Arrivée de bon matin. J'ai mal dormi car on a sonné au poste de mouillage à 2h30 et n'ai pu fermer l'oeil depuis.
Nous sommes mouillés au diable: 30 minutes de canot à vapeur! - Après une attente interminable (prêt à 8h) je descends à 10h30 avec la Ca des charbons et nous nous rendons au Consulat sous une pluie battante.- Je suis dégoûté.
Mais l'après-midi, promenade merveilleuse en auto avec Guimard et Gaillard: Traversons de beaux quartiers percés d'avenues grandioses, parcourues de pousses trainés au galop par des Chinois musclés et athlétiques. Puissantes autos. Paysages de verdure, de jardins, de grands clubs confortables.
Nous nous éloignons de la ville et trouvons une campagne très belle, aux terres rouges, aux arbres vert-de-gris et noirs, mélangés de cocotiers, bananiers, cacahoutiers. Jardin botanique immense et de toute beauté avec mille espèces de fougères et de plantes équatoriales rouge et vert; allées sauvages, sous-bois humides et chauds. L'air est lourd.
Puis: Les environs, lacs immenses entourés de frondaisons opulentes et sombres , un peu gâtées par le sable anglais et d'affreuses barrières blanc et noir. Des nuages noirs couvrent une partie du ciel dont le reste est bleu pâle et doré; impression merveilleuse de calme et d'immensité immobile.
Retour par le temple bouddhiste chinois, très beau, au bord d'une avenue
cahoteuse, bordée de maisons chinoises jaunes où
grouillent des enfants nus et l'on aperçoit des têtes de chinois
rasées, rusées, avec un sourire de malice; derrière ces paillottes, des étangs
putrides et verts; dans tout cela, une odeur de terreau humide, de saucisson, de matière
fécale et d'encens. Le Temple est beau, tant de couleurs
atténuées sur ses briques vieillottes: rouge dégradé,
vert lavé, gris.
De fines silhouettes de dragon aux
encoignures. Dans les batiments séparés par des cours, des bouddhas
dorés immenses, des statuettes, des meubles laqués, des bibelots de tous
genres: petits morceaux de papier de riz aux prières inscrites, qu'on brûle devant les statues,
baguettes d'encens, pétards qu'on fait partir en votre honneur… Derrière un café où l'on
sert
de petites tasse de thé et de petites fioles de stout assez dégoûtant.
Nous sommes reçus par des Chinois aimables, souriants et
hospitaliers. Forte impression!
Retour après l'orage, qui ruisselait dans les cours du Temple pendant notre visite. Nous revenons par d'autres routes, très vertes. Allons boire un whisky-soda au grand hôtel Raffles en attendant le canot-major.
Journée délicieuse de détente et de tourisme. On fait le charbon: Nous quittons le bord vers 9h avec Taéra et Aubin, chargés de voir en mission secrète la base navale de Singapour. En pousse sous une pluie battante et rafraîchissante: Les pousseurs se trompent, ayant mal compris, puis finissent par nous mener à la gare. Une heure de train en pleine campagne équatoriale mouillée et verte. Nous visitons le petit port indochinois (malais plutôt) de Jahore et faisons un excellent déjeuner anglais dans le grand hall de l'Hôtel: poisson bouilli, poulet aux petits pois, etc, arrosé de sauce anglaise, et bière de gingembre.
Nous frêtons ensuite, aux frais de la Princesse, une auto et faisons une délicieuse randonnée dans le pays en particulier au milieu de vertes plantations de caoutchouc du sultan de Jahore, à une magnifique mosquée où nous entrons après nous être déchaussés:
Les musulmans de ce pays - probablement par contact avec les bouddhistes - sont beaucoup plus tolérants et accueillants.
Une heure de chemin de fer pour retour. Flâné ensuite avec Taéra dans les magasins chinois pleins de bibelots: bouddhas, lanternes rouges, vases, soiries, etc. Mais à cause de notre malheureux change, tout est hors de prix et il faut se condamner à rien acheter. De même choix merveilleux dans les magasins d'alimentation. Nous achetons au compte de la gamelle une bouteille de gin pour les cocktails "maritime". Je vais ensuite engueuler un changeur qui m'a donné un faux dollar, le cochon! Peut-être demain ferai-je quelques modestes emplettes.
Départ ce soir à 9 heures… Je descends le matin pour la Santé et vais me promener dans la ville chinoise. Je passe dans des rues où toutes sortes de boutiques offrent un mélange d'articles de bazar européen et de camelote chinoise. Je m'intéresse surtout aux mangeailles: bouillons bizarres où chacun trempe sa tasse, poissons séchés, saucisses étranges, hachis suspect… La mimique des vendeurs m'amuse. Quelle race supérieure! Aperçu aussi qqs petites chinoises aux yeux d'enfants et aux nattes ébène très luisantes.
A midi, je reçois la visite du médecin de la Santé! C'est un jeune Irlandais, très sympathique, parlant assez bien le français et qui a perdu sa fortune dans les troubles d'Irlande. Je lui fais visiter le bateau, l'introduis dans une tourelle et lui offre un cocktail: Il part enchanté et nous remerciant avec effusion…
L'après-midi, je descends avec le Ct Douval. Promenade dans la ville chinoise, autour de la rivière remplie de jonques et sentant le nioc-nam. Il y a des coins où il faut se boucher le nez! Drink à l'Hôtel de l'Europe (whisky-soda "large") puis retour à bord.
Nous appareillons à 7h. L'Amiral est rentré en retard.
Joie! Il y a eu courrier au dernier moment: 3 lettres d' Yet, dont une du 7Juillet!! Je suis enchanté.
Mer plate, lumière intense malgré le ciel couvert. Durant la matinée on étouffe littéralement. Mais vers 11h un grain arrive et, peu après, une grosse brise rafraîchit le batiment.
Le mécanicien, Coulon, est déprimé et ne dit mot. On vient de découvrir une avarie à l'arbre d'une chaudière et une autre avarie à une deuxième: De sorte que nous devons partir en croisière avec une seule chaudière! L'Amiral parle de passer immédiatement en bassin à Saïgon et d'y attendre le "Ferry". Mais comme sa présence vers le Nord est indispensable lui et qq officiers de son état-major partiraient à sa rencontre avec une petite cannonnière.
Ce matin, je suis témoin au Conseil de Justice pour un matelot, qui, ayant refusé de rester en prison alors qu'il était puni, avait déclaré être malade: un an de prison.
Durant la matinée il fait lourd et chaud. Je vais soigner l' Amiral.
L'après-midi après la sieste, orage qui rafraîchit délicieusement. La brume se déchire vers 4h et nous apercevons Poulo-Condor, îlot que l'on reconnait sur la route de Saïgon.
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Le Ct Neujillet est bien bas: Il a mal dormi
depuis deux nuits, est fatigué et tremble (sans l'avouer) à l'idée
d'entrer de nuit à 2h du matin, dans la rivière de Saïgon.
Il est bien bas et
sur la passerelle, maigre et hâvre, mal rasé, il a l'air lamentable.
L'Amiral et surtout le bel Husson - installé dans de somptueux appartements sur le "Michelet" - bougonnent à l'idée de partir sur un petit bateau. Taéra me confie qu'à son avis tous les types sont plus ou moins fous à bord de ce bateau. Triste!
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Les rives sont couvertes de végétation curieuse, vert épinard, se détachant sur l'eau jaune. Des oiseaux chantent merveilleusement. Un ciel chargé mais clair donne des lueurs rougeoyantes. L'eau est limoneuse, infecte. Quelques villages de loin en loin… Voici l'église de Saïgon au loin.
Je me réveille à 5h du matin dans la rivière et l'on approche déjà de Saïgon.
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Quelques aspects de la rivière.
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Voici Saïgon. Les coins pittoresques de la fin de la rivière défilent sous mon sabord. A 8 heures, nous longeons la ville: Coups de canon, Marseillaise, musique, toutes les autorités sur le quai, les sabres brillent au soleil. Des pousses circulent sous les arbres. Avec les jumelles, nous reconnaissons des amis. Après l'arrimage, visites: les autorités, officiers d'ordonnance du gouverneur, le Dr. Lerminier, médecin-chef de l'Hôpital, père de l'un de nos midships, que je reçois au carré et me donne des tuyaux. Il me mène à l'Hôpital où je vois Lecomte, le Directeur, un compatriote qui connait Oswald, et qui connait aussi ma belle famille. Retour par la rue Catenat. Curieuse impression: Belle ville mais beaucoup plus "petite garnison" que je ne croyais.
L'après-midi, je visite le jardin zoologique, intime et joli le long des rives vertes de l'arroyo de l'???. Je remarque le joli étang du milieu avec son Kiosque, ses lotus, sa ceinture de fleurs rouges et ses flamants roses. Il y a de curieux oiseaux ici, dont les gueules invraisemblables feraient peur à Didite.
Le soir après dîner nous sortons avec Taéra et Coulon jusqu'au Café continental. Soirées fraîches. Le climat est délicieux à Saïgon cette année.
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Version : 19.12.2004 - Contents : Martine Bernard-Hesnard
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