Médecin général Adrien Carré

Temps de Guerre

Index

LA GUERRE [1]

Arrive la guerre, la mobilisation, etc. Pour lui, c’est d’abord les embarquements où plus d’une fois le destin est de son coté, le séjour en Angleterre et l’heure des choix. Pendant deux ans, 1941-1943, il est médecin dans les Alpes où la Marine tente de regrouper marins puis enfants des marins. En 1943, il est désigné pour être "médecin des Gens de mer" à Concarneau, responsabilité nouvelle confiée aux médecins de la marine nationale.

A la pré-mobilisation, il est un moment embarqué par erreur sur "l'Audacieux". Puis, comme…"je ne voulais pas faire une guerre à terre ou à l'arrière", il cherche un embarquement. Mais le commandant du "Bison", qu’il sollicite, a déjà trouvé un médecin :

"Pauvre commandant Bouan. Il avait laissé passer sa chance ! Au convoi de retour de Namsos, une bombe le tua et coula  "le Bison". Son médecin fut sauvé, mais après avoir été coulé deux fois en trois heures ! ..." 

Puis…

"Nous étions à l'Ecole des Mécaniciens deux médecins de 1ère classe. Le destin trancha : mon camarade Ch… fut désigné pour "la Bretagne": il devait périr à bord de ce cuirassé chaviré le 3 Juillet 1940 à Mers el-Kébir. Le sort m'envoya sur "le Paris ", à Brest… "

Ce dernier, vieux cuirassé de 23500 tonnes, qui marchait toujours au charbon, incapable de naviguer, est pourtant envoyé opérer en Manche. A Cherbourg, comme au Havre, il voit les autres bâtiments, remorqueurs ou autrescouler autour de lui. Il semble bénéficier d'une protection. La bombe qui aurait du l'envoyer par le fond n'explose pas…

"Au passage, elle avait fracassé l'infirmerie. Elle était vide des malades que j'avais fait transférer dans un local mieux protégé ".

Puis le "Paris"est envoyé en Angleterre :

" Le 3 Juillet, au petit jour, étant à quai dans l'arsenal de Devonport, nous fûmes pris d'assaut par les Anglais [2]. Comme il y avait eu sur le "Surcouf"[3], qui était à couple de nous, entre officiers, un combat au revolver, digne d'un saloon de western (un Français tué, quatre Anglais), je fus appelé pour m'occuper, en somme, des premières victimes de la journée de Mers el-Kébir.".

C'est alors de justesse que l'arme d'un jeune officier anglais destinée à le tuer est détournée.

Après trois semaines, "prisonnier", sur le camp de course d'Aintree, les Anglais décidèrent de faire partir le même jour, de Southampton, sur le "Meknès"et de Liverpool sur le "Jean Louis Dreyfus", de forts contingents de réservistes. Les officiers logés sous sa tente furent partagés entre les deux navires et lui, seul d'active, mais médecin, fut désigné pour le "Jean Louis Dreyfus"Le "Meknès"fut torpillé, avec 400 morts… Le "Jean L.D.", après s'être réfugié à Lisbonne, où il eût droit à la mutinerie d'une partie de ses 1500 réservistes, mis en vrac sur ce navire, parvint sans encombre à Toulon, le 2 août.

Enfin, le 4 août, sur le port de Toulon, il est sollicité pour embarquer sur "l’Audacieux". Il décline la proposition, car il doit auparavant rassurer son épouse qui attend un enfant, l'auteur de ces lignes. Le 27 septembre, ce sera le combat de Dakar. "L’Audacieux "au détour d'un banc de brume, fut foudroyé et incendié par un croiseur anglais. Le médecin y trouva la mort…

Et en août 1944, à Concarneau, il retrouve la guerre . Médecin des "gens de mer" , responsable de la défense passive, devant s'occuper d'une foule de vieillards, plus ou moins abandonnés, faisant la navette entre les lignes pour faire accepter les trêves, il doit, pour s'assurer qu'il n'y aura pas de représailles, affronter le commandement allemand, passablement énervé par l'utilisation par les résistants des ambulances de la Croix rouge. Une fois encore, il ne doit son salut qu'à l'intervention de dernière minute d'un officier de marine allemand qui peut attester qu'il est un vrai médecin qui, de plus, a accepté de soigner une fois un blessé allemand! Et personne ne fut fusillé!

Il rejoint quelque temps un bataillon de fusiliers-marins sur le front de Lorient.

SEJOUR EN ANGLETERRE

Avant de poursuivre, abordons certains des évènements qui nous permettent de comprendre l’ ambiance et l'environnement qui déterminèrent les choix de certains qui se trouvèrent alors en Angleterre.  Le texte qui suit est un extrait de l'introduction, écrite en août 1980, du document déposé au Service Historique de la Marine et concernant l'année 1940, alors qu'il était en Angleterre.  

"… L'annonce de l’attaque anglaise à Mers el-Kébir fut pour nous un coup de tonnerre quand nous l'apprîmes le lendemain par les journaux anglais, alors qu'il nous était distribué dans les camps des communiqués puérils à force de mensonges. Hélas!... ".

…"Personne ne connaissait parmi nous ce qu'on a appelé par la suite "l'Appel du 18 juin", le texte qu'on lit actuellement dans les cérémonies officielles. Peut-être cela valait-il mieux pour les rescapés des combats qui savaient à quoi s'en tenir ?…Je n'ai jamais lu ni pu obtenir de quiconque la réponse à la question essentielle:

que ce serait- il passé si le Maréchal n'avait pas conclu l'armistice ?…".

…"Le 18 juillet à Liverpool… de Gaulle réunit environ 100 marins de tous grades. Deux officiers qui partageaient ma tente y allèrent et revinrent en nous rapportant que de Gaulle avait dit : "Je ne sais pas qui gagnera la guerre, mais il faut quelqu'un qui joue la carte anglaise". Il y a donc à la base un mensonge fondamental. Et pourquoi dans ces conditions déverser des tombeaux d'injures et d'accusations contre le maréchal ?...C'était si odieux que vint le jour où sur mon carnet au mot "Pétain"succède le "maréchal Pétain"...

"…Un fait est important et semble avoir été passé sous silence. La propagande gaulliste, par presse et radio n'était pas à base de patriotisme mais à base de politique intérieure axée sur la perte des avantages du "Front populaire". Le résultat fut double : les officiers et les équipages d'active en furent exaspérés, et la masse des réservistes, si la propagande gaulliste, réussit à les faire douter de Pétain, elle ne réussit en rien à recruter des gens qui avaient une idée fixe : rentrer chez eux, d'où la mutinerie du "Jean Louis Dreyfus". …

En effet, sur le "Jean Louis Dreyfus"une forte minorité de marins se rebella parce qu'elle ne voulait pas regagner Toulon, mais être démobilisée à Lisbonne - et même, à Bordeaux chez les allemands ""

"…Cette histoire du "Jean Louis Dreyfus"a toujours été cachée, mais elle est symbolique de l'époque. Plus tard, ces mêmes "mutins"(environ 500 sur les 1300), prêts à tout, en accusant les officiers de vouloir leur faire continuer la guerre (C'est pourquoi ils refusaient d'aller à Toulon), racontèrent - des années après - que c'étaient les officiers qui leur avaient fait quitter l'Angleterre… "…dont le maire " résistant "d’une ville importante … Une réflexion typique mais qui m'avait frappée:

"Il faudra en faire des grèves pour retrouver tout ce qu'on a perdu..."!

DES MARINS DANS LES ALPES

Dès la conclusion de l'Armistice, l'Amiral de la Flotte décida qu'aucun marin démobilisé "ne vagabonderait sur les routes", que la Marine assurerait à ceux de la zone interdite qui ne pouvaient rentrer chez eux une "vie décente et saine" jusqu'à ce que leur démobilisation complète fût possible. Au lieu de les garder casernés aux appontements de Millau, à Toulon, il fut décidé de les placer dans des camps d'accueil, dont l'organisation fut confiée au Service Central des Oeuvres de la Marine (SCOM).

Adrien Carré fut, comme médecin, chargé de l'organisation de ces camps, qui, dans un premier temps, devaient accueillir 1800 marins.

"… Le problème alimentaire se posa assez rapidement, mais ne devint aiguë - sinon tragique à Grenoble - que progressivement… Si on pense que j'ai passé trois hivers dans les Alpes, à courir les routes par tous les temps, dans des voitures non chauffées, on peut imaginer qu'il m'arriva bien des incidents…"

Mais, les camps bien construits et organisés, il fallut se rendre compte qu’ils se vidaient… Les marins retournaient chez eux. Que devinrent-ils, en Alsace-Lorraine ? C'est alors qu'il fut décidé de transformer ces centres d'accueil en un grand ensemble de colonies de vacances pour enfants de la Marine (arsenaux compris) de Toulon, ce qui va changer la vie des camps. Une très lourde responsabilité lui incomba dans la nouvelle organisation. Outre la sélection des enfants, des moniteurs et des cheftaines (200), le maintien ou l'amélioration de la santé de cette foule d'enfants des deux sexes affaiblis par la disette de Toulon, il a un rôle majeur dans la mesure où le succès reposait sur les principes médicaux de base et sur la surveillance établie sous sa responsabilité.

CONCARNEAU ET " GENS DE MER "

En fin 1942, il est sollicité pour une toute autre carrière. D’avril 1943 à 1959, soit pendant 13 ans, malgré quelques interruptions, il servira en effet "détaché" auprès de la marine marchande pour le Service de Santé des Gens de mer, qualificatif qui regroupe, "grosso modo" , les marins civils et leur famille, "inscrits maritimes"qui alors ressortissent du système colbertien des "classes"et des "Invalides de la Marine"[4] 

Un premier séjour (1943-1946) comme médecin du quartier de Concarneau, puis de 1948 à 1959 comme médecin du quartier de Nantes, puis médecin-chef de la circonscription Bretagne Sud Vendée soit de Douarnenez aux Sables d'Olonne. C'est au cours de cette mission qu'il se vit attribuer deux fois le prix de Médecine navale pour les travaux qu'il y effectua (étude sociologique sur la population maritime du quartier de Concarneau et l'organisation du service, et le bruit dans les machines modernes ). Le contrôle médical d'avant-guerre par "médecins désignés", ne donnait pas satisfaction. Il avait donc été décidé de créer un Service de Santé des Gens de mer qui exercerait dans chaque Quartier les fonctions actuelles de médecin de la Sécurité Sociale et de médecin du travail… La dissolution de la marine en France, après le sabordage, permettait de disposer d'un nombre important de médecins de marine qui seraient "camouflés"… La marine trouvait ainsi le moyen de continuer d'encadrer les marins démobilisés et les réservistes. Cela représentait environ une cinquantaine de médecins. Le quartier de Concarneau comptait environ 4500 marins inscrits.

Ce Service fonctionna environ un demi-siècle et peu à peu disparut quand l'Inscription maritime devint les "Affaires maritimes". Il comprenait au début des années 1970 une trentaine de médecins et 40 infirmiers, pour environ 100.000 marins et avec les pensionnés et leur famille, environ 500.000 personnes.

"J’avais un atout au départ : Mes deux années sur l’"Armorique"m'avaient familiarisé avec les techniques maritimes proches de la pêche, d'autant plus que parmi les catégories formées au groupe des Ecoles de l'Atlantique se trouvaient les "gabiers provisoires", tous inscrits maritimes provenant des jeunes marins pêcheurs… sans parler de mon expérience d'innombrables séjours sur les passerelles, à la mer, ou durant les entrées et sorties de port - toutes les nécessités de la vue à la mer, acuité visuelle et couleurs. En outre, j'avais une sérieuse connaissance de l'histoire maritime récente, y compris celle des navires où avaient pu faire leur service les patrons les plus anciens, comme les marins qui venaient d'achever leur service. Ce qui allait m'être très utile, dès le début, pour me situer dans ce milieu qui allait être le mien pendant de nombreuses années. …"

… "Dans mes fonctions, j'avais la visite d'hygiène de tous les bâtiments de pêche (visite annuelle). J'ai des carnets pleins de notes sur tous les bâtiments. Notes griffonnées, mais qui vous montreront comment j'étais "inséré"dans le milieu…"

… "Il fallait décider des  aptitudes et des inaptitudes en cours de carrière, des taux de pensions d'invalidité, "origine"ou non, etc …(aptitudes aussi bien physiques, mesurables, que psychologiques, beaucoup plus difficiles et délicates à mesurer). Les problèmes d' ouïe, de vue et plus particulièrement ceux liés à la dyschomatopsie souvent à l'origine des accidents…"

C'est ainsi que d'octobre 1943 à juin 1946, il fut conduit à assurer 12.968 visites dont l'organisation fut confiée au 1620 visites radiologiques en trois ans :

"En me remémorant ces visites, j’ai l’impression d’avoir vécu une époque préhistorique. Car j'ai assisté après la guerre à la prodigieuse évolution de la pêche… C'est un autre monde maritime ! …" [5]

Son séjour à Concarneau restera pour lui l'un des temps forts de sa carrière.

"J’avais pour le plus humble des matelots une affection due, à la fois à mon hérédité [6], et à ce qu'avait pu faire de moi ma vraie vie de marin… Comme Breton, je savais ce que mon interlocuteur avait dans la tête, mais Bourguignon, je ne réagissais pas en Breton!... C'est la chaleur de l'insertion dans la population, et celle du groupe de nos amis - et pour moi la totale "sympathie", au sens propre du mot, que j'avais pour les marins qui nous ont, en somme, rendus heureux à Concarneau…" 

En 1989, un ancien marin raconte :

"…Quand on l’a vu venir chez nous, on s’en méfiait, car c’était un "Pétain"… Alors on avait dit qu’on lui ferait la vie dure… Il nous fallu peu de temps pour voir que c'était quelqu'un de très bien… Car lors des départs pour le STO (Service du Travail Obligatoire en Allemagne) des inscrits maritimes, ceux-ci devaient passer une visite médicale chez le médecin des gens de mer… et bien, il n'avait pas peur de se mouiller, car les inaptes étaient nombreux, et souvent ils n'avaient rien. Il fallait le faire… ! " [7]

 

 

Page précédente   Page suivante

 

 

[1] "La loi d’Azaïs" A.Carré  dans Vieux Bahut 1985

[2] Opération "Catapult" du 2 et 3 juillet 1940.

[3] Sous-marin

[4] En effet, Colbert avait créé le système des "classes", devenues l’ Inscription maritime en 1795, qui imposait déjà un véritable service militaire à tous les marins du commerce et de la pêche, agrégeant ainsi ces derniers, comme d’ailleurs les ouvriers des arsenaux, à l’ organisation maritime royale. Ces marins civils en contrepartie bénéficiaient des hôpitaux maritimes et d’un système de pensions et de retraites, véritable sécurité sociale avant la lettre, gérée par l’Institution nationale des Invalides mis sur pied entre 1669 et 1673. Cf :" La Révolution colbertienne et l’assistance aux populations maritimes des origines à 1673" et "Evolution du système des classes-Invalides" Adrien Carré ; Actes du 97ème Congrès national des Sociétés savantes (1972) Paris, BN. 1976.

[5] Certains de ses rapports, ou ceux de ses collaborateurs, sont de vrais documents décrivant dans le détail, et pris sur le "vif", les conditions de travail des pêcheurs en mer, qui feraient sans doute le bonheur de revue comme le "Chasse-Marée"…

[6] Un de ses ancêtres était mort en mer devant Yorktown (1781), plusieurs autres furent mousses puis maîtres d’équipage…

[7] Rapporté par Henri Landais, ancien infirmier à Saint Nazaire. En fait, il s’agissait, semble t-il, des visites d’aptitude à la navigation que venaient passer sans hésiter les réfractaires au STO, comme les autres marins-pêcheurs.

Version : 20.01.2005 - Contents : Général Claude Carré

Codewriter: Visual Basic Application - Programmed by : Marzina Bernez
Webdesign & Copyright : Marzina Bernez

URL http://bernard.hesnard.free.fr/Carre/ACarre3.html