repris sa place à Bordeaux.
Mon fils nº3, Elève au Prytanée de la Flèche, est également entré dans les troupes de la résistance. Il a pris part dans la Sarthe à plusieurs combats et, avec sa section, est entré le premier dans Saumur libéré. Il est actuellement dans l'armée de De Lattre de Tassigny.
Que pouvais-je donner de plus?
Rentré à Paris le 1er Octobre 1943, j'ai requinqué mon appartement délaissé depuis plus de 3 ans et, pour rompre la monotonie d'une existence un peu trop vide à mon âge et à mon gré, j'ai accepté, en octobre 1944 la place qui m'était offerte à l'Institut national d'Hygiène, comme Unitaire général. La matière qu'on y traite m'est familière et je puise dans ces travaux un délassement à mon ennui.
Je souhaite la fin du cauchemar, la victoire de nos armées, la restitution intégrale de notre patrimoine national. J'ai travaillé, j'ai lutté, j'ai souffert pour la réalisation de ce désir qui était une médecine pour moi et que beaucoup de nos camarades traitaient dédaigneusement de "crânerie". J'avais la foi du charbonnier, sans doute, mais je raisonnais ainsi sur des bases certaines…
Mais je voulais l'estime de tous. Je voulais voir une fringale moins grande pour l'assiette au beurre tant les mauvaises langues disent qu'elle est devenue le plat de résistance. Je voulais surtout que nos anciens camarades n'oublient pas ceux qui leur ont permis d'occuper la place qu'ils possèdent aujourd'hui, place qu'ils leur doivent et qu'ils doivent surtout à la position géographique qu'on leur donne l'ordre, volens nolens, d'occuper. Je voudrais surtout ne pas apprendre que ces néo-convertis s'érigent en censeurs.
Ces échos me peinent et m'affligent.
Toutes mes félicitations pour le mariage de la jeune Annick. Tous mes voeux de santé et de bonheur avec l'espoir que vous voudrez bien avec Madame Hesnard, lorsque vous viendrez à Paris vous ?? de dormir dans notre demeure dont je vous rappelle l'adresse au pied de ce feuillet.
Bien amicalement à vous
52. Avenue de Saxe - XVe
Il me serait agréable d'apprendre que cette feuille est parvenue à bon port. Je voudrais également savoir le sort de mon ancien collaborateur Paquielles (?)
Paragraphe souligné en rouge par le Dr. Hesnard
Version : 21.07.2005 - Contents : Martine Bernard-Hesnard
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