La figure d'Armand CAMMARTIN, Capitaine au long-cours

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Voilier - Photo: Cdt Bernard Prézelin
Parmi les nombreux capitaines que mon père a connus, la figure d' Armand CAMMARTIN domine assurément.

Né à La Chapelle Basse-Mer en Avril 1840, A. CAMMARTIN doit quitter son village pour des raisons familiales dès l'âge de 17 ans. La seule solution qu'il trouve est de s'embarquer comme novice sur un trois-mâts en bois de 900 T. Au cours d'un très long périple, il s'amarine mais il travaille aussi. Il réussit à entrer au cours d'hydrographie, où il obtient brillamment son brevet de capitaine au long-cours.

Il n'a que 24 ans.

Peu d'années après, vers 1866, il arrive à St Nazaire venant des Antilles à bord d'un voilier dont il est second capitaine. Son armateur lui propose le commandement d'un autre voilier de même type, ce qu'il accepte avec d'autant plus d'empressement qu'il s'agit de faire un simple voyage aux Antilles.

Quatre mois y suffiront bien et cela fera juste le compte du temps des fiançailles, notre jeune capitaine venant de se promettre. Le mariage aura lieu au retour.

Las! Dans la navigation aussi bien que dans le commerce, il y a des imprévus. Quelles furent les raisons? Commerce, saisons, cyclones, contre-temps, bonnes affaires à faire, qu'importe; ce qui est certain c'est que ce voyage qui s'annonçait court n'a pas duré moins de 4 ans à travers l'Atlantique Sud, l'Océan Indien et les Mers de Chine.

La fiancée du Capitaine CAMMARTIN avait patiemment attendu!

Sans doute l'avait-il choisie à sa mesure, car il avait de la trempe comme vous allez le voir.

En 1871, après avoir chargé à Cardiff une cargaison de charbon et rendu visite au passage à Monsieur Eugène PERGELINE qui faisait son volontariat chez un agent maritime, le Capitaine CAMMARTIN, maître après Dieu d'un voilier de 900 T. fait route vers Montevideo.

La guerre franco-allemande n'est pas terminée quand il parvient sur la rade où sont mouillés des navires de diverses nationalités.

Un matin, au réveil, il aperçoit à la jumelle un pavillon f r a n ç a i s retenu par une drisse et qui pendait dans l'eau à l'extrémité du beaupré d'un voilier a l l e m a n d . Il n'hésite pas, fait armer sa baleinière et s'en va demander au capitaine de lui rendre le pavillon. L'Allemand ayant accepté, le Capitaine CAMMARTIN va couper la drisse et regagne son bord avec le pavillon non sans avoir été salué par son adversaire lorsque la baleinière a débordé.

Le débarquement du charbon terminé, restait à liquider le fret. Le réceptionnaire était allemand - cela n'avait rien d'étonnant en Uruguay - et l'opération devait avoir lieu à la légation germanique.

Malgré la guerre, les usages se respectaient et le règlement du transport devait être marqué d'une coupe de champagne.

Au toast, le chancelier, levant son verre, s'écria: "à REICHSHOFFEN". CAMMARTIN relevant l'offense jette alors sa coupe par la fenêtre. L'affaire ne pouvait se régler que par les armes. Le duel eut lieu à l'épée et se termina par la mort du chancelier allemand.

Quittant MONTEVIDEO, le Capitaine CAMMARTIN remonte la Plata jusqu'à BUENOS AYRES pour y prendre un chargement de mules destiné à l'Ile Maurice. Un secrétaire de la légation d' ALLEMAGNE à MONTEVIDEO, pressé de venger son collègue est venu à BUENOS AYRES.

Il provoque CAMMARTIN et c'est un deuxième duel, cette fois au sabre. Le combat a lieu derrière la caserne de BUENOS-AYRES; l'Allemand est blessé au poignet et, en présence des témoins, les deux adversaires se réconcilient.

Cette réconciliation n'est pas de pure forme, car deux ans après, un concours de circonstances réunit à MONTEVIDEO le Capitaine CAMMARTIN encore une fois sur la rade et le secrétaire de la légation. La guerre 70/71 est terminée et l'Allemand, beau joueur, marque l'estime en laquelle il tient le Français en lui demandant d'être le parrain de son fils.

Pour varier les plaisirs, le Capitaine CAMMARTIN passe de l'escrime et des règles de la courtoisie à un autre sport moins bien codifié. Vers 1872, il remonte la mer de Chine depuis la Sonde, et se trouve quelque part au large de SHANGHAI, lorsqu'au petit jour il aperçoit une jonque faisant route vers son voilier. Il suit sa manoeuvre à la jumelle et n'est pas long à s'apercevoir que cette jonque est armée par des pirates; aussitôt, c'est le branlebas de combat; CAMMARTIN attaque la jonque qui, après plusieurs rafales, vire de bord et fuit vers son repaire.

C'est surtout dans un autre secteur, celui des îles Paracel, au large du Golfe du Tonkin et près de la route détroit de la Sonde / Japon que les pirates avaient leur refuge, mais il fallait être prudent partout et se méfier aussi bien des jonques suspectes que des passagers. Le Capitaine CAMMARTIN a commandé un cargo de 1.500 T. armé de 4 ou 5 européens seulement et d'une bonne équipe de Chinois auquels il pouvait faire confiance. Avec ce navire, il assurait des voyages entre le Golfe de Petchili et SHANGHAI; outre les marchandises, il transportait des passagers à l'égard desquels des précautions s'imposaient. Parmi les coolies, pouvaient se glisser quelques forbans cherchant à s'emparer du navire et des marchandises. Pour se protéger contre toute entreprise, il était nécessaire d'isoler par des grilles le roof machine et la passerelle; les passagers ne pouvaient avoir accès au poste de commandement du navire; en outre, on veillait et vous pouvez penser qu'avec Armand CAMMARTIN, on veillait bien.

Du courage, le Capitaine CAMMARTIN en a à revendre.

Embarqué en qualité de second capitaine sur un cargo de 4.000 T. (c'était alors un grand navire), il transportait 1.500 coolies de la Côte ferme (Amérique Centrale) vers MACAO (enclave portugaise en Chine du Sud); alors que le navire approchait du Cap de Bonne Espérance, CAMMARTIN est informé que la circulation ne se fait plus au condenseur et qu'on doit envisager une relâche dans la baie de la Tabie. Il n'hésite pas; il revêt un équipement de scaphandrier et plonge pour dégager les crépines des prises d'eau à la mer. L'opération ne demande pas une journée et le navire reprend sa route. Aujourd'hui, on verrait moins facilement un tel dépannage.

Entre 1876 et 1880, le Capitaine CAMMARTIN se trouve de nouveau dans le Golfe de Petchili où il fait de l'hydrographie. Entre ses travaux, il transporte des marchandises vers la Chine.

Une fois pourtant, notre héros se crut perdu. Parti de la Plata, il faisait route vers l' Ile Maurice avec un chargement de mules. Au large de Bonne Espérance, un ouragan éprouve sérieusement la coque en bois de son trois-mâts "TANJOR".

Les marins doivent se relayer à la pompe mais au bout d'une dizaine de jours, ils sont épuisés. La manoeuvre des voiles et les soins à donner aux mules auraient suffi à les éprouver. Découragés, sans force, ils s'arrêtent de s'éreinter à la pompe de cale. Le Capitaine qui connait l'importance des avaries à la coque se résigne à son tour: il se retire dans sa cabine pour faire ses adieux à la photographie de sa femme. Non, ce n'était pas encore son heure. Les matelots se resaississent et se remettent à la pompe. Le Capitaine CAMMARTIN reprend espoir en entendant le bruit de la pompe, il va aider ses matelots, leur insuffle un nouveau courage et après dix nouveaux jours de pompage, le voilier arrive à l' Ile Maurice.

Mais tout a un terme. Le Capitaine CAMMARTIN quitte la navigation. Il ne reste toutefois pas inactif et entre aux Voiliers Nantais en 1898 en qualité d'administrateur. Il demeurera dans ces fonctions jusqu'à l'absorption des Voiliers Nantais par les Chargeurs de l'Ouest dont il sera l'administrateur, puis administrateur délégué. Il démissionera en 1919 pour prendre à 79 ans une retraite bien gagnée.

Homme d'action, Armand CAMMARTIN avait aussi une parfaite connaissance des questions maritimes, ce qui lui valut la considération des "clubs" anglais, notamment de A. BILBROUGH and Co. Il réussit à gagner deux procès que le club ne tenait guère à engager. Le premier opposait le trois-mâts "Amiral CECILLE" au paquebot américain "MULTNOMAH"; les faits s'étaient déroulés en 1940 devant TACOMA. Malgré deux jugements d'appel contre lui, le Capitaine CAMMARTIN ne s'avoua pas vaincu et réussit à gagner en dernier ressort après 9 ans de procédure. Le second procès se rapportait à l'échouage en Tamise du "Maréchal SUCHET" qui était à la remorque d'un remorqueur de la Cie "Walkins". S'appuyant sur le jugement de l'Amiral CECILLE, l'administrateur des Voiliers Nantais réussit ce tour de force de faire condamner non seulement un Anglais par un tribunal de LONDRES mais aussi une Compagnie de remorquage, ce qui, pour les professionnels du maritine, ne se voit pas souvent.

 

 

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