Chapitre 1: Et voici la bande!

Neuf heures et demie. Un effroyable vacarme dans l'escalier de la plage. Un automobiliste distrait qui prend un raccourci? Un éléphant échappé d'un cirque? Mais non, voyons! Ce n'est que la bande à Gossegoulue qui fait son incursion biquotidienne en territoire ennemi.

Au pied de l'escalier, Gossegoulue, Duchesse, Paton et Loulou marquent un temps d'arrêt. La première plage avec son restaurant, le palais du sable, la pyramide ou la deuxième plage avec sa croisière et ses bigorneaux? Gossegoulue hésite, puis dépasse le gros rocher. Le soyeux est là, Maman discutera avec lui et ne verra rien sie Loulou veut tenter la croisière. Aussitôt dit, aussitôt fait, la bande à Gossegoulue installe aujourd'hui ses quartiers sur la deuxième plage.

Maman achève l'escalier avec sérénité et franchit à son tour le gros rocher, alors la bande se met sans plus attendre en maillot, tout en devisant avec le soyeux. A peine Maman est-elle là que les filles se jettent à l'eau, selon le premier der rites immuables qui règlent étroitement toute journée à la plage: quelques que puissent être les attraits d'un lieu déterminé, tout perdrait sa saveur, si l'on ne commençait par un bon bain.

Maman a posé sa natte près du soyeux et, tout en jetant un regard lointain mais attentif sur les ébats de ses filles, a entamé une très sérieuse conversation. On y parle d'éducation, de langues étrangères, de rapprochement des peuples et même de philosophie. Inutile de dire que Gossegoulue a fui. Et elle n'a pas tort! Comment peut-on oser parler de Platon, lorsque la mer est calme et tranquille, le ciel azur ponctué d'un si beau disque d'or? Heureusement, la conversation a dérivé sur des sujets plus terre-à-terre et, du rocher où elle cherche les étoiles de mer, Gossegoulue les voit soudain creuser dans le sable et pousser des exclamations de surprise en se montrant des objets non identifiables à cette distance. Et cela continue! Gossegoulue laisse échapper l'"Echinaster Sepositus" qu'elle s'acharnait à traquer. Les soeurs ont rejoint le rocher-amiral et observent l'étrange scène, en attendant des ordres qui ne sauraient tarder.

- Allons-y, crie Gossegoulue.

Quatre plongeons, dont l'un n'est qu'une mise à flot: on a beau dire que "la valeur n'attend pas le nombre des années", il ne faut quand même pas exagérer!

Avant que Maman et le soyeux aient eu le temps de deviner la menace qui grandit au-dessus de leurs têtes, c'est le débarquement. Des cris, des rires, une course rapide et le soleil est brusquement caché par quatre têtes curieuses:

- Qu'est-ce que c'est?
- Qu'est-ce que vous faites?
- Montre!
- Je veux voir!

On a beau cultiver la vertu de patience, il est des moments où il devient extrêmement difficile de rester calme quand on voit s'écrouler devant soi dix années d'une éducation, ô combien pénible et laborieuse: Maman a perdu son self-control (et pourtant, elle ne parle pas anglais. C'est tout dire!).

- Martine et Anne! Je vous ai dit cent fois qu'on n'interrompait pas la conversation des grandes personnes!

Les intéressées feignent de ne pas comprendre ces noms barbares qu'on ose leur appliquer et tendent des mains avides vers le soyeux. Maman, déjà vaincue, tente de les excuser, mais le soyeux a été doté par la nature d'un heureux caractère et présente à l'admiration des foules, pardon des quatre filles, quelques adorables coquillages en réduction, délicatement ornés et dentelés. On peut avoir été surnommées les "Frères de la Côte" par les vieux grincheux de la plage que l'on "aurait" dérangés, (entendu parler de çà, vous?), on n'en est pas moins femme. Et toute la bande, provisoirement assagie, creuse à qui mieux mieux pour découvrir les précieux coquillages. On en fera des colliers, on les collera sur des boîtes, on les mettra dans le trésor, on les emploiera à faire palir de jalousie les petites amies. Le calme règne quelques instants. Maman n'ose croire à son bonheur, ce en quoi elle n'a peut-être pas tort. En effet, dix minutes plus tard, quatre diables sortent de la boîte, exigent de Maman qu'elle découvre, fabrique, invente illico quatre récipients pour quatre petits tas de coquillages et prennent la mer dans de grandes gerbes de flamme (d'eau, vous êtes sûr? Cela y ressemblait pourtant!), enfin, bref, dans de grandes gerbes tout court.

Un temps aussi bien employé ne peut que paraître très court. Déjà, Maman parle de retour. Mais en fait de montre, Gossegoulue ne connaît que celle de son estomac et elle a décidé de faire une croisière. Abrutie de supplications, d'exigences, voire même de larmes, Maman se laisse arracher la permission, les filles se précipitent à l'eau sans lui laisser le temps de se raviser. Car la croisière est toujours d'un grand attrait: il faut nager d'île en île en passant au-dessus de fosses sous-marines impressionnantes, ce qui ne fait qu'augmenter le plaisir. Gossegoulue a même du un jour repêcher Paton en fort mauvaise position, cela ne l'a d'ailleurs pas dégoûtée de recommencer dès le jour suivant.

L'une des étapes de la croisière est le rocher à souterrain, une galerie sous-marine s'y dessine en effet. Gossegoulue en a un jour reconnu l'entrée, mais elle n'a jamais poussé plus loin son exploration. L'idée ne viendrait certainement pas à Duchesse, Paton ou Loulou d'attribuer cet ajournement quotidien d'une aventure si extraordinaire à ce sentiment si bas et si vulgaire qui n'est souligné que de ricanements et que l'on nomme la peur. Un "frère" de la côte ne peut connaître semblable déchéance. Nous nous permettrons cependant de n'être pas de leur avis.

Brusquement, l'élan de la bande est stoppé net: quatre carillons internes viennent de se déclencher avec un ensemble parfait. Hésitation. Puis, les filles négligent le rocher voisin, piquent délibérément vers la plage, sans s'être même concertées du regard. Maman qui surveillait le mouvement, en fin stratège qu'elle est devenue, a déjà ramassé seaux et nattes. Elle n'a plus qu'à tendre quatre serviettes, exiger que l'on fasse des adieux suffisament polis au soyeux, et c'est une cavalcade forcenée dans l'escalier.

Ecartez-vous, tous: Gossegoulue a faim!

Version : 06.07.2003 - Contents : Marzina Bernez

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