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2DB.gif Témoignage de Roger LEGENDRE RBFM.gif

 

Je relate un tant soit peu le parcours que j’ai eu avec votre mari, le lieutenant Bernard.

Après les combats de Diego Suarez nous avons été embarqués sur l’Oronzai qui nous a d’abord emmenés à Durban, au Cap, à Freetown, et à Greenoch où nous avons rejoint un camp de prisonniers nommé Grisdel All dans le Wesmour Land.

Là, nous avons passé quelques mois, et c’est à cet endroit que j’ai commencé à connaître le lieutenant Bernard ainsi que les lieutenants Durville, Chêne et beaucoup d’autres. J’étais resté dans le camp des officiers parce que le commandant Richard et le commandant Lemaire, respectivement commandants du Héros et du Bévéziers, m’avaient gardé à leur service.

Ensuite, ça a été le rapatriement en Afrique du Nord et la constitution du bataillon de fusiliers marins. Là, j’ai été commandé directement dans la deuxième compagnie par le lieutenant Bernard qui commandait la deuxième compagnie. Nous avons donc fait la campagne jusqu’à Bizerte, et puis nous avons fait la police ensuite, enfin nous avons eu différentes fonctions jusqu’au jour où nous avons été ramenés à Casablanca.

A Casablanca, nous sommes allés d’abord loger dans des espèces de petits baraquements en bois où on était deux ou trois; bref, c’est secondaire. Ensuite nous sommes repartis pour un désert faire de l’entraînement et constituer soit disant un régiment de chars à Bercane. C’est là que j’étais directement rattaché au lieutenant comme ordonnance, enfin et je m’occupais de sa chambre et de ses affaires un petit peu et c’est tout.

Je vais vous rappeler un souvenir, c’est moi qui ai été vous chercher à Oujda avec la Jeep pour vous ramener à Bercane où le lieutenant logeait chez le général De Vernejoul. Et ensuite, étant donné que paraît-il, les femmes d’officiers, enfin femmes fiancées d’officiers n’avaient pas le droit de séjourner dans les cantonnements, j’ai dû vous ramener à Oujda. Je ne sais pas si cela vous rappelle des souvenirs.

Ensuite, nous sommes retournés à Casablanca, et là, toujours au service du lieutenant qui y avait une chambre dans une espèce de sous-sol, là où il logeait, il était très mal logé d’ailleurs entre parenthèses.

Je vais vous rappeler une anecdote qui était cocasse, c’est qu’un jour votre fiancé je crois ou je ne sais pas si vous étiez mariés, il me dit tu vas aller acheter des fleurs, un beau bouquet de fleurs blanches chez un fleuriste et puis tu le porteras chez ma fiancée. Alors me voilà parti Boulevard de la Gare, j’achète un magnifique bouquet que je trouvais magnifique, enfin elles avaient l’avantage d’être assez fraîches. Et me voilà parti chez vous et je vous remets le bouquet avec ce que m’avait dit le lieutenant, et puis, me voilà reparti, content de moi, content des fleurs que j’avais trouvées. C’est le lundi ou le mardi que le lieutenant m’a dit comme ça, est-ce que tu as des connaissances dans l’art floral, je dis non, j’étais tout surpris, je ne savais pas ce qu’il en était, il dit le bouquet était beau mais c’était des chrysanthèmes. Enfin, c’était assez drôle, il s’était un peu moqué de moi, il m’a dit la prochaine fois tu tâcheras de trouver autre chose. Enfin bref.

Une autre fois, il m’avait embauché pour aller servir à table, donner un coup de main à votre mère, vous aviez une réception à Casablanca, enfin les gens que votre père fréquentait quoi. Et il m’avait dit tu viendras servir à table, faire la cuisine et puis servir à table. Quand j’ai vu votre mère, je lui ai dit, vous savez moi la cuisine je n’y connais pas grand chose, servir à table... bon alors votre mère qui était une personne très calme m’a dit, bon écoutez, je vous dirai par qui commencer et ce qu’il faudra, s’il y a quelque chose je viendrai vous donner un coup de main, je serai là pour vous guider. Enfin, ça s’est bien passé, mais croyez que mes talents de maître d’hôtel ne m’auraient pas conduit à en faire mon métier à l’Athénée Plazza. C’était plutôt restreint comme service.

Ensuite, je vais vous raconter l’histoire qui s’est passée à Bizerte avec le lieutenant, nous allions chercher deux Jeeps, deux ou trois Jeeps et puis le lieutenant, deux Jeeps je crois, et nous allions chercher du poisson au Rad El Djella et un jour, on roulait sur la plage et tout d’un coup y a un de nos camarades qui dit comme ça, on dirait qu’il y a une mine là. En effet, nous étions sur un champ de mines énorme, alors le lieutenant nous a fait déminer, plutôt sur une partie on a deminé tout ce qu’on a trouvé pour pouvoir faire faire demi-tour à la Jeep. Il nous a fait tous descendre des Jeeps et c’est lui-même qui a sorti la Jeep dans les traces où il était passé déjà, pour sortir la Jeep et ne pas risquer la vie des... notre vie à tous des garçons qui étaient avec lui. Enfin, c’est une anecdote, il y en a tellement d’autres.

Ensuite, ça a été l’entraînement avec la deuxième DB, l’incorporation avec la deuxième DB qui ne s’est pas fait tellement facilement parce que nous revenions tous des bâtiments coulés et que nous n’étions pas gaullistes, ça posait des problèmes, c’était vraiment ennuyeux à tel point que Leclerc avait dit que ça ne lui plaisait pas du tout de nous avoir, enfin, il était obligé de nous prendre parce que c’était comme ça. Alors, ensuite nous avons fait de l’ entraînement en Angleterre, je faisais partie du deuxième peloton, deuxième escadron qui était commandé directement par le lieutenant, j’étais son chauffeur sur l’automitrailleuse et nous avons poursuivi l’entraînement jusqu’au débarquement en France qui s’est passé à peu près normalement. On a débarqué le 1er Août et nos premiers engagements étaient à La Hutte Coulombiers, je crois, un pays, un bled dans la Sarthe.

Ensuite ça a été les combats jusqu’à Paris mais alors là c’est avant l’entrée de Paris, je crois, que le lieutenant a été blessé, On était tellement pris dans la... on ne s’est pas rendu compte tout de suite, on nous a dit le lieutenant est blessé et puis on avait un autre officier de l’armée de terre qui était avec nous, le lieutenant Maymil, qui a donc repris le commandement et on est arrivé à Paris où évidemment c’était le délire, c’était la fête, c’était tout ce qu’on voulait, c’était l’euphorie. Ça a bien changé après parce que les Parisiens pensaient que la libération de la ville, ils allaient reprendre leur vie comme avant et qu’il n’y avait plus de restrictions, que c’était la... pour eux la guerre était finie, ça ne rimait plus.

Ça a été des déceptions pour nous, souvent de l’amertume parce que l’enthousiasme qu’ils avaient manifesté dans le fond était futile, c’était surtout de l’ égoïsme, ils ne s’occupaient pas des gens qui se battaient. Pour eux on était des engagés, on était des gens qui faisions la guerre et puis c’est tout et on était là pour les libérer et surtout pour leur redonner la vie qu’ils avaient avant. Enfin ça a été une période de désillusion.

Alors le lieutenant nous ne l’avons pas revu, notre peloton a été très durement marqué; le lieutenant Bernard a été blessé, le lieutenant Maymil a été tué à Grussenheim, je crois, et le lieutenant Robin qui l’a remplacé, il l’a remplacé pendant deux ou trois heures je crois, il a été décapité dans la voiture que je conduisais, c’était toujours la même voiture que je conduisais et ça a été fini. Alors pour moi, après, la guerre s’est solutionnée, c’était pratiquement fini puisque j’avais été évacué à Saint-Guié mais j’avais quand même un goût amer de toutes ces pertes. Il y a d’autres anecdotes qui me reviennent à l’esprit; une qui s’était passée à Bizerte, entre parenthèses, j’avais eu un accident avec un anglais et je n’étais pas passé devant le tribunal à Bizerte puisque notre unité n’y était plus. Cette histoire vient de se solutionner il y a deux mois parce que l’on ne retrouvait plus l’acquittement de Casablanca. Et je n’étais plus après... j’ai eu le... j’ai toujours conduit, j’avais toujours conduit mais je ne conduisais plus le commandant parce que j’avais été le chauffeur du commandant pendant un temps mais comme je venais des sous-marins, on était soi disant des enfants gâtés, il ne nous appréciait pas tellement, et puis je lui avais fait avoir des histoires en plus avec un colonel des corps francs à Constantine, il ne m’appréciait pas énormément, ça a donc mit fin.

Mais je conduisais toujours une Jeep et le lieutenant un jour nous dit... il me dit: "tu vas prendre deux ou trois copains et puis tu vas aller au Ras El Djella là" et puis nous allons... "vous ramenez du poisson; je me suis arrangé avec un arabe là-bas, il va vous donner du poisson". Alors nous voilà partis au Ras El Djella et puis j’ai un camarade là, De Vernier, qui est décédé d’ailleurs maintenant, qui voulait conduire. Il... alors je lui dis... bon si tu veux conduire tu conduis, c’était une Jeep mais enfin il avait pas l’habitude. Il a pas fait cent mètres, on s’est retrouvé sur le dos, la Jeep esquintée, moi dans un hôpital américain, lui pareil, et mes amis Sautère et Jacopin ramènent la Jeep au camp... au fort Saint-Jean je crois, où nous étions. Et ils ramènent la Jeep mais bon y avait pas de problèmes, enfin y avait pas de problèmes, la Jeep était esquintée, y avait plus... le volant était tordu. Mais le... Il y a un dodge de l’armée américaine qui ramène Dauvergnette et puis qui me ramène moi. Et puis y avait juste le commandant Maggiar qui était là. Je sais pas si vous voyez physiquement le commandant Maggiar il avait toujours sa casquette un petit peu sur le côté et il penchait la tête. Quand il m’a vu, j’avais un bandeau autour de la tête, il me dit: "encore ce con là!", il me dit "foutez-le moi au trou pendant quarante jours." Alors c’est là que j’ai été hospitalisé à Bizerte heu c’est tout et puis le lieutenant était venu me voir deux trois fois quoi et puis ça s’était bien passé en fin de compte.

Mais j’ai pas été apostillé pour les quarante jours. Enfin c’est tout un tas de petits... de souvenirs. J’espère que j’aurai l’occasion de vous rencontrer si... je vais tâcher de faire tout mon possible pour aller à Strasbourg parce que je pense que pour mon compte ce sera la... j’ai bientôt... je vais avoir quatre-vingt-ans, ce sera la dernière fois que je ferai un déplacement pareil pour... enfin c’est pas le fait d’aller à Strasbourg, c’est le fait que, au mois de novembre, c’est assez difficile. Si j’ai l’occasion de vous rencontrer et si je ne vous rencontre pas à Strasbourg, il est pas dit... il est pas impossible que je... ma femme veut aller à Poitiers, que je passe un jour à la Baule, mon ami Richard Henri m’a dit comme ça on pourra toujours arranger une rencontre. Ce sera avec plaisir. Vous dire l’amitié que j’avais pour le lieutenant Paul Bernard, qui était un homme droit, généreux, enfin je ne peux rien vous dire de plus mais on avait une grande amitié tous pour lui. Une grande amitié, une grande confiance, on l’aurait suivi n’importe où parce que lui aussi avait confiance en nous. Enfin j’espère que mon petit discours ne vous paraîtra pas trop long.

Si j’ai d’autres anecdotes qui me reviennent à l’esprit parce que sur le coup, comme ça, j’ai des fois des pertes de mémoire, je me ferai un plaisir de vous les communiquer.

Madame Annick Bernard, je... respectueusement, je vous salue et j’espère vous rencontrer. Mes amitiés et puis je vous souhaite une bonne santé, c’est tout ce que je peux dire.

J’ajoute une anecdote qui montre le trait de générosité et de droiture du lieutenant. Le lieutenant qui commandait l’Espais était un Saint-Cyrien. Et nous étions peloton de tête, et il avait demandé au lieutenant Bernard, ou je crois qu’il lui avait proposé, l’autre était... aurait été heureux d’être le premier à passer devant Saint-Cyr, et généreusement, le lieutenant lui avait accordé la place, lui avait laissé la place pour qu’il soit le premier devant Saint-Cyr. Ça avait été une... assez émouvant pour cet homme-là et pour nous aussi parce qu’on reconnaissait la générosité, on voyait la générosité du lieutenant Bernard.

Je termine, c’est une anecdote qui me revient à la mémoire, il m’en reviendra d’autres, je pense que je pourrai vous les communiquer.

A bientôt, j’espère.

 

 

 

Version : 03.12.2007 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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