Médecin général Adrien Carré

Croisière, Gens de Mer et Région Maritime

Index

"CHEF DE GAMELLE"SUR LE "LEYGUES"

Après trois ans à Concarneau, il sollicite son retour dans la Marine Nationale et un embarquement. Pensant que ses prises de positions et l'ambiance de l'époque ne lui permettent d'espérer qu'un poste d'un intérêt "limité", c'est avec surprise qu'il se voit désigné comme médecin-major du croiseur "Georges Leygues".

"Cette croisière fut un enchantement …d’un intérêt exceptionnel" 

Il s'agit de croisières chargées d'accompagner différentes missions internationales ou nationales en Grèce, en Crête, en Afrique du Nord et enfin aux USA.

Médecin-major du croiseur, il est en même temps "désigné", en tant que nouvel arrivant et le moins ancien des officiers supérieurs, comme "chef de gamelle vivres et bibine"du mess des officiers supérieurs où il se retrouve en outre, responsable de l'accueil et des réceptions des délégations, des diplomates et personnalités, en particulier étrangères, reçues au "carré".…

"Sur ce bâtiment, spécialiste des missions diplomatiques aux escales nombreuses et réceptions multiples, ce poste amenait et nécessitait une connaissance approfondie des subtilités sociales, diplomatiques et hiérarchiques…" 

Cela s'ajoute à ses responsabilités de médecin-major:

"En dehors même de la simplicité de l’appareillage chirurgical, radiologique, anesthésique, dentaire, il n'y avait alors rien dans le domaine dit actuel et si important de l'électrocardiologie, de la recherche biologique, et de la réanimation. Certaines notions, majeures aujourd'hui, n'existaient pas. Je pense rétrospectivement qu'il aurait pu survenir dans notre "clientèle"de passagers de tous âges (des VIP de l'ONU), par exemple des accidents cardiaques. Ceux-ci sont la hantise des voyages modernes. Or personne, à l'époque, ne pensait à l'infarctus; si un accident se produisait, c'était alors une embolie, et personne n'y pouvait rien. Pourquoi, à l'époque, les angines de poitrine, connues et maîtrisées, étaient-elles la maladie cardiaque (en dehors des maladies cardio-vasculaires), et l' infarctus pratiquement inconnu?" 

"Dans la pratique de l'époque, en fait d'incidents d'urgence, en dehors des traumatismes, on n'envisageait guère que les appendicites aiguës et les hernies étranglées. Ces considérations montrent l'abîme qui sépare la médecine (à bord, mais aussi ailleurs) de 1947 et celle de nos jours. Et encore! La pénicilline apportée par les américains avait déjà bouleversé le traitement et le pronostic des infections… "

LES "GENS DE MER"A NANTES

Il arrive à Nantes en fin 1948 d'abord comme médecin-chef du Quartier de l'Inscription Maritime à Nantes (5.000 marins). Quelques années après, il devient, jusqu'en 1959, Directeur du Service de Santé des Gens de mer pour la Bretagne-Sud et la Vendée, avec 14 Quartiers maritimes et sept médecins. Il retrouve alors la ville de sa jeunesse et souvent les amis, médecins, entre autres qu'il y a laissé.

A côté du monde de la pêche, encore développé, il prend contact avec le monde complexe de la marine marchande et ses problèmes spécifiques. Chaque année, et après 22.000 examens radioscopiques, ce sont environ 70 cas de tuberculose confirmée qui seront détectés.

C'est ainsi qu'il est amené, entre autres, à conduire une importante étude sur les conséquences du bruit sur la santé des mécaniciens des bâtiments et sur les moyens d'y remédier. C'est l'exemple de ses activités que nous retiendrons. Ce travail lui vaudra en 1958 l'attribution, pour la deuxième fois de sa carrière, du prix annuel de Médecine navale.

…"Un syndicat étant venu se plaindre auprès de moi du bruit excessif des machines modernes des navires, et qui allait rendre sourds les personnels des machines, j'entrepris aussitôt une enquête, à la fois sur les moteurs et sur les oreilles du personnel. Au début, ce fut la panique chez les armateurs et les constructeurs. "On"me conseilla, au ministère, sur une lettre dactylographiée (pour se garder auprès des armateurs et constructeurs) la plus grande prudence… "

C'est ainsi que durant plusieurs mois, avec son adjoint, le docteur Lebec, il est amené à descendre ou à remonter la Loire entre Nantes et la mer [1]. Trente bâtiments seront ainsi étudiés:

"Monter ou descendre l'échelle du pilote par temps frais et mer agitée, avec mon lourd instrument pendu au cou, relevait parfois de l'exploit sportif… Je n'aurais jamais pu entreprendre cette enquête, à quai, en Loire ou en mer… si je n'avais pas été un ancien "matheux", un ancien mécanicien de ligne, breveté des chemins de fer de l'Etat, un vrai marin ayant beaucoup navigué et familier des machines et des mécaniciens et attentif à tout progrès dans le monde…".

Finalement, après deux ans d'enquête, on en vint, devant le danger enfin admis, à la solution préconisée : les cabines de conduite protégées à la fois du bruit et des émanations toxiques, autre problème.

"…On me prodigua alors félicitations, prix scientifiques, publications... Le fait que le Service de santé des Gens de mer soit confié à des médecins de la marine de guerre "détachés", facilita les choses : j'agissais en "homme du roi"en usant de prérogatives… royales pour briser toute entrave aux études. Justement, on cessa très vite toutes obstructions. Jamais un "médecin du travail"civil n'aurait pu mener cette entreprise à bien. Mais j'avais aussi l'appui total de tous les personnels des machines et même de tous les officiers…"[2]

Parmi les problèmes liés à l'exercice de ses responsabilités, il revient souvent sur ceux posés par les visites d'aptitude et les "cas de conscience"que celles-ci peuvent être amenés à poser au médecin :

"Problème lancinant, pour un médecin "honnête" que celui des aptitudes… Or ma carrière devait me donner pendant de longues années, des fonctions comportant une part importante de décisions d'aptitude ou d'inaptitude : sur "l’Armorique", dans les Alpes, puis de 1943 à 1946 aux "Gens de mer", à Concarneau et de 1948 à 1959 à Nantes."

Au sujet des visites des marins pêcheurs aux "Gens de mer":

"Plus que le service de l'Etat, la sécurité primait tout… On imagine les scrupules du médecin des gens de mer! Peut-être en certains cas ai-je été trop sévère ? Mais imaginez aussi pour tous ces problèmes d'aptitude (et d'autres!) les pressions d'armateurs, des syndicats de marins, des députés… Ma réputation étant établie, des armateurs envoyèrent leurs capitaines - ou d'autres officiers ou patrons - se faire examiner ailleurs pour la visite annuelle. Certains eurent à le regretter à la suite de la perte de leur navire!... Je pourrais faire un volume sur mon expérience: vue - sécurité - accidents - pertes humaines… sans parler des résistances à toutes les nouvelles mesures de sécurité!"

…"Mais quels problèmes insolubles quand l' inscrit maritime ainsi découvert n'est plus jeune, souvent père de famille : changer de catégorie peut causer un lourd préjudice ! Quels débats dans la conscience des médecins qui pèsent ce préjudice causé au marin et les dangers qu'il fait courir. Un jour un inscrit, maintenu par nous par tolérance, a été cause d'un abordage qui a envoyé par le fond un bateau de 8 hommes qui ont été sauvés in extremis… Combien de faits analogues - autrefois méconnus pourraient être cités…"

…"Quand j'étais à Nantes aux "Gens de Mer", mes opinions "réactionnaires", au fond, étaient utiles. Quand il m'arrivait de défendre, même en justice, le marin contre des compagnies de comportement inadmissible (elles étaient rares), nul ne pouvait m'accuser de démagogie ni de "gauchisme".

Il y a un autre domaine dans lequel il se sentait "libre"et sans complexe: Nantes et la Bretagne.

Même s'il reconnaissait avoir le "vin plutôt bourguignon" [3] de par ses origines paternelles, il était fier d'être né à Brest, "Brest même…"et d'une éducation dans une ambiance très brestoise, celle de ses ancêtres, marins, paysans ou commerçants, Le Goff, Stephan, etc. Marin, il avait passé une partie de sa carrière à Brest et en Bretagne. Il se sentait très proche et de "plein pied"avec cette population maritime bretonne qu'il aimait et qui - semble-t-il - le lui rendait bien. Médecin, il était un fin connaisseur de la psychologie de ces marins. Ceux qui l'ont entendu, jusqu'aux derniers jours, chanter avec émotion la fameuse "Complainte de Jean Quéméneur"voient ce que je veux dire! Pourtant, il manifestait son opposition à ceux qui voulaient imposer la "bretonnitude"à une ville, Nantes, qu'il voyait, au contraire, assez éloignée de l'âme bretonne, avec ses caractéristiques positives et négatives… Les membres de l'Académie de Bretagne s'en souviennent sans doute… à la façon passionnée dont il défendit la décision d'y ajouter "et des Pays de Loire"…

DIRECTION D’UN ARRONDISSEMENT PUIS D’UNE REGION MARITIME.

En décembre 1959, il revient dans la Marine Nationale au poste de médecin chef de l'arsenal de Cherbourg, alors en pleine réorganisation avec la construction du "Redoutable", premier sous-marin nucléaire. Il se trouve ainsi à exercer dans le cadre d'une des missions les plus anciennes du Service de Santé de la Marine. Elle est liée à ce développement de la marine autour de ses ports, de l'hôpital et de l'arsenal.

"Là aussi, devant les syndicats, mon expérience apprise pendant mes étés de locomotive fut capitale, non seulement au point de vue technique, mais psychologique d'autant plus que ma formation m'a toujours mis dans les meilleurs termes avec les ingénieurs du Génie maritime. Si bien, que sans une sanction, je fis tomber de 65.000 à 50.000 le nombre de jours de maladie"

(En particulier l'asthénie!)

Puis, du 26 février au 16 décembre 1962, il assure pendant six mois l'intérim et les responsabilités de Directeur du Service de Santé de la Région maritime, poste normalement dévolu à un médecin-général. Il accède ainsi à une nouvelle responsabilité, essentielle : collaborateur direct de l'amiral, commandant l'Arrondissement maritime ou du Préfet maritime. Tous les problèmes médicaux, maritimes ou sociaux, techniques et immobiliers concernant l'hôpital, l'arsenal, les ouvriers, les troupes, sont de son ressort. Il donne son avis lors des conseils d'avancement pour les médecins des bâtiments. C'est ainsi qu'un des soucis majeurs du Directeur, à ce moment est la modernisation et le suivi de l'hôpital maritime. Il racontait souvent comme il fut même conduit à prendre la décision de faire restaurer l'aigle impérial de sa façade… preuve de son oecuménisme politique…

De janvier 63 à mai 1965, il est envoyé à Lorient, comme Directeur du Service de Santé de l'Arrondissement maritime.

Le 21 Avril 1965, il revient à Cherbourg, cette fois officiellement comme Directeur du Service de Santé de la Ière Région maritime. Il occupe désormais les fonctions et responsabilités qu'il avait déjà occupé deux ans auparavant "par intérim".

Il est promu médecin général en juillet 1966…

"Mes six mois de Directeur - à étoiles - prolongeant mes autres années de direction, me permirent de donner un plan solide au Service de Santé du port… Et j'eus à diriger, pour toute la Manche (côtes françaises) sur le plan médical (ce qui impliquait logistique des transferts, évacuations, soins etc.) le dernier grand exercice Fallex de l'OTAN auquel participa la France en 1962."

Il quitta le service actif le 1er décembre 1966, 40 ans après être entré dans la Marine.

 

 

Page précédente   Page suivante

 

 

[1] "La croisière du Floridor" Cahiers de l’Académie de Bretagne 1986

[2] La première cabine de ce type fut mis en place sur le cargo "Jumiège".

[3] Il fût intronisé "Chevalier Bretvin" ( Muscadet nantais) en Mars 1957, puis Consul en 1980.

Version : 20.01.2005 - Contents : Général Claude Carré

Codewriter: Visual Basic Application - Programmed by : Marzina Bernez
Webdesign & Copyright : Marzina Bernez

URL http://bernard.hesnard.free.fr/Carre/ACarre4.html