Enseigne de Vaisseau Paul Bernard

Correspondance de guerre

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Dakar, 9 Février 1941

Chers Parents,

Comme vous voyez je suis toujours au Sénégal. La vie s'écoule régulièrement et les jours passent vite. Plus de 7 mois de colonies cela commence à compter. Je ne suis pas encore tout à fait fou mais cela va bientôt venir. En tout cas, au point de vue sentimental, la santé est excellente; aucune incompatibilité d'humeur entre les langoustes, les poulets rôtis d'une part et votre rejeton de l'autre n'est heureusement à déplorer.

Je n'ai ni la fièvre jaune, ni la dysenterie, pas même le paludisme. Aussi serais-je bien difficile si je me lamentais parce que mes cheveux se refusent toujours à friser. A propos de cheveux j'ai depuis 6 mois fait couper les miens. Je maintiens leur longueur entre 0,5 cm et 2 cm. C'est beaucoup plus commode pour mettre des bigoudis.

Sur ce, passons aux choses sérieuses. Le m/s "Eridan" a conduit à bon port la malle que vous m'avez envoyée. Elle est arrivée ici le 5. Point n'est besoin de vous dire que je l'ai accueillie avec des transports d'allégresse. Je vous remercie infiniment de m'avoir fait parvenir toutes ces choses qui vaudraient de l'or à Dakar s'il y en avait.

J'ai été un peu suffoqué de recevoir un "dernier souvenir de tante Clémence" . Vous ne m'aviez pas dit qu'elle était décédée. Je regrette de ne pas l'avoir vue avant sa mort. Je l'aimais et je l'estimais beaucoup, car c'était une bien brave femme.

- Je réponds à votre lettre du 18/1 reçue ce matin (8 jours après celle du 23 mais c'est souvent comme cela).

J'ai effectivement vu Briand sur le "Mehé II" à son passage à Dakar. Il n'a guère changé depuis septembre.

Je suis navré d'apprendre que Madame Gautier a du être hospitalisée. Faites-lui part de toutes mes condoléances. J'estimais beaucoup Mr Gautier qui fut pour moi un ami pendant mon séjour à Brest. (Je l'avais vu huit ou dix jours avant l'évacuation étant allé dîner sur le "Vauquois".)

J'ai été sincèrement déçu d'apprendre que ma ville natale ne s'était pas défendue contre l'envahisseur.Il ne faut surtout pas croire que ce sacrifice aurait été inutile, car si toutes les villes de l'Ouest s'étaient battues comme Tours et Saumur ont su le faire, on aurait eu 2 ou 3 jours de plus pour évacuer nos ports de guerre.

Ci-joint à cette épistole, plusieurs lettres destinées à être expédiées. Je m'excuse de vous occasionner un dérangement, mais c'est un grand service à rendre à mes camarades.

Je ne m'étonne pas que Maman ait été attristée par son voyage à Paris. On doit commencer à la "sauter" un peu. A propos des oncles Pierre et Jean qu'ont-ils fait au cours de la retraite de Juin.

Vous vous inquiétez de la façon dont je m'arrange pour faire blanchir mon linge. C'est très simple: je donne le linge courant à la buanderie du bord; mon ordonnance me repasse ce linge. Les blancs et les chemises de sortie, je les donne chez les bonnes soeurs qui s'en occupent très bien. Le blanchissage revient d'ailleurs assez cher ici, car on s'habille presque toujours en blanc.

Maman me dit qu'elle espère que je serai à Toulon cet été. Je n'y tiens pas du tout et je ferai tout pour ne pas rentrer en France. Je préférerais de beaucoup vous voir en Afrique du Nord . Pourquoi ne feriez vous pas ce petit voyage?

La vie ici est toujours la même. Le temps est toujours le même: un mois de juillet français. Le vent souffle régulièrement ce qui est précieux pour faire de la voile). Un certain nombre de mes loisirs est occupé par la lecture. A ce propos j'ai trouvé un bouquin que je vous recommande parce qu'il vous amusera. C'est "Sainte Marine" de Louis Guichard.

J'ai vu des capitaines de bateaux Delmas. J'ai d'ailleurs mis du savon sur "l'Agen" qui doit aller à Bordeaux.

J'ai été assez étonné la semaine dernière de voir dans les actualités du cinéma le s/s "Cens" gentiment endormi sur une roche. Cela m'a un peu suffoqué.

J'espère que "Monselet" et "Isac" viendront chercher de la cacahuète. Il y en a des stocks considérables à prendre à Dakar.

Ces temps derniers, nous n'avons fait que des sorties d'exercices. Nous faisons toujours de temps en temps des compagnies de débarquement dans la brousse. C'est toujours assez agréable. A part ça rien de neuf.

J'espère que tout le monde va bien à Nantes. Bonjours à tous. Je vous embrasse fort ainsi que tante.

 

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Version : 19.12.2007 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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