Chapitre 3: Froideurs atmosphériques et gastronomiques

 

Contrairement à son habitude, Gossegoulue se réveille aujourd'hui très tôt: les vagues qui battent contre les rochers lui ont servi de réveil-matin. Etonnée, elle s'habille rapidement et se glisse sans bruit hors du cabanon. L'air est frais, le ciel limpide, il a du pleuvoir cette nuit. Gossegoulue descend à la troisième terrasse et s'installe à califourchon sur la balustrade. Un croiseur rentre dans le port, l'hélicoptère de la marine fait un exercice de sauvetage, ce sont les seules musiques de ce matin calme.
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Mais, pour sincère qu'elle soit, la contemplation de Gossegoulue est toujours très courte et elle quitte son perchoir pour le jardin de Papy. En effet, qui dit air frais dit mistral, et qui dit mistral dit pignons tombés. Cette logique rigoureuse se révèle parfaitement justifiée et Gossegoulue ne tarde pas à rassembler les éléments d'un petit déjeuner improvisé. Au fond d'une allée touffue face à la mer, quelques fleurs de volubilis dans les cheveux, Gossegoulue est sur une île déserte. Malheureusement, cette denrée se fait de plus en plus rare et trois voix perçantes délogent bientôt la vahiné improvisée de son paradis.

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Il fait frais, le bain ne sera pas agréable. Maman se croit donc autorisée à s'attarder quelques instants pour discuter politique et espionnage avec Papy. Quatre sévères rappels à l'ordre la tirent d'erreur: mistral ou pas, on ira à la plage. Déjà résignée, elle rassemble natte et tricot et franchit la grille.

La plage est peu peuplée, ce qui décide Gossegoulue à rester sous le figuier. D'un orteil timide, elle tâte l'eau, mais ce n'est évidemment pas très engageant. Hypocrite et rusée, Maman suggère innocemment de faire la chasse aux morceaux de verre roulés et façonnés par la mer. Elle sait très bien que ses filles se désintéresseront rapidement d'un tel butin. Il lui sera alors très facile d'en lester la bouteille de rosé dont elle rêve de faire une lampe. Bien loin de soupçonner un dessein aussi machiavélique, la bande joue le jeu, et Maman se retrouve devant une montagne de débris de verre, de mosaïques, d'assiettes. De quoi remplir vingt caisses de bouteilles de rosé. Rendues à la liberté, les filles ont installé leur restaurant. Des coquilles d'huîtres, vestiges de dégustations passées, jouent le rôle d'assiettes. Une herbe verte se travestit en salade. Quelques bigorneaux se changent en viande ou en bonbons, suivant l'inspiration du moment. Juchées sur le Rocher-plongeoir, les filles se dédommagent de la baignade manquée.

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Le soyeux vient d'arriver sur la plage et, contrairement à ses habitudes, il reste sous le figuier. Il salue Maman avec sa courtoisie habituelle, mais, préoccupé, il ne semble pas désirer entamer une conversation. Discrète, Maman s'absorbe dans son tricot. Mais les filles, elles, sont déçues. De loin, elles avaient vu leur grand ami et elles avaient tout abandonné dans l'espoir d'un de ces jeux qu'il se plaisait à inventer pour elles. Mais gentiment, quoique fermement, le soyeux a allégué une fatigue soudaine pour pouvoir rester sur sa natte. Pour se consoler, les filles n'ont plus qu'à prendre d'asaut le Rocher Tête-de-Chien.

La matinée se termine. Maman n'a aucune peine aujourd'hui à rassembler quatre filles qui ne peuvent se réfugier dans l'eau glacée. Gossegoulue, qui examine un fragment de mosaïque forme l'arrière-garde. Au moment où elle s'engouffre dans l'escalier pour rejoindre ses soeurs, le soyeux l'interpelle:

- Dis, Gossegoulue, tu ne veux pas me rendre un service?
- Oh, si,
fait-elle, très flattée.
- Ecoute. Je dois m'absenter quelques jours et je ne peux pas emporter tous mes bagages. J'ai ramassé quelques coquillages ce matin, est-ce que tu peux me les garder?
- Bien sûr. Tenez, vous pouvez les mettre dans mon sac en tissu, il n'y a encore rien dedans. Et puis, vous pouvez être tranquille, je ne les mélangerai pas avec les miens.
- Merci, je sais que je peux compter sur toi.

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Même jour, neuf heures. Papy ferme la grille avec la clé que l'on perd régulièrement lors du retour, que voulez-vous, cela fait partie du folklore! Puis, brandissant sa canne-épée, il donne le départ de la promenade. Les filles refusent de se soumettre à l'allure calme et raisonnable des adultes, elle se détachent et prennent la tête, quittes à revenir parfois vers le groupe de queue. Aujourd'hui, elles ont consenti à laisser leurs patins à roulettes qui leur permettent pourtant de semer la terreur parmi les paisibles promeneurs. Mais, à défaut de patins, on a toujours des jambes et ce sont de formidables parties de cache-cache, des poursuites, des courses folles. Enfin, toute cette agitation se calme comme miraculeusement: la bande se trouve devant la marchande de glaces.

Papy a, en effet, la très savoureuse habitude d'offrir tous les soirs à ces demoiselles une petite glace, que la marchande, enchantée de cette clientèle turbulente mais fidèle, s'empresse de coiffer d'un petit chapeau fort apprécié. Papy a rejoint le groupe. On discute les parfums à choisir, puis on reprend la promenade. Mais cette fois, il n'est plus question de courir: il faut déguster avec soin la précieuse glace. Malgré tous les efforts faits pour la prolonger, il ne reste plus que quelques fragments de cornet lorsque Papy s'asseoit devant le Fort Saint Louis. Alors on se console en allant jouer près des bateaux et sur la digue.

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Les petites, fatiguées, sont restées près des parents et passent devant la Source, alors que Gossegoulue et Duchesse, ayant fait au passage provision de petits pois du diable, se poursuivent déjà joyeusement près de l'escalier de la plage. La défense de Duchesse faiblit, et Gossegoulue lui lance une pleine poignée de petits pois… qui atterrissent sur le visage d'un inconnu qui débouchait justement de l'escalier. L'homme grommelle, puis s'enfuit. Stupéfaites, les deux filles se regardent et d'un accord tacite reviennent vers Maman en prenant l'air le plus naturel possible. Maman n'est pas dupe mais fait tourner en vain son ordinateur cérébral, elle ne peut deviner quelle bêtise ont encore fait ses filles.

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Version : 30.06.2003 - Contents : Marzina Bernez

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