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21 janvier 1990

 

LE BRANLEBAS
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Les accents du clairon ne ménagent personne. Du plus modeste sans-spé jusqu'au plus hardi des Capitaines, nul n'échappe au Branlebas, pas même le malheureux fonctionnaire de nuit, ni le mécanicien jouant les anguilles dans les tuyautages de fond, ni l'élégant timonier qui enfile des gants blancs pour mettre l'aperçu à bloc, ni le plus paresseux des secrétaires bien caché derrière ses dossiers, ni le commis, l'aumônier, le chien du bord, ni même les rats qui courent sur les chemins de câbles, il n'est rien qui soit, chair vivante ou matière morte, qui ne sursaute à la sonnerie du Branlebas. Il n'est jusqu'à la marque de l'Amiral , abandonnée à la flânerie pendante du petit matin, qui ne s'émoustille quand l'heure est venue pour le bourreau, pardon, pour le biniou de faire son office.

Je veux bien croire que notre vieille Marine s'est mise aujourd'hui à l'heure électronique et que les modulations de fréquence sur l'air des Habitants de la Basse Bretagne sont souvent remplacées par des signaux divers, plus ou moins assortis de menaces pour les récalcitrants. La musique n'y trouve guère son compte et la tradition file comme huile au sillage.

Mais allez donc filer toute l'huile. Quand tout est parti, il y a encore ce qui reste et quand on a filé le reste, il y a toujours le reste du reste.

C'est pourquoi nos enfants, jusqu'à la soixante-dix-septième génération au moins, demeureront soumis à la Loi, peut-être juste, mais combien dure du Branlebas.

Telle le serpent qui glisse, souple et rapide, sans faire bouger les herbes pour mieux jaillir et se jeter sur sa proie, la dure Loi du Branlebas vient nous sortir, que dis-je, nous extraire de la béatitude où nous portent les rêves, du repos compensateur au plaisir du guerrier ou de la douce somnolence qu'engendrent les années.

La Loi est la loi. Il faut bien y passer. Je n'ai pas trouvé d'autre réponse possible à la lecture de l'Ordre du Jour sur la convocation à cette Assemblée Générale qu'a portée le "Branlebas". Il n'y a pas de doute. J'ai lu:

"Exposé du C.V. BERNARD, administrateur de la FAMMAC. Aucun moyen de me défiler.

De toute façon, c'est écrit. Je suis, en quelque sorte, sur le cahier, sur la "Peau de Bouc", et sous peine de m'y retrouver, avec un motif plus grave, je n'ai qu'à me lever pour répondre à l'ordre: "Branlebas".

J'épargnerai donc au Capitaine d'Armes le souci d'avoir à me cuisiner un motif assez sulfurique pour m'envoyer en Conseil de Guerre et je vais faire l'exposé auquel le "Branlebas" m'a condamné.

Je le ferai de mon mieux, car la mauvaise volonté en service est un vilain péché que je ne voudrais pas commettre mais je dois, avant de commencer, appeler votre attention sur un point qui n'est pas sans importance: si l'Ordre du Jour ne précise pas qui doit écouter l'exposé qu'il m'impose, il ne dit pas plus qui pourrait être admis à ne pas écouter.

Alors, Branlebas, camarades, Ecoutez!

Les éléments du discours ne valent que dans la mesure où ils servent à la transmission de la pensée, j'oserais dire à sa pénétration. C'est bien pourquoi je ne vous demanderai pas de prendre des notes ou de vous préparer à une récitation écrite. Mon souhait n'est pas que vous appreniez à réciter mon exposé par coeur. Il est plus simplement, mais très fermement, qu'il puisse toucher votre coeur car j'aimerais vous parler d'abord de la FAMMAC, puis de la Marine et enfin, de la route qu'il nous faut suivre.

 

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NOTE:
Je revoie mon père nous chantant de sa belle voie de basse la sonnerie des "Habitants de la Basse-Bretagne" avec le texte "inofficiel":

Les Habitants de la Basse-Bretagne
Sont dégourdis comme des manches à balai
Ceux de Toulon sont encore plus cons
Ceux de Marseille sont bien pareils...

Et ne parlons pas de la sonnerie à l'Amiral...

 

 

Version : 06.01.2008 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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