Voyage en Extrême-Orient (1925)

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Port-Saïd - Bizerte - Brest

Mercredi 21 octobre. Entrée de la Mer Rouge

Je me réveille par brise fraîche, devant les îles qui marquent l'entrée de la Mer Rouge.

Entrée de la Mer Rouge

La vie facile continue: Rien à faire qu'à travailler pour moi. Bain tiède le matin. Travail. Apéritif. Déjeuner. Sieste, etc…

Tout le monde est de bonne humeur. On me traite en individu exceptionnel, je suis l'admiration du carré. Hélas! A quoi tient la notoriété!! Tous ont voulu lire mes livres et s'en montrent ahuris…

Allons, nous n'aurons pas trop chaud! Tant que cette bonne brise par babord durera.

Jeudi 22 octobre. Mer Rouge

Il recommence à faire chaud!! 34 degrés dans ma chambre où je suis nu sous mon ventilateur. Il fait cependant bien meilleur que sur le "Michelet". Et puis, ça ne durera pas. Ce sont les derniers jours pénibles de la campagne. Le "Chantilly" part de Djibouti derrière nous: nous lui confierons notre courrier pour France.

22 octobre. Suite.

Ouf! Le thermomètre monte à 39 degrés! Ma chambre est une fournaise. La visière de ma casquette, abandonnée sur le lit me brûle la main quand je veux la prendre. Ca commence à rappeler le "Michelet" de sinistre mémoire… Courage, nous touchons au but.

Après-midi: je fuis de ma chambre: 40 degrés! Pas un souffle - Les gens commencent à chercher leur respiration. Ca va tout de même. Nous passons l'après-midi à ingurgiter du soda et de la bière. Nous faisons mettre une table de jeu et des fauteuils à tribord à côté du grand panneau de coupée.

Nuit chaude.

Vendredi 23 octobre.

Même température. J'ai mal dormi. On ne sait où se fourrer. Mais nous avons espoir car un TSF nous signale "Forte brise nord ouest par 23 degrés". Nous approchons. L'équipage tient bon. Vers le soir, un peu de brise, le thermomètre baisse. C'est la fin! - Au souper, bouillon froid. Nous mangeons peu et buvons comme des fous.

Samedi 22 octobre.

Sauvés! La brise annoncée est arrivée vers 9h du matin. Réveillé à 4h, j'ai dû passer une chemise. Quel délice! Le thermomètre est revenu à 28-30 degrés et baisse progressivement. Nous marchons bien. Mer calme. À midi on aperçoit les 2 frères.

Les deux frères

Nous serons ce soir dans le golfe de Suez.

Le soir: au coucher de soleil, on aperçoit l'entrée du golfe de Suez. Deux bateaux nous précédent et l'un nous suit. Il fait bon et frais.

Golfe de Suez

Dimanche 25 octobre.

Réveillé vers 2h du matin par un froid terrible: 20 degrés!! Je me précipite sur des couvertures et ferme ma fenêtre. Matin: messe de l'aumônier, toujours avec le même protocole, Amiral et musique.

Bientôt on voit l'entrée du canal et Suez apparait dans le lointain.

Canal de Suez

Canal de Suez
Après-midi: Dans le canal, sous le soleil jaune, entre deux déserts. Personne dans les chantiers.

Arrêt dans les lacs amers pour laisser passer un convoi. On repart à la nuit. Je me réveille le matin à Port-Saïd.

Lundi 26 Octobre.

Nous sommes à Port-Saïd. Fini l' Extrême-Orient!!
Port-Saïd: Le sémaphore
Je descends avec plaisir par une délicieuse matinée ensoleillée. La mer est d'un bleu profond. Je retrouve la grande plage que j'aime. Je vais me baigner et rentre à bord à midi en retard. L'après-midi après la sieste je flâne le long de la mer jusqu'à la ville arabe puis je reviens par les rues commerçantes: Bazars de tapis, cuivres, colliers d'ambre, tentures, meubles orientaux. Tout est hors de prix!! Je marchande une petite toile égyptienne: 500f!! Et le reste est à l'avenant. Les soirées sont délicieuses, c'est une transition avec l' Extrême-Orient. Le courrier ne m'a apporté aucune lettre.

Mardi 27 octobre. Port-Saïd

C'est jour de charbon. Une poussière noire effroyable pénètre partout. Je fuis le bord et vais sur la plage avec un livre. L'après-midi je vais voir les arabes lancer la senne comme à Pornik, rapportant des soles, des sardines, des rétaux, des crabes et des crevettes. Temps exquis. Je rentre par les cafés et prends un bock en me faisant cirer les souliers. Il y a du monde aux terrasses de cafés, plusieurs paquebots étant là. Charivari de 2 dancings qui se font vis à vis. On m'apporte avec le bock les "méjés" qui me rappellent mon séjour d'autrefois dans les pays d'Orient: frites salées, petits morceaux de gruyère et de mortadelle, etc… L' aumônier et le commissaire partent au Caire.

Mercredi 28 octobre. Port-Saïd

Le charbon n'est pas fini. Je quitte le bord à 9h 1/2 après avoir donné des ordres au cuisinier, étant chef de gamelle intérimaire. J'en profite pour faire acheter des alouettes, du caviar, des bécassines - Déjeuner avec invités, dont le Lieutenant de vaisseau Doin, du Canal de Suez qui nous invite à aller à Ismaïlia. - Après déjeuner, le "Paul Lecat" arrive, portant Varenne, Gouverneur général d'Indochine. De Cambourg va le saluer de la part de l' amiral. Je sors vers 3h 1/2 et me promène jusqu'à la nuit près de la mer.

Jeudi 29 octobre. Port Saïd

Ce matin nous ne sommes que 3 à déjeuner: Deffages, Baille et moi. J'organise un bon boulot au champagne, ce qui nous met en gaité; nous discutons psychologie sexuelle. Après la sieste, promenade sur la plage. Je rencontre en rentrant le chef d'état-major, de Vigouroux, qui m'emmène au café et me confie ses peines de coeur devant un amer picon. C'est un petit dépressé auto-accusateur de l'âge critique. Il m'intéresse fort, je le console de mon mieux et j'arrive en retard au carré.

Vendredi 30 octobre. Port-Saïd.

Ce matin, je vais à la Santé où je retrouve mon confrère levantin, le Dr. Nardrus puis je file à la plage où je me baigne au milieu des arabes, très loin sur la plage. Les petits arabes se battent pour avoir leur bakchich. Je rentre pour déjeuner et, après la sieste, je sors en tenue changer de la monnaie. Dernière promenade sur la jetée de Lesseps. Appareillage à 6h du soir par une lumière jaune exquise qui illumine tout le port. Dire que dans 15 jours nous aurons à Brest le crachin et le ciel gris!

Samedi 10 octobre. Départ de Port-Saïd. Mer méditerrannée

Nous voici enfin en Méditerrannée! L'air est frais, la mer bouge. Nous vivons dans l'impatience. Je vais, si je peux, télégraphier par TSF à Yet.

Beau temps. Promenade tardive le soir sur le pont après dîner. Mon poste de choix est la passerelle de la majorité où il fait bon et où on est seul. J'achève la recopie de mon livre sur l'Instinct.

Dimanche 1er Novembre - Méditerrannée

Messe dans la batterie. C'est la Toussaint. J'espère l'an prochain à pareille époque être au milieu des miens. A midi l'amiral invite pour un dernier déjeuner tout son état-major. Coktail au vermouth italien, excellent repas, piment à l'huile, homard, truffes… Au champagne, petit discours très bien de l'amiral, réponse émue et très bien dite de de Maubeuge. Quel brave homme! Il est aimé de tous ses officiers.

Lundi 2 Novembre. Méditerrannée

La TSF est en relation avec Bonifacio. J'en profite pour faire passer à Yet le télégramme: "Henriette Vimont, 13, Eole, Paimboeuf - Arrivée Brest 10 Télégraphie Bizerte où tu es". Ca me coûte 28f mais j'espère qu'elle me répondra et que je serai fixé. Je pourrai faire des projets.

L'après-midi gros orage: Eclair, temps sombre et froid. Pluie diluvienne. Nous nous couvrons de vêtements chauds.

Mardi 3 Novembre. Canal de Malte.

On devine Malte au loin. Temps redevenu très beau, presque chaud. De Cambourg va débarquer à Bizerte ainsi que plusieurs officiers passagers et 30 hommes de l'équipage, libérés. C'est la fin: Les malles s'accumulent dans la batterie.

Mercredi 4 Novembre. Arrivée à Bizerte

Nous repartons dès ce soir pour Brest!

Mercredi 4 Novembre. Bizerte

Mouillage à Bizerte
Je me réveille au petit jour dans le canal. Le jour se lève. Nous voici au mouillage: J'ai dans mon sabord, éclairé par le soleil levant l' Iacheul de célèbre mémoire, un cuirassé de la flotte Wrangel, et le canal. - A 9h je descends à Bizerte par le canot à vapeur. Ville morne, il y a de la boue, personne dans les rues!
J'ai une désillusion à la poste: Je n'ai aucune réponse de Yet à mon télégramme. L'a-t-elle reçu? Où se trouve-t-elle? Que fait-elle? Heureusement que ces situations désagréables vont enfin se terminer, car ce n'est pas drôle.

J'achète du papier chez Fages. La grosse dame me lance un oeil, puis me dit en partant: "Merci, Docteur" pour me montrer qu'elle m'a repéré. Je visite qqs magasins. Des marchands de tapis tentent vainement de m'entrainer dans leur boutique. Je fais un tour à la plage, qui est sinistre par ce temps de pluie. Pas un chat dans les rues…

Je rentre dégoûté, n'ayant même pas pu me faire cirer les souliers, par le canot de 11h. Déjeuner avec de Cambourg qui nous quitte ici. Puis nous prenons la mer à 2h.

Nous sommes accompagnés jusque du côté de la Gallite par des sous-marins en plongée qui nous attaquent, par un contre-torpilleur qui nous précède et par des hydravions. Puis le soir tombe.

Jeudi 5 Novembre

La mer est belle, le vent frais. Il y a un joyeux soleil.- Nous serions aujourd'hui à Toulon si le bateau avait dû y rentrer. Je commence mes malles, je trie celles des commissions des camarades qui renferment des produits payants à la douane. Je range mes blancs, vais emballer mes livres… Cela m'occupera.

J'ai fini de recopier mon manuscrit des Instincts: Bravo!

Nous avons une hâte extrême d'arriver. Je vais faire faire des emballements par le maître charpentier: Panneaux, table gigogne…

Vendredi 6 Novembre

Nous défilons toujours le long des Côtes d'Algérie, dont nous n'apercevons que la silhouette bleutée.

Côtes d'Algérie

Nous nous en éloignons ensuite de plus en plus, vers l'Espagne.- Nous sommes de nouveau entre le ciel et l'eau.
La température s'est refroidie: j'ai un rhume. Nous nous couvrons…

Mer un peu houleuse mais belle. Je continue mes malles.

Samedi 7 Novembre - Détroit de Gibraltar

Déplorable journée: La mer se creuse, le vent mugit et devient glacial. Pluie et grêle nous assaillent, lames de 10-14 mètres. C'est la tempête!! Nous roulons et tanguons comme des damnés. Pour comble de malheur, je suis enrhumé, je tousse, ai mal à la tête. Je ne puis fermer l'oeil, ayant peur d'être projeté de mon lit. Mon estomac est malade. J'ai froid malgré mon sabord hermétiquement clos (ce qui rend l'atmosphère de ma chambre inhabitable). Vivement la fin!

Dimanche 8 Novembre. Côtes du Portugal

Nous roulons toujours. Nous sommes 3 à table. L'abbé n'a pu dire sa messe. Le mauvais temps et mon sacré rhume continuent. Que j'ai hâte d'être à Brest. Des paquets de mer inondent la batterie, les vaisselles s'écroulent. Sale métier!!

Lundi 9 Novembre - Cap Finistère

Le temps s'arrange un peu. Nous roulons moins. L'espoir renait. Nous approchons, malgré que ce coup de tabac nous ait retardés. De Maubeuge a reçu un télégramme de sa femme. Toutes ces dames arrivent à Brest, à l'Hôtel Continental, à l'Hôtel Moderne…Hélas, je suis sans nouvelles des miens. Que font-ils? J'ai rêvé qu'ils étaient blessés dans un accident d'auto… C'est une vilaine semaine que je passe.

Vers le soir, la houle tombe. Nous renaissons à la vie normale. Les machines forcent pour arriver à Brest avant la nuit!

Mardi 10 Novembre

Le temps est redevenu beau. Un peu de houle longue. Il fait froid! Mon rhume va mieux. Nous approchons!

A midi on signale, très loin, le phare d'Armen.

Pointe du Raz, Tas de Pois, Pointe de Kellem

Puis se dessine peu à peu la côte bretonne avec les landes et les phares. Voici 2 sous-marins et une cannonière, qui font des exercices de tir. Là-bas, la pointe du Raz et son sémaphore.- Voici la pointe de la Chèvre puis l'entrée du Goulet. Nous serons à Brest à 4h du soir. Enfin!

entrée du Goulet Kellem (Tribord)
Entrée du Goulet par beau temps - Pointe des Espanols
Rade de Brest: Phare du Portzig - Brest

Voici ma campagne terminée…

 

 

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Version : 19.12.2004 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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