Chapitre 4: L'inspecteur Chazal

Un gigantesque appel de sirène surprend au petit matin les quatre filles qui se lavaient les dents. Excellent prétexte pour abandonner cette corvée et se ruer vers la grille pour voir passer la voiture. La sirène cesse à cet instant précis. Pour une fois stupéfaites, les filles se retournent vers Maman, accourue, elle-aussi: la voiture de police et l'ambulance se sont arrêtées près de l'escalier de la plage. Pressentant quelque noyade nocture, Maman s'empresse de faire refluer la bande dans la salle-à-manger où elle sert, d'office, café au lait et tartines.

Vites remises, les filles commentent l'évènement avec passion. Papy, qui a eu le temps de voir la civière partir à toute allure avec l'ambulance, est silencieusement perplexe: on ne peut guère espérer ranimer un noyé après plusieurs heures. Une noyade aussi matinale? Peu probable. De quoi s'agit-il, alors?

Gossegoulue veut aller aux nouvelles sur la plage, ce que Maman lui interdit formellement. La troisième terrasse ayant été également barricadée, Gossegoulue n'a plus qu'à ronger son frein. La vie est décidément bien triste!

Enfin, vers dix heures, Maman remarque que les estivants descendent comme tous les jours à la plage et consent à lever l'interdiction. Les filles sont prêtes en un clin d'oeil et, deux secondes plus tard, elles font retentir l'escalier de leur cavalcade habituelle.

Poli, mais impressionnant, un inspecteur en civil aborde Maman au pied de l'escalier:

- Veuillez m'excuser, Madame, mais l'inspecteur Chazal désirerait vous parler.

Etonnée, Maman suit. L'oeil farouche, les filles sont prêtes à dégainer leurs couteaux de bambou pour défendre une mère qui fait de si bonnes frites. Mais l'inspecteur n'a pas l'air méchant et, d'un sourire, il désarme la bande:

- Bonjour, Madame! Nous avons retrouvé ici ce matin M. Degast blessé et…
- Le soyeux!

Pour une fois, Maman a rejoint les rangs de sa bande. Un peu étonné, l'inspecteur les rassure:

- Sa vie n'est pas en danger, n'ayez crainte! Vous le connaissiez?

Maman lui explique alors leur bon voisinage, l'amitié qu'il avait pour ses filles, leurs conversations. L'inspecteur prend des notes. Mais un agent vient les interrompre: son chef est mandé d'urgence à l'hôpital. M. Chazal, pressé, demande à Maman de rester sur la plage jusque vers midi, ce qui, d'ailleurs, était bien son idée.

Les filles ont repris leurs jeux mais le coeur n'y est pas. La seconde plage est barrée par la police, l'eau est encore froide et surtout, elles sont inquiètes pour leur grand ami. Maman tricote, l'esprit ailleurs. Il y a peu de gens sur la plage: la voiture de police qui stationne en haut n'a rien de spécialement encourageant.

Vers onze heures et demie, l'inspecteur dévale l'escalier et se dirige souplement vers Maman. Les filles sont très favorablement impressionnées par ce côté sportif d'un représentant de la Loi (avec une majuscule, s'il vous plait!), elles refluent vers la natte de Maman. Assis sur le sable, l'inspecteur donne des nouvelles du soyeux:

- Les médecins répondent de lui, mais… il a reçu un méchant coup sur la tête. On craint l'amnésie.

Maman reste songeuse quelque temps, puis, regardant l'inspecteur en face, elle demande:

- Comment a-t-il été blessé?
- Blessure dans le dos avec un poignard que l'on n'a pas retrouvé et ensuite assommé.
- C'était pourtant un homme calme, flegmatique, même. Qui pouvait lui vouloir du mal?

L'inspecteur est traqué, il hésite. Pour lui enlever tout scrupule inutile, Maman glisse à demi-voix:

- Le Fort Lamalgue?

L'inspecteur s'agite soudain méfiant, mais la vue des filles assises en tailleur dans sur un cercle parfait, tout en le dévisageant, imperturbables, le fait rire. Maman a gagné la partie.

- Après tout, cela ne sera bientôt plus un secret et vous pouvez m'être utile. Oui, vous avez deviné juste. Il y a des choses intéressantes au fort et le "soyeux", comme vous l'appelez, assurait une mission de sécurité… enfin… il devait récupérer certains papiers. Mais, on a été plus rapide que lui.
- Je comprends, fait Maman.
- Et, sans être indiscrète, vous avez des soupçons, une piste?
- Rien, s'énerve l'inspecteur, absolument rien. Nous n'avons pas retrouvé l'arme, nous ignorons l'heure du crime et le soyeux (sourire général) ne peut même pas dire s'il a réussi sa mission. Une catastrophe!

Les quatre sioux prennent une figure de circonstance, ce qui ne manque pas de dérider l' inspecteur. Amusé, il entreprend de les interroger:

- Et vous, vous ne pouvez pas m'aider?
- On voudrait bien, fait Gossegoulue, résumant l'opinion commune, mais on ne sait pas.
- Pourquoi pas? Vous n'avez rien remarqué de spécial, hier soir? Quelque chose qui vous aurait étonnées?

Gossegoulue et Duchesse échangent un coup d'oeil. Hier soir!

- C'est peut-être idiot, hésite Gossegoulue.
- Mais non, vas-y, on verra bien, répond l'inspecteur, vaguement intéressé.
- Et bien, hier soir, Duchesse et moi, (l'inspecteur écarquille les yeux, mais il faudra bien qu'il s'y fasse!), on rentrait de la promenade, on se lançait des petits pois du diable (l'inspecteur ne vacille plus), et puis, un homme a surgi de l'escalier de la plage… Il a reçu une poignée en pleine figure, il était furieux mais il est parti en courant au lieu de nous gronder.
- Vers quelle heure, demande l'inspecteur, très sérieux, maintenant.
- Ce devait être vers dix heures, répond Maman, nous étions un peu en arrière. Tu ne m'avais pas dit cela, Gossegoulue!
- Ben, fait l'interessée.
- Comment était-il habillé, reprend l'inspecteur.
- Je ne sais plus, j'étais si étonnée… Il devait être en sombre… je ne me rappelle pas… du gris ou du noir. Très bronzé aussi. Les cheveux noirs, je crois…
- Vous pensez que… questionne Maman.
- Comme heure c'est intéressant. Et puis, comme dit Gossegoulue, un homme ordinaire se serait plutôt mis en colère. Tu pourrais le reconnaître?
- Je ne crois pas, fait Gossegoulue, désolée. Et Duchesse ne l'a vu que de dos.
- Cela ne fait rien. Tu m'as déjà beaucoup aidée, tu sais!

Les filles, ravies, lui décernent leur sourire No 2 (le No 1 n'est valable que pour un chichi-frégi) mais l'inspecteur n'en est pas moins flatté.

Version : 30.06.2003 - Contents : Marzina Bernez

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