COMPTE - RENDU
des Opérations sanitaires de combat à BIZERTE

(11 Novembre - 31 Décembre 1942)

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Index

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Les opérations sanitaires de combat dans la région de BIZERTE se sont déroulées de la manière suivante du 11 Novembre au 31 Décembre 1942.

I. - RESUME CHRONOLOGIQUE

La menace de guerre à l'égard de la Tunisie est apparue dans la nuit du 8 au 9 Novembre 1942, un convoi anglo-américain puissamment armé était signalé au large des côtes d'Algérie se dirigeant vers Bizerte: Mesures d'alerte, puis poste de combat.

Dans la journée du lendemain 9 Décembre le convoi était signalé ne continuant pas sa route vers la Tunisie puis revenant sur l'Algérie. Attaque de Casablanca, Oran, Alger.- Mobilisation en Tunisie, mise en place du dispositif de défense dans le camp retranché de Bizerte. Rappel des réservistes. Les médecins civils de Bizerte réservistes sont mobilisés, d'autres requis les jours suivants. Les formations sanitaires sont renforcées en personnel et en matériel:

Rive gauche du canal : Infirmerie de garnison portée à 100 lits;
postes de secours civils et militaires armés.

- Hôpital militaire du Caroubier
porté à 600 lits; stock de guerre utilisé
- Trois hôpitaux auxiliaires sont envisagés:
Ecole N.D. de SION, Collège des Jeunes fillles, Collège Stephen Pichon
Rive droite du canal : Infirmerie de Roumadia (Marine) renforcée, avec organisation d'un Hôpital de combat protégé (salle d'opérations).
- Infirmeries de MENZEL-DJEMIL et Ben NEGRO (Guerre) renforcées.

- dans la nuit du Mercredi 11, incertitude et ordres successifs et contradictoires. Le Message du Chancelier HITLER au Maréchal PETAIN est connu.

- le Jeudi 12, l'ordre est donné de résister aux Anglo-saxons et de laisser arriver les troupes de l'Axe. La base aérienne de SIDI-AHMED est occupée. Liaison établie immédiatement de la Direction du Service de Santé marine avec le Service de Santé allemand.

- Le Vendredi 13, premier bombardement de SIDI-AHMED: En exécution de l'accord sanitaire franco-allemand, les blessés sont évacués sur les Hôpitaux militaires de Bizerte (petits blessés) et de la Marine de Sidi-Abdallah (grands blessés). Aucun incident ni ce jour là, ni les jours suivants, durant lesquels le bombardement de Sidi-Ahmed continue, ainsi que celui des installations portuaires de Bizerte et de la Pêcherie.

- Le Mardi 17, message de l'Amiral Auchan.

- Le Mercredi 18, Message du Maréchal, l'Amiral Abrial devient notre Chef à Vichy.

- Le Vendredi 20, on confirme l'occupation de tous les ports tunisiens par les allemands.

- Le Samedi 21 et le Dimanche 22, bombardement sérieux de Bizerte, détérioration de l'Eglise russe, de l'Eglise française. Pertes sérieuses, surtout parmi les civils.

- Le Mercredi 25 et le Jeudi 26, l'Hôpital militaire est partiellement détruit. On commence le repliement de cet établissement sur Sidi-Abdallah. Une ambulance chirurgicale et une infirmerie de garnison sont organisées dans les sous-sols de la Caserne Japy.

- Du Jeudi 26 au Samedi 28, bombardement de divers quartiers de Bizerte.

- Le Samedi 28, réquisition de quatre Hôpitaux auxiliaires à Ferryville.

- Le Lundi 30, bombardement intense du Port de Bizerte. Les appartements de plusieurs officiers et médecins civils mobilisés sont rendus inutilisables, dont celui du Médecin Général (Rue du Contrôle) et de son adjoint (rue d'Italie).
Le nombre des blessés étrangers augmente: 180 (dont 98 allemands, 39 Italiens, 5 enfants). Il atteindra les jours suivants: 200.
Deux navires hôpitaux italiens
attendus sont successivement coulés au large des Côtes Est de la Tunisie. On commence des évacuations par avions sanitaires.

Le Mardi 1er Décembre, le Vice-Amiral DERRIEN reçoit des félicitations de l'Amirauté française.
Les familles de la Marine sont partiellement évacuées sur la Baie des Carrières où s'organise un service médical, ainsi que sur TUNIS.

Le Vendredi 4, une bombe tombe sur le S.L.O.M. de Bizerte qui est détruit: 2 Officiers tués, 1 Officier-marinier tué, 1 assistante blessée.

Le Samedi 5 Décembre, l'Hôpital militaire de Bizerte reçoit des bombes incendiaires et sa destruction est achevée. Le repliement du matériel est accéléré.

Le Mercredi 9 Décembre, ultimatum du Chancelier HITLER à l'Amiral DERRIEN: occupation soudaine par les allemands de toutes les formations militaires françaises. Ordre de désarmement. Celui-ci s'opère sans autres incidents que quelques pillages de l'arsenal (Habillement et surtout vivres). Rien de particulier dans le Service de Santé.

Le Jeudi 10 Décembre, Conférence franco-allemande à la Pêcherie. Détente générale. Toutes les réquisitions, tous les vols de matériel sont désavoués par le Général allemand. Premières mesures de remise en fonctionnement des services, sous leur direction française. Le Service de Santé conserve son autonomie et son personnel.

Le Samedi 12, départ progressif des troupes de choc. Arrivée de l' Etat-Major Marine Allemand. Premier départ des hommes libérés pour la France par navires allemands.

Le Dimanche 13, Conférence des Directeurs à la Pêcherie. Bombardement accru de Bizerte - la Pêcherie renouvelé ultérieurement chaque jour.

Le mardi 15, déménagement de la Direction du Service de Santé sur l'ordre de Comar Bizerte. Elle abandonne les locaux devenus inutilisables et entourés de décombres, à la Pêcherie, pour s'installer à l' Hôpital de Sidi-Abdallah.

Le Mercredi 16, on réduit le service médical des quelques postes de secours de la Baie-Ponty, encadré par les bombes et légèrement endommagé, pour renforcer un poste de secours protégé crée dans la sous-station électrique près les sous-marins.

Le Dimanche 20, l'ambulance chirurgicale de Japy à Bizerte depuis quelques jours encadrée par les bombes est jugée inutilisable. Elle est transformée en poste de secours à personnel réduit, pourvu d'un matériel d'urgence et de voitures sanitaires d'évacuation des blessés pansés. Démobilisation de la plupart des Officiers de réserve du Service de Santé.

Le Jeudi 24, Assassinat de l'Amiral DARLAN à Alger.

Le Samedi 16, Bombardement sérieux de la gare de Bizerte, faisant une vingtaine de morts et une vingtaine de blessés (italiens et arabes).

Du 25 au 31 Décembre, bombardements quotidiens de Bizerte et Sidi-Ahmed.

II. - REPLIEMENT DE L'HOPITAL MILITAIRE
DE BIZERTE

Durant la nuit du 24 au 25 Novembre 1942, l'Hôpital du Caroubier, situé sur une hauteur dominant le canal à l'entrée de la Baie de Sebra, entre le port et les casernes, d'ailleurs ceinturé de formations de D.C.A. françaises et germano-italiennes fut plus sérieusement bombardé que précédemment: Les deux salles d'opération (salle militaire et salle civile) furent détruites, ainsi que divers pavillons. Les autres furent pour la plus grande partie incendiés dans la nuit du 5 Décembre.

Les chirurgiens en action dans la soirée du 24 durent se réfugier dans les abris mal protégés de l'Hôpital. Prévenu aussitôt, alors que je veillais dans l'abri de la Direction des Travaux Maritimes, près du port, je donnais à la pointe du jour les premiers ordres de repliement partiel sur Sidi-Abdallah.

Du 24 au 30 le repliement du matériel précieux commença: matériel chirurgical encore utilisable, pansements, matériel pharmaceutique, etc… Cette opération était rendue difficile:

1º) - par le manque de main d'oeuvre sur place, une partie du personnel civil et indigène ayant fui, et le service sur place, très réduit, ne pouvant fournir l'aide nécessaire;
2º) - par le manque de transports à Bizerte;
3º) - par la mise hors service de la voie d'accès, défoncée par une bombe à sa jonction avec la grande route, deux bombes non explosées interdisant l'usage de cette voie après dérivation.

Il fallut utiliser toutes les voitures du Service de Santé de Sidi-Abdallah qui, stoppant sur la grande route, recevaient le matériel (lits, paquets de couchage, grosses caisses de matériel etc…) par des corvées le long de la forte côte les séparant des pavillons, se déplaçant soit à pied soit avec quelques petits arabas. Le personnel fut à peu près uniquement composé d'infirmiers, de quelques gradés et médecins appartenant tous à la Marine.

C'est au prix d'une véritable surmenage de nos chauffeurs et de nos hommes que s'accomplit en une douzaine de jours cette besogne laborieuse de l'évacuation d'un Hôpital de 600 lits muni d'un matériel sanitaire renforcé.

Après les premiers jours, la situation se complique encore de l'interruption de la route Bizerte-Ferryville au niveau de la base de Sidi-Ahmed, par un cratère de bombe. Nous fûmes réduits à faire un va et vient par camions et ambulances de Bizerte à la Pêcherie, où le matériel fut embarqué sur des chalands puis débarqué à l'Arsenal de Ferryville pour être transporté à l' Hôpital Maritime.

Mes premiers ordres, confirmés par le Général Commandant la Subdivision puis par le Vice-Amiral Commandant la Place, visaient à laisser au Caroubier un petit Hôpital de combat, mixte (militaire et civil), capable d'assurer le service de place et un poste de secours en attendant l'organisation dans les sous-sols d'une caserne de Bizerte d'une ambulance chirurgicale, absolument indispensable. Mais le bombardement de l'Hôpital continuant, j'ordonnai d'étendre progressivement les mesures d'évacuation. Après l'incendie des Pavillons encore utilisables, le 5 Décembre, j'ordonnai son évacuation totale en personnel et en matériel. Ce qui fut achevé vers le 10 Décembre.

Selon les termes de Monsieur le Médecin Principal de l'Armée CHAUZY, Médecin Chef de l'Hôpital, termes dont j'ai pu vérifier en personne l'exactitude -, "le personnel de l'Hôpital militaire, Officiers, Sous-officiers, infirmières et personnel de toutes catégories, auquel s'était joint le Médecin Principal de la Marine FLANDRIN " (que j'avais désigné pour renforcer l'équipe chirurgicale composée du Médecin de 1º classe de l'armée BARONI et du Médecin de 2º classe de réserve de l'Armée BAUGE) " puis ultérieurement les conducteurs de cars et d'ambulances du Service de Santé de la Marine (sous le commandement du Médecin Principal LASMOLES, adjoint au Directeur du Service de Santé, assisté du Second-Maître infirmier HOFFMANN) a montré dans la nuit du 24 au 25 Novembre, sous le bombardement effectif de l'Hôpital, un calme, un sang-froid et un dévouement dignes d'éloges et des traditions du Corps de Santé"

Mais je dois ajouter que dans les jours qui ont suvi, nos médecins, infirmiers et conducteurs du Service de Santé sous la conduite de Monsieur le Médecin Principal de la Marine LASMOLES ont mené à bien, seuls et sans aucune aide étrangère - le personnel de l'Hôpital s'étant replié avec quelque désordre dès le premier jour - dans des conditions très périlleuses, c'est-à-dire en temps d'alertes continuelles et loin de tout abri, le travail considérable dont j'ai parlé plus haut, avec une discipline, un courage et une activité incessante plus méritante encore, parce que soutenue non plus durant quelques heures mais durant des semaines d'anxiété et d'épuisement physique.

III.- CREATION D'AMBULANCES CHIRURGICALES

A. Ambulance chirurgicale de 1º ligne de JAPY

La disparition de l'Hôpital dans une ville constamment bombardée comme Bizerte posait le problème grave et urgent de la création de formations chirurgicales de combat capables de panser et d'opérer les blessés civils et militaires, français et étrangers, dont le nombre, élevé au début (du fait de l'absence des tranchées et du très petit nombre de caves) diminua avec l'évacuation - lente et laborieuse - des familles.

Après une étude personnelle - en liaison avec la Défense Passive de Bizerte, dont j'avais pris, en accord avec le Vice-Président de la Municipalité, la direction médicale - de tous les endroits protégés, je fixai mon choix sur les sous-sols de la Caserne JAPY, malheureusement encore encombrés de familles terrorisées.

Dans l'aile Est de cette grande caserne, je fis étayer solidement par les Travaux Maritimes une surface suffisante à proximité de lavabos et on disposa: une salle d'opérations (éclairée par le groupe électrogène récupéré à l'Hôpital militaire) une salle de visite et plusieurs salles de blessés. Des équipes chirurgicales (1 chirurgien et 1 aide à laquelle s'ajoute un médecin chargé du triage, de l' évacuation et du service médical de jour)assurèrent le service de 48 heures, avec relève correspondante d'infirmiers et d'infirmières, de préférence volontaires. Tous les médecins de l'armée et de la Marine participèrent à ce service et aucune défaillance ne fut signalée. Un grand nombre d'interventions chirurgicales d'urgence, en particulier d' amputations, y furent pratiquées.

Je décidai que cette ambulance fonctionnerait, malgré des difficultés matérielles croissantes (avarie du groupe électrogène, rupture de la conduite d'eau, évacuation difficle des nuisances, etc…) tant qu'il resterait des Français à Bizerte quoique ce furent avant tout des allemands qui en bénéficièrent.

Après la démobilisation il restait encore un assez grand nombre de familles, justifiant le maintien de cette formation.

Le 18 Décembre, cette ambulance, encadrée par les bombes, devenait inutilisable, les interventions chirurgicales exposant aux risques d'infection et de retard opératoire. J'ordonnai de la transformer en poste de secours à personnel réduit, pour panser les rares blessés français encore susceptibles d'y être amenés.

B.- Ambulance médico-chirurgicale des Carrières et Service Médical de la Rive droite.

Lorsque les bombardements quotidiens de la Baie-Ponty devinrent assez intenses pour mettre en danger continuel la vie du personnel et rendre peu à peu inutilisables les locaux (en particulier la Direction du Service de Santé, qui fut maintenue jusque vers le 15 Décembre mais dut être peu à peu repliée sur l'Hôpital de Sidi-Abdallah), le Vice-Amiral Commandant la Marine en Tunisie décida d'abriter les familles de la Pêcherie à la Baie des Carrières (en face de la Base de Karouba, de l'autre côté du canal), dans les souterrains utilisés jusqu'alors pour le desserrement du matériel.

Après quelques jours de séjour des femmes et enfants dans ces alvéoles sans ventilation, il apparut que les déplorables conditions hygiéniques rendaient cette mesure indésirable; et l'on organisa des évacuations de familles sur Tunis par camions.

Entre temps, j'avais organisé à proximité de ces souterrains un service médical, qui devint dans la suite le noyau d'une organisation sanitaire avec ambulance, dite ambulance des Carrières. J'obtins des Industries Navales la disposition de l'entrée puis du 1er étage de la Centrale électrique protégée, où j'installai: une trentaine de lits, une infirmerie avec goutte de lait, une salle d'opérations étant prête à y être montée.

Lorsque l'ordre de démobilisation arriva, il fut décidé que les troupes seraient, en attendant leur évacuation, rassemblées dans un camp de la rive droite: A ce moment l' ambulance des Carrières devint le centre ravitailleur des Infirmeries de cette région: ROUMADIA (Marine), qui restait heureusement compris dans les limites du camp de rassemblement, MENZEL-DJEMIL et BEN-NEGRO (Armée); formations déjà pourvues de matériel et que je fis occuper par le Service médical des corps de troupe, jusqu'alors disposé à l'Ouest de Bizerte (Fort du Kébir, siège de l'E.M.; camp du Nador; Postes de secours du 43º R.I.C. sur la route du Nador et de l' Artillerie derrière le Préventorium St Hildevert) et évacué avec leurs troupes sur la rive droite.

Cette organisation sanitaire autonome permettait:

1º) - De donner des soins chirurgicaux aux blessés de la Baie-Ponty qui, ne pouvant être évacués directement sur Sidi-Abdallah, étaient, après un premier pansement, transférés par embarcation à l' ambulance de la Baie-des-Carrières.
2º) - D'assurer le service médical des Troupes démobilisées en surveillant l'hygiène des cantonnements de fortune dans lesquels elles se trouvèrent soudainement entassées: baraquements, tentes, abris souterrains, etc… dépourvus de chauffage, d'eau de boisson épurée, même parfois de possibilité de couchage sec, etc, en général, de tout confort (Voir plus loin au 5: Fonctionnement de l'Hôpital M/me, l'état épidémiologique)

Ce service médical fut d'abord assuré, sous la direction du Médecin adjoint au Directeur du Service de Santé, par un Médecin civil de Bizerte, assimilé spécial, le Docteur SALAVERT, assisté d'un étudiant en médecine et par un médecin de la Baie-Ponty. L'ambulance installée complètement après les premières évacuations des familles, j'organisai un service médical unique composé par bordées de tous les médecins de la Baie-Ponty auxquels vinrent s'adjoindre: occasionnellement les deux médecins de la Base de Karouba et, de manière permanente, les médecins du S.L.O.M. de Bizerte et le médecin de l'Artillerie de Côte, le médecin de la D.C.A restant au Roumadia.

VI.- ORGANISATION D'HOPITAUX AUXILIAIRES

Le bombardement soudain de la ville de Bizerte, beaucoup plus grave de conséquences que celui des installations portuaires et de la base aérienne de Sidi-Ahmed, avec sa conséquence précoce de destruction de l'Hôpital militaire, a posé dès le début le problème de l'assistance sanitaire de la population militaire et civile. Dans les divers plans d'opérations sanitaires de combat que j'avais depuis deux ans, soumis à l'approbation du Vice-Amiral Commandant la Marine en Tunisie, il n'avait guère été question que de l'évacuation du Service de Santé en 1er échelon sur l'Hôpital de campagne de MICHAUD (1er échelon) et sur l'Algérie (2º échelon) ou - hypothèse récente dont le thème avait été fourni par l'Etat-Major du Général Commandant en Chef l'Armée d'A.F.N. dite "hypothèse Nord" (c'est-à-dire: l'attaque de la région Ferryville-Bizerte par le Sud) - de la concentration du Service de Santé dans le camp retranché de Bizerte. D'où la prévision de création, dans la ville de Bizerte, d'Hôpitaux auxiliaires dans les Ecoles, Couvents, Préventorium et Casernes.

A.- Il me fallut donc improviser l'organisation, non plus à Bizerte mais à Ferryville - zône relativement tranquille - de plusieurs hôpitaux auxiliaires, tant pour recevoir les blessés de toutes nationalités que pour parer aux réquisitions étrangères.

1º) - L'Ecole professionnelle des apprentis de l'Arsenal; établissement neuf dans lequel je fis disposer une centaine de lits avec bureaux, petite pharmacie, salle de pansement, sans cuisine suffisante pour cet usage (Hôpital auxiliaire noº 1).
2º) - L'Ecole St Agnès, tenue par les religieuses; établissement ancien mais confortable, dans lequel je fis déposer 70 lits environ et des services généraux importants en faisant la "portion centrale" de l'ensemble des Hôpitaux auxiliaires: bureau administratif guerre, cuisine et dépense, grande pharmacie (Hôpital auxiliaire noº 2).
3º) - Le Groupe scolaire laïque, rue Jules Verne, établissement assez vaste, malheureusement dépouvu d'électricité, dans lequel je fis déposer une centaine de lits, des bureaux, un magasin et une cuisine qui fut installée par l'arsenal, fut suffisante pour les deux Hôpitaux auxiliaires nº 3 et nº 4 (Hôpital auxiliaire nº 3)
4º) - La salle des Oeuvres du curé, vaste salle sans dépendances, sans cuisine, dans laquelle je fis disposer une centaine de lits, des bureaux, un magasin et une cuisine mais qui ne pouvait servir que de centre d'éclopés, de convalescence ou d'hébergement provisoire de petites maladies ou de personnel sanitaire. (Hôpital auxiliaire nº4)

Ces quatre formations avaient donc une capacité hospitalière de 370 lits, pouvant être portée à l'extrême rigueur à: 400 lits. Ce qui, ajouté à l'ensemble des lits de l' Hôpital Maritime, pouvait permettre de recevoir un millier de malades ou blessés.

Les lits furent fournis:

1º) - par les lits en réserve du Magasin du Service de Santé;
2º) - par une centaine de lits de l'Intendance Maritime, reliquat de 300 lits en réserve au service des H.C.C (pour une grande partie réquisitionnés par l'autorité allemande pour leurs troupes) que je m'étais fait réserver par le Service de Santé allemand;
3º) - par le reliquat des lits de l'Hôpital militaire de Bizerte non utilisés autrement (hébergement des familles, inauguré par la Majorité Générale)
4º) - par quelques lits évacués de l'Hôpital de MICHAUD avant que les voies avec cet Hôpital ne fussent coupées.

Je dotai ces formations, que je déclarai utilisées par le Service de Santé de l'Armée replié, de l'autonomie administrative, les dossiers de réquisition étant signés par l'Officier d'Administration Gestionnaire le plus ancien du Service de Santé militaire. Leur matériel de base, tant médico-chirurgical et pharmaceutique que d'exploitation, fut prélevé sur le matériel sanitaire évacué de l'Hôpital du Caroubier de Bizerte. Le personnel - Médecins, pharmaciens, gestionnaires, infirmiers, infirmières, personnel d'exploitation - fut recruté parmi le personnel du Service de Santé militaire replié, les unités non utilisables étant démobilisées ou licenciées.

Le reste du matériel devait être fourni en cession par l'Hôpital Maritime, et le complément du personnel également, en tant que personnel détaché de l'Hôpital dans ces formations.

B.- Enfin j'envisageai avec le Directeur des Industries Navales la possibilité de créer, si les circonstances l'exigeaient (bombardement direct de l'Hôpital, offensive sur la ligne Ferryville-Tindja) un refuge de blessés et de familles avec ambulance chirurgicale dans les souterrains de l'Artillerie Navale à SIDI-YAYA. Le déblaiement des alvéoles (susceptibles de renfermer chacune 20 lits) commença dès le 25 Novembre; un wagon plat fut prévu pour le transbordement éventuel des blessés et des familles, des autos sanitaires dans le souterrain, par la voie ferrée en tunnel qui aboutit à ce magasin.

V.- FONCTIONNEMENT DE L'HOPITAL MARITIME DE SIDI-ABDALLAH

En même temps que s'organisaient les Hôpitaux auxiliaires, l'Hôpital Maritime, devenant Hôpital Principal d'un îlot sanitaire à formations groupées et voisines de lui, voyait sa capacité portée à 600 lits.

- Dès le début, il fonctionna comme Hôpital chirurgical, équipé d'équipes chirurgicales (complétées chacune d'un médecin réchauffeur et d'un radiologue) se succédant par bordées sous la direction du Médecin Principal LAURENT; et secondairement comme Hôpital de spécialités et Hôpital mixte (maternité, chirurgie civile, pédiatrie).

J'ajoute que je nommai le Médecin Chef de l'Hôpital Maritime de Sidi-Abdallah, Médecin chef de la place de Ferryville, avec autorité sur le Service de Santé militaire de Bizerte replié.

Enfin la Direction du Service de Santé reçut l'ordre de se replier de la Pêcherie sur l'Hôpital Maritime de Sidi-Abdallah le 15 Décembre 1942, laissant à l'Amirauté trois agents de liaison, dont le Médecin Principal LASMOLES, adjoint au Directeur.

I.- En ce qui concerne le fonctionnement de cet Hôpital, il eut à traiter des blessés français et étrangers parmi lesquels une majorité d'allemands.

L'embouteillage des blessés était à craindre après les premières semaines, car l' accumulation des blessés se faisait progressive. Mais dès le 1er Décembre, les Allemands commençaient l'évacuation de leurs blessés en voie de guérison par avions sanitaires. Deux navires-hôpitaux ayant successivement coulé au large des Côtes tunisiennes, un troisième parvint à Bizerte le 10 Décembre et évacua un assez grand nombre de blessés italo-allemands.

Nos chirurgiens ont dressé la statistique suivante et fait les observations ci-après:

  Militai-
res Fran
-çais
Civils de
diverses
nationali
-tés
Allemands Italiens Anglo-Saxons Totaux Décès
Plaies des parties molles 10 16 147 53 25 251 1
Brulures     9 2 1 12 4
Thorax (plaies pénétrantes) 1   14 3 5 23 4
Abdomen (plaies pénétrantes) 2   7 5 3 17 12
Fractures du crâne et face 3 12 12 8 4 39 4
Rachis     1 2   3 1
Côtes       2   2  
Ceinture scapulaire 1 1 5 1 2 10  
Bras 1 3 8 3 6 21 1
Avant-bras 1 4 6 2   13  
Poignet et main 1 3 8 2 4 18  
Bassin   1 2 1 3 7 1
Cuisse 1 5 17 6 4 33 9
Rotule   1   2   3  
Jambe 3 9 18 8 6 44 5
Pied 2 3 5 5 5 20  
Appendicite     7     7  
Plaie ou brulure des yeux   6 3 2   11  
  ----------- ----------- ----------- ----------- ----------- ----------- -----------
  26 64 269 107 68 534 42

La plus grande partie des entrants était composée de polyblessés. A la fin de chaque intervention principale, il a presque toujours fallu procéder pour le même malade à des extractions d'éclats, à des épluchages et à des mises à plat de plaies de toutes dimensions.

Il n'a pas été possible de suivre longtemps les blessés et la plupart d'entre eux nous ayant été enlevés 24 ou 48 heures après l'intervention (même lorsqu'il s'agissait de cas graves nécessitant une immobilisation prolongée ) par le personnel infirmier allemand qui procédait à ces évacuations sans demander l'avis du médecin traitant. Outre l'inconvénient que cela présentait quant à la vie du malade (une désarticulation de l'épaule, une éviscération colique avec large plaie au foie, des plaies pulmonaires, des fractures du crâne sont ainsi parties le surlendemain de l'opération ) beaucoup d'entre-eux n'ont pu recevoir leurs billets d'Hôpitaux (les médecins allemands en furent avertis et y mirent ordre).

Dans les décès ne sont pas compris les dépôts de corps, mais seulement les hommes qui ont reçu quelques soins de l'Hôpital, même lorsqu'ils sont arrivés mourant. La proportion est naturellement particulièrement forte pour les abdomens qui nous sont pour la plupart parvenus très tardivement après leurs blessures, souvent saignés à blancs ou en pleine péritonite.

II.- De leur côté, les services médicaux et le service d'hygiène ont signalé:
un certain nombre de cas de fièvre typhoïde (36 cas identifiés au Laboratoire d'Hygiène, dont l'allemand arrivé de Sicile, 10 civils, le reste chez des soldats français ayant pour la plupart contracté leur maladie sur les positions, en buvant l'eau des Oueds.)

- En Novembre 2 cas de Typhus dans les dépôts des casernes de Bizerte avant leur départ pour les positions, plus 1 cas chez un indigène docker des Travaux Maritimes le 16 Octobre. Pas de nouveau cas depuis. J'ai donné l'ordre d'épouiller en série les troupes françaises et allemandes dans les cantonements, dépôts, hôpitaux.

- En Décembre plusieurs cas de Typhus apparurent à Ferryville chez des indigènes pouilleux venant de Tunis et des campagnes avoisinantes, et risquant d'essaimer cette affection dans les fondouks de la ville. Toutes mesures prophylactiques furent instituées vers le 24 Décembre: vaccinations, épouillages, barrages des routes, etc…

- 2 cas de fièvre récurrente à tiques aux C.F.I.

- 1 cas de pustule maligne chez un marin des C.F.I., ces dernières affections constatées en bataillon de marche couchant sur ses positions dans la campagne de Ferryville.

VI.- APPROVISIONNEMENT EN MATERIEL SANITAIRE ET ALIMENTATION

J'avais fait disposer dès les premiers jours un matériel médico-chirurgical et d'exploitation suffisant pour armer convenablement: les postes de secours, infirmeries, ambulances éventuelles, Hôpitaux. Après la mise en place de l'organisation sanitaire qui succéda au repli de l'Hôpital militaire de Bizerte et après le premier afflux des blessés, il apparut, même après que j'eus ordonné d'ouvrir le stock de guerre secret de l'Hôpital militaire, qu'on pouvait prévoir le déficit relatif de certains articles, à savoir:

1.- Anesthésiques (Chloroforme notamment)
2.- Vaccins antitétaniques et antigangréneux
3.- Sulfamides
4.- Quelques médicaments non courants

Nous avions, en effet, des commandes en cours dont l'exécution était arrêtée, en particulier à l'Institut Pasteur de Tunis qui se déclara incapable de nous venir en aide. De plus dans notre isolement du reste de la Régence il fallait prévoir un long siège et l'obligation de ravitailler les Pharmacies civiles.

Les prévisions d'opérations sanitaires de combat, établies en collaboration avec le Directeur de Santé des Troupes de Tunisie, comportaient bien que ce dernier nous enverrait - dans l'hypothèse, très étudiée, du camp retranché de Bizerte, ultime zone de résistance - un approvisionnement assez considérable de renfort. Malheureusement, le téléphone étant coupé dès les premiers jours, j'envoyai un Officier en mission à TUNIS, qui trouva le grand Hôpital militaire Louis Vaillard vide de son personnel militaire - réduit à un médecin principal de l'Armée, M. LERENARD - les pharmaciens militaires étant disparus, partis, disait-on, avec les troupes dans le centre tunisien après avoir brûlé la comptabilité du Magasin.

Deux chirurgiens civils opéraient les militaires hospitalisés et furent bientôt remplacés par des médecins allemands qui saisirent avec empressement cette occasion de profiter d'une organisation hospitalière importante et toute prête.

Je me crus alors autorisé à prendre, en accord avec le Médecin principal les produits dont j'avais besoin et dont une grande partie fut ainsi récupérée par voie de cession.

- Les problèmes posés par le repliement de l'Hôpital de Bizerte consistaient essentiellement à éviter le pillage ou la détérioration du matériel: Il fut soigneusement entreposé, en grande partie à l'Hôpital de la Marine (Magasin et annexes), sous la surveillance combinée du Gestionnaire du Magasin et du Gestionnaire le plus ancien de l'armée, puis, par fraction, dans les Hôpitaux auxiliaires, ce dernier Gestionnaire en restant comptable. Les procédures de recensement, de mise en dépôt, de prise en charge et de cession furent réalisées avec le plus grand ordre, toutes les questions administratives pendantes relatives au matériel étant d'ailleurs soumises par moi au Contrôle résident (Contrôleur Général GAYRAUD).

- Il en fut de même d'ailleurs pour les questions soulevées par l'utilisation dans les Hôpitaux du personnel administré par la Guerre: Personnel de l'Hôpital militaire de Bizerte et des corps de troupe; de la Santé Publique, c'est-à-dire de la Régence ( Infirmières du Dispensaire Polyvalent de Bizerte )du personnel utilisable à embaucher, des ambulancières du service automobile féminin français etc…, et par celles relatives au logement de quelques personnes et à la nourriture à l'Hôpital ou dans les ambulances extérieures du personnel médical et infirmier dont la présence aux heures des repas était indispensable.

VII.- LIAISONS DU SERVICE DE SANTE

Des liaisons durent s'établir avec divers services étrangers à la Marine et à l'Armée et notamment avec la ville de Bizerte, la Santé publique et surtout les troupes étrangères.

A.- Ville de Bizerte.- Le Vice-Président de la Municipalité de Bizerte ( Contrôleur Général de la Marine, 2º sect. BOYER, remplacé au début de Décembre par M. FAURE, Directeur de la Compagnie du Port ) fit appel à moi dès que les bombardements de la ville devinrent intenses, pour organiser le service médical de la Défense Passive, qu'il avait depuis longtemps courtoisement refusé de me confier.

Le bilan en était: Des nombreux postes de secours prévus, un seul convenable dans la cave, d'ailleurs non etayée et facilement inondée, du Dispensaire Polyvalent. Médecins civils responsables soit mobilisés en hâte, soit absents. Pas de voitures à usage sanitaire, toutes étant utilisées à d'autres fins ou disparues avec leurs propriétaires affolés. De nombreux personnel dit "secouriste", composé de fonctionnaires civils, de Bizertins volontaires, de formations de jeunesse, de légionnaires, etc… il ne restait que quelques compagnons de 17 ans et quelques S.O.L. débordés de besogne (service d'ordre, garde du Trésor, etc…) Bref: service inexistant, compliqué d'absence de secours à ZARZOUNA (sur la rive droite) dont le bac avarié par les bombes ne fonctionnait plus.

L'Amiral ESTEVA étant venu à Bizerte le lendemain, je lui demandai des voitures, qu'il ne pouvait me donner. Un mot d'appel adressé par l'intermédiaire de son Officier d'Ordonnance au Dr BURNET, Président de la C.R.F. à Tunis amena de la part de ce philanthrope le conseil de faire des cours simplifiés de secouriste, dont, aimablement, il m'adressait le programme.

Je pris alors les décisions suivantes: Dans la ville de Bizerte un Officier de la Subdivision centralisant les appels à l'Hôtel du Général (puis, quand les bombes rendirent cet immeuble dangereux dans la grande cave de la Municipalité, où j'exigeai une surface constamment à la disposition de tout ce service de secours aux blessés). Une équipe de secouristes brancardiers présente jour et nuit composée de S.O.L., compagnons et militaires en service. Dans le cour de la Municipalité, des voitures en permanence: deux automobiles des Pompes funèbres dont j'obtins des allemands la non-requisition et, à défaut des voitures de tourisme, des chars à chevaux, plus une auto sanitaire de l'armée rescapée de l'Hôpital du Caroubier. Enfin, des estafettes de liaison avec le Dispensaire civil et la caserne Japy, siège de l'ambulance chirurgicale.

- A ZARZOUNA: même organisation dans la cave d'un garage, sous la surveillance de l'Officier Commandant le détachement du 43º R.I.C. et en liaison avec l'infirmerie, peu éloignée, du Roumadia.

Cette organisation simplifiée et improvisée dont je surveillai l'exécution avec un chef S.O.L. en même temps médecin de réserve sous mes ordres (Docteur BAUGE, médecin de la Santé Publique), donna d'excellents résultats et aucun blessé ne risqua plus, comme les premiers jours, d'attendre sous les décombres un secours urgent.

B.- Santé Publique. Les médecins restés à Bizerte perdirent vite leur clientèle ou leur service à l'exception du Dr BELHANDOUZ qui, utilisant parfois un petit poste de secours à la ville arabe, continua à soigner les indigènes.

Ils se mirent à ma disposition avec l'agrément de Monsieur le Directeur de la Santé Publique de Tunisie qui put venir me voir ultérieurement.

Le Docteur BAUGE, Médecin de la Santé Publique, Chef S.O.L, Médecin de 2º classe de réserve de l'armée, fut utilisé avec grand profit comme aide-chirurgien et Officier de liaison avec ce qui subsistait des organismes d'assistance.

Le Docteur SURIN, Médecin Chef et chirurgien des salles civiles était absent lors du bombardement de son service et ne reparut que pour quelques heures plusieurs jours après. L'ayant mobilisé, je le démobilisai rapidement.

Le Docteur DUVERGEY Médecin du Dispensaire Polyvalent, resta à son poste et assura avec le plus grand courage jusqu'au dernier moment, avec une infirmière et quelques jeunes compagnons ou scouts, le fonctionnement de ce poste en liaison avec le Service de Santé de la Marine; il se replia ensuite à Ferryville.

Le Docteur SALAVERT fut requis et désigné pour le service médical de la Baie des Carrières.

Le Docteur LUC, ancien médecin de l'armée active, fut mobilisé et désigné comme Médecin Chef d'un Hôpital auxiliaire à Ferryville.

Notre camarade réserviste de la Marine le Docteur GINABAT était malheureusement en vacances en France.

Le Docteur SANTOLINI fut utilisé dès les premiers jours, étant requis, comme aide-chirurgien; fonction qu'il exerça avec beaucoup de sang-froid. Ayant vu successivement détruire sous ses yeux son service chirurgical à l'Hôpital et, un peu plus loin, son domicile en ville.

- L'hygiène de la ville de Bizerte laissa vite à désirer, heureusement dans une période où la plus grande partie de la population civile avait été, à grand peine, évacuée: Canalisations d'eau pour la plupart détruites, familles entassées pèle-mèle dans les rares abris. L'alimentation était cependant assurée, malgré les menaces de plus en plus rapprochées sur les silos à grains et la manutention militaire.

De plus, le beau temps presque constant évita la dissémination des maladies respiratoires et infectieuses.

C)- Santé TUNIS. Je ne pus être en relation avec le Directeur de la Santé Publique (Dr DUPOUX) et le Directeur de l'Institut Pasteur, Président du "Secours National" (Dr BURNET) que tardivement. Fin Décembre, j'organisai le service médical du Centre de reclassement des marins démobilisés puis la surveillance de l'hygiène et de la prophylaxie par deux médecins des Troupes coloniales devenus disponibles (Médecin Principal PERENNI et Médecin de 1º classe VERPRAT) dans les centres d'hébergement des familles, où je redoutais de voir éclore une poussée épidémique de typhus; ces deux médecins des Troupes coloniales étant détachés au Secours National. De plus, j'aidai l'Institut Pasteur à mettre en fonctionnement un centre de production de vaccin anti-Typhus à grand rendement; organisation qui, sur ma proposition, fut facilitée par l'autorité allemande.

D)- Troupes allemandes. Prévoyant un afflux soudain de blessés étrangers aussitôt l'occupation de la base d'aviation de Sidi-Ahmed par les allemands, je fis parvenir le premier jour à l'autorité allemande une information en allemand sur les ressources hospitalières du pays.

Ce geste nécessaire fut le point de départ de relations faciles et correctes entre les Services de Santé français et allemand.

Au début, les allemands nous demandèrent tout: venir prendre leurs blessés, car ils n'avaient pas de transports (ce que nous ne fîmes que dans certaines limites) et les traiter dans les deux Hôpitaux, puis, après la destruction de celui de Bizerte, à Sidi-Abdallah. Au fur et à mesure de leur organisation sanitaire, sur le front (MATEUR - Lac de l'Aschkel - SEDJEMANN; puis: TEBOURBA, TABARKA ) à Sidi-Ahmed (Infirmerie à Mateur, Hôpital de campagne, pour l'installation duquel ils avaient d'abord demandé Michaud puis le camp du Zarour ) et sur les pentes du Nador près Bizerte (Hôpital de campagne), ils nous chargèrent de leurs blessés moyens et petits et de leurs convalescents et firent leurs mouvements dans leurs propres transports.

Le jour de l'occupation de l'arsenal de Ferryville, le Médecin de division allemand, qui m'avait déjà transmis les remerciements du Général Commandant les Troupes pour l' assistance donnée à leurs blessés, vint me notifier officiellement l' occupation et ajouter qu'il ne se permettrait ni de nous demander d'introduire à l'Hôpital français de personnel médical - sauf un jeune médecin, Officier de liaison, avec mon accord et quatre soldats secrétaires - ni de tenter quelque contrôle que ce soit des soins que nous leur donnions et dont il avait constaté la perfection.

Je fus consulté par lui sur toutes les questions sanitaires: maladies régnantes, épouillage de leurs troupes, dépôt provisoire à l'Hôpital Maritime d'un approvisionnement sanitaire allemand de réserve arrivé par six avions de transport, organisation de leurs formations.

Une infirmerie leur étant nécessaire à Ferryville et un petit Hôpital allemand étant envisagé, je m'efforçai de leur donner satisfaction sans toucher ni à notre organisation hospitalière auxiliaire ni à notre matériel.

L'accord intervint sur le choix de la caserne des C.F.I. que la démobilisation et le désarmement devaient rendre disponible: installation d'un important service sanitaire dans l'infirmerie neuve et commode de cette caserne, puis réservation d'un pavillon voisin de la caserne pour être aménagé en Hôpital.

- A la première conférence qui réunit à l'Amirauté, à la Pêcherie, les chefs des services français et les autorités allemandes, j'obtins facilement: l'autonomie complète du Service de Santé et la non démobilisation des réserves.

Je fis aussitôt surseoir à la démobilisation, à celle des infirmiers indigènes spécialement (dont le brusque départ aurait désorganisé les Hôpitaux); me réservant de démobiliser ou de licencier le personnel de mauvais rendement et de réduire par cette voie, de manière progressive, l'importance du Service de Santé proportionnellement aux besoins diminués que nous aurions à continuer de satisfaire.

Je reçus à partir du 20 Décembre, au fur et à mesure de la démobilisation des troupes de l'armée française au camp de rassemblement de la rive droite, les Médecins de l'armée affectés aux Troupes et décidai de les adjoindre à mon personnel Marine, puis de commencer la réduction du personnel médical dans l'ordre suivant: Médecins civils et requis mobilisés, médecins de l'active de rendement insuffisant ou de santé physique précaire.

E). Troupes italiennes. Les relations avec les italiens furent correctes mais plus difficiles et de notre part réservées. Leur Médecin-Chef me fit les premiers jours une visite de courtoisie et m'annonça l'installation d'un Hôpital à l'Ecole des filles de Bizerte. Mais après la chute des premières bombes à proximité, ils déménagèrent et installèrent un Hôpital de campagne de 80 lits sous des tentes sur les pentes du Nador.

Alors que les Allemands nous confiaient seulement des blessés au moins d'une certaine gravité, les Italiens nous confièrent pas mal de malades et d'éclopés et j'eus quelque mal à obtenir d'eux des évacuations précoces ou régulières comme celles des allemands.

Le 17 Décembre, cet Hôpital italien quittait Bizerte intensément bombardé et se repliait à Ste Marie du Zit près Zaghouan, au sud de Tunis.

Le 20 Décembre, le Médecin-Chef des Troupes italiennes me demandait un Pavillon de l'Hôpital Maritime, que je refusai en lui montrant l'impossibilité matérielle de spécialiser un pavillon entier pour un petit nombre de blessés et de malades mélangés loin des services spécialisés: il se rendit à mes raisons et n'insista pas.

F) - Troupes anglo-américaines. En dehors de quelques blessés anglo-américains fait prisonniers par nos troupes et évacués en cours de traitement de l'Hôpital militaire de Bizerte sur Sidi-Abdallah, ce sont uniquement des anglo-américains confiés à nos soins par les Allemands que nous eûmes à soigner. Ils furent traités dans les mêmes conditions que les blessés des autres belligérants, mais sous surveillance, d'ailleurs française.

Leur évacuation eut lieu par les soins du Service de Santé allemand, par avions ou navire-hôpital.

G)- Modalités administratives de l'assistance médicale aux Troupes de l'axe. Les conventions franco-allemandes aboutirent à l'accord suivant: Tous les concours apportés aux forces de l'axe par le Service de Santé furent effectués, comme pour les autres services de la Marine, sur factures de cessions, approuvées par le Directeur du Service de Santé après justification, centralisées par l'Intendance Maritime et réglées tous les quinze jours par l'autorité allemande en numéraire français.

Les feuilles nominales d'hospitalisation furent ainsi présentées chaque quinzaine à l'Intendance Maritime en même temps que les factures de cessions du Magasin du Service de Santé.

Les Médecins allemands, quoique autorisés par moi à se faire délivrer directement au Magasin, après mon approbation, du matériel sanitaire courant contre signature d'une demande de cession, furent priés d'adresser leurs demandes de matériel d'une certaine importance à l'autorité habilitée à cet effet, en l'espèce, le Commandant de la Marine Allemande résidant à la Majorité générale à l'arsenal. Ils ne demandèrent d'ailleurs que du matériel courant, en dehors d'un peu de matériel d'exploitation pour l'infirmerie allemande organisée aux C.F.I.

 

P R E V I S I O N S

Il est, à la date de ce jour, impossible de prévoir quels seront les obligations, tâches et devenir de notre organisation sanitaire de Bizerte. On peut pourtant envisager, dans les conditions présentes, quel événements seraient probables et établir les incidences qu'ils auraient sur le fonctionnement de cette organisation.

La population civile devant, d'après les conventions établies, diminuer progressivement à Bizerte et beaucoup plus lentement à Ferryville, d'une part, et de l'autre, l'armée française de terre et de mer ne devant laisser à Bizerte, après son désarmement, que le personnel "services" (ouvriers de l'arsenal, Intendance et Service de Santé, personnel civil de la D.P.), un moment viendra où nous aurons à traiter avant tout des blessés étrangers. Le Service de Santé allemand nous demandera-t-il alors de se substituer peu à peu au Service de Santé français?

Il serait, dans ces conditions, logique d'envisager une réduction progressive de notre personnel:

- La question s'est déjà posée fin Décembre pour la place de Bizerte mais non pour Ferryville. On peut déjà prévoir que l'ambulance de la Caserne Japy, dont le personnel français est très exposé, n'aura plus à soigner de blessés français: il sera logique qu'elle soit pourvue d'un personnel allemand. Je me bornerai à laisser à Bizerte, à proximité des installations portuaires (à la Direction des Travaux Maritimes si possible), un poste de secours avec voitures sanitaires constamment prêtes.

- L'ambulance de la Baie des Carrières voit déjà son importance rapidement diminuer depuis que les Troupes du camp de rassemblement de la rive droite sont dispersées. Toutefois elle devra subsister tant qu'il restera en face, à la Baie Ponty, du personnel français risquant d'être blessé.

- Quant aux Hôpitaux de Ferryville: Les Hôpitaux auxiliaires devront subsister tant que la menace des bombardements ou des opérations de guerre offensive risquera d'amener un grand nombre de blessés dans la population militaire et civile française; leur existence reste d'ailleurs une garantie contre le chevauchement de notre Service de Santé avec le Service de Santé allemand, jusqu'ici peu important. De plus un de ces hôpitaux sera, en cas d'accentuation de la poussée épidémique de Typhus, qui se dessine déjà, spécialisé comme Hôpital de contagieux.

- L'Hôpital de la Marine de Sidi-Abdallah restera le dernier seul centre possible de grande chirurgie de guerre et devra être maintenu au moins dans ses éléments essentiels jusqu'à extinction de la population française.

- Il est, pour terminer, une importante question, celle de l'avenir de notre stock sanitaire en magasin.

Non seulement en effet le Magasin est capable d'assurer un fonctionnement hospitalier intensif durant plusieurs mois, mais il renferme un matériel de toute catégorie (médicaments rares, matières précieuses, stupéfiants, appareillage chirurgical et de laboratoire, etc… et en général, tous articles introuvables en France) dont l'évacuation sur la Métropole serait vitalement souhaitable.

Si le Service de Santé allemand prend, comme il est à prévoir, une assez grande extension, je risque de ne pouvoir obtenir de l'autorité allemande locale, l'évacuation de ce matériel sur la France. Par contre, il ne serait pas impossible à mon avis, en soulignant l'importance de l'assistance déjà donnée par le Service de Santé français aux blessés allemands, d'obtenir centralement, par voie diplomatique, l'autorisation d'évacuer par navire-hôpital sur la Métropole, tout le matériel qui, non considéré comme matériel courant nécessaire aux blessés et malades allemands et français, pourrait, aux termes de l'article 15 de la Convention de Genève, être restitué à la Marine Française en même temps que le personnel sanitaire non indispensable.

Bizerte, le 1er Janvier 1943
Le Médecin Général HESNARD
Directeur du Service de Santé
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Version : 11.07.2005 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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