Deux aspects du mince mais instructif drame de Bizerte y ont été particulièrement en évidence: D'abord le cas illucidé de Derrien, l'homme de devoir, le chef à la conscience écartelée, dont le destin tragique a été non pas d'être condamné par un Tribunal militaire d'exception sur le plan du code de justice maritime, mais de s'être trouvé sur le plan de la réalité concrète, à la fois absous comme amiral et cruellement désavoué comme homme. Son attitude envers l'occupant a été ignorée de beaucoup et, par quelqu'uns calomniée. Au point que l'ancien chef de l'escadre de Méditerrannée le vice-amiral Docteur a pu écire, sans que nul ne l'ait démenti, qu'on rendra un jour justice à sa mémoire.
En second lieu, l'analyse de cet affligeant phénomène psychologique que fut, après la libération de la Tunisie, la première reprise de contact entre les français libres et les français emmurés de Bizerte. Confrontation émouvante, qui eut pu être un acte de communion de deux groupes nationaux dans leur patrie retrouvée, mais qui fut un échec de leur conduite patriotique, inséré dans le désarroi de la conscience nationale. Echec dû avant tout à l' incapacité, de la part de combattants rentrant d'un triomphant exil, de comprendre l'état d'esprit de compatriotes restés durant de longs mois exclus du combat et encore sous le coup de leur déprimant isolement. Et de surmonter leur propre rancune, bien légitime et accumulée par des années d'héroïsme déçu, autrement qu'en la projetant en représailles justicières sur des camarades, sur des frères, pris par eux comme émissaires responsables des épreuves de tous.
Ce livre a été écrit en hommage à la Marine - à celle d'avant la Libération. A celle que l'auteur a aimée et admirée pour en avoir pénétré, dans un contact humain prolongé, avec ses chefs, ses officiers et ses équipages, l'esprit de parfait désintéressement, la noblesse de coeur et la ferveur patriotique. Elle a failli être discréditée dans l'opinion publique. Pourtant, celle-ci, une fois exactement informée, a su discerner le sens hautement méritoire des humiliantes abnégations qu'elle s'est laissée, par obligation morale secrète, infliger sur l'ordre de quelques-uns de ses chefs, eux-mêmes asservis à certains impératifs mystiques d'un autre âge.
Mais après un temps de silence qui s'imposait, de nouveaux chefs se lèvent déjà. Leur idéal, aussi pur que celui de leur devanciers mais plus réaliste et comme mûri par les malheurs de la patrie, ne risquera plus comme lui, de placer l'honneur militaire au dessus de leur conscience de citoyen. La dure leçon de l'expérience - à défaut d'une pédagogie morale qui reflèterait l'élan social d'un pays aux institutions rénovées - leur a déjà révélé cette évidence qu'une nation ne peut être forte et honorée que si l'esprit de son armée est l'âme de son peuple.
Version : 07.12.2004 - Contents : Martine Bernard-Hesnard
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