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Chapitre XI
La poignée de main du vieux St Cyrien

 

Dimanche 9 Mai. Qu'il fait bon vivre dans ce printemps de Libération, tant de fois évoqué! Nous savourons au plus profond de nous-mêmes la douceur des heures, que n'est encore venu polluer nul ressentiment à l'égard d'autrui et qui s'épanouit dans la magnificence de la nature. Et l'on ne sait si cette joie d'exister vient de la liberté respirée ou de la tiédeur émanante des campagnes tunisiennes.

Au volant de mon auto, dont les multiples croix rouges témoignent à retardement de tristesses que nous voudrions à jamais abolies, je ne vois déjà plus les cratères desséchés sur les routes ni la trace ignominieuse des camps allemands sur les pentes fleuries ni même les lamentables pans de murailles noircies qui marquent les agglomérations dévastées. Subissant l'irrésistible attirance de la flânerie oubliée, que fait renaître le paysage en fête, je me donne avec effort un but: je vais explorer, à travers les environs de Ferryville et de Bizerte les formations sanitaires de la dernière heure, désormais heureusement inutiles. Je vais découvrir les invraisemblables taniéres, dans les ruines ou les abris naturels, où je sais devoir rencontrer des amis délivrés, comme moi, de l' angoisse des combats et de l'emprise infâmantes des occupants.

Voici, peu après la petite ville de Mateur, dont les décombres accumulés fument encore, l'Hôpital auxiliare permanent de Michaud. Vaste formation sanitaire de campagne, prévue - quelle ironie! - pour un repli massif du service de santé de Sidi-Abdallah dans le fameux projet (que le repliement du général Barré au tout premier début des hostilités, n'a pas permis de réaliser) de retraite des troupes du camp retranché de Bizerte, attaquée par le Sud, vers l'Algérie. Cet hôpital, pourvu d'un approvisionnement moderne a été au premier jour de l'invasion allemande, occupé en quelques heures par les allemands, enchantés de l'aubaine. J'avais eu, heureusement, juste le temps d'en faire enlever d'extrême urgence le précieux matériel (salles d'opération transportables, stock de pansements et de médicaments, etc). Je le retrouve aujourd'hui, avec ses locaux intacts mais bourré d'Américains. Ils me reçoivent avec leur souriante cordialité habituelle; mais lorsque je leur dis combien ce confortable établissement serait précieux au service de santé français, son légitime propriétaire, pour remplacer l'Hôpital de Ferryville, bombardé par leurs aviateurs et loger nos médecins surmenés, ils me font comprendre, en s'excusant, qu'ils en ont un besoin urgent... Leur guerre est la nôtre: je ne puis que m'incliner.

Les médecins américains me reçoivent dans le Pavillon prévue pour le logement de nos chirurgiens. Un cercle élégamment aménagé - que les médecins allemands appelaient leur "Kasino" - offre des agréments, depuis longtemps, hélas, oubliés de mes malheureux camarades: fauteuils profonds, bibliothèque, whisky et cocktails...

J'ai la stupéfaction d'y rencontrer, en invités fort bien traités, quelques-uns des cinquante médecins allemands faits ces jours derniers prisonniers dans la région! On m'avait déjà assuré que d'autres militaires "prisonniers" se promenaient à Tunis en toute liberté dans des autos américaines...

Je ne puis m'empêcher de songer que si l'un de nos médecins français s'était permis, à l'égard de leurs confrères ennemis, une telle attitude, qui n'est, en somme, qu'une fraternisation, de quelle infâme accusation de "collaboration" n'aurait-il pas eu à rendre compte à certains de nos compatriotes, à ceux que nous appelerons les Compagnons de l'Epuration! - C'est à ce détail du comportement national américain qu'on mesure la différence entre le sentiment de puissance donné par la victoire, facteur de condescendante tolérance et le complexe d'infériorité de certains français médiocres, incapables de surmonter certaines blessures anciennes d'amour-propre autrement qu'en en rendant responsables d'autres français, pourtant eux-mêmes victimes.

Ma voiture contourne ensuite les rives stagnantes de l'immense étang de l'Iskeul. Le bled - découverte étonnante - est plus habité que la banlieue d'une grande ville; les troupes américaines, beaucoup plus visibles que celles de l'occupant disparu, sont innombrables. Partout des dépots de matériel en plein air, des tentes spacieuses et confortables d'où sortent des guerriers en short ou en pyjamas de couleur, bleu vif ou grenat; les uns affairés à des occupations militaires, les autres adornés à la détente et aux loisirs. Partout des groupes de tanks ou de camions neufs, aux pneus resplendissants. Des colonnes kaki en marche succèdent à des cantonnements fixes sous les oliviers et les boquetaux. Des jeeps se suivent à se toucher sur les pistes empoussiérées. Des convois occupent les routes, ça et là déviés pour éviter les trous de bombes ou des hameaux effondrés puis réajustés aux petits ponts de fortune jetés sur les oueds. Cette vision d'une armée admirablement équipée, au matériel gigantesque, donne une impression inoubliable de facilité dans la puissance. Que notre minable petite armée d'armistice était peu de chose, comparée à cette gigantesque structure de guerre! Dans ma petite citroën démodée et pacifique, je vérifie l'exactitude des enthousiasmes de nos libérateurs d'hier, affirmant à notre scepticisme, écoeurés par l'abandon et la détresse de notre prison sans barreaux, la majestueuse efficience de l'Amérique combattante!

Au nord du lac de l'Iskeul, je prends la route de Bizerte et m'arrête un instant dans le petit hôpital de fortune installé ces dernières semaines dans les cavernes de Ben Hallouf; carriéres proches de l'embranchement de Karouba, depuis longtemps taraudées et récemment aménagées par les Travaux maritimes. Lieu idéal de protection souterraine contre les bombes et les obus. Elles renferment des stocks de l' Intendance et des petites salles d'opération et d'hospitalisation, prévues pour une longue durée des combats. Celles-ci n'ont heureusement servi que de poste très accessoire de secours et d'abris pour quelques familles. Des marmots s'en échappent, assez maigres et pâlots, mais excités, rappelés par leurs mères souriantes et délivrées du cauchemar.

Mon auto grimpe ensuite les pentes du Nador. Après quelques circuits sur le plateau entre les bois de pins parasols et les landes de lentisques piquées de sauge dont l'arôme se distille au chaud soleil de onze heures, je stoppe à la porte du vieux fort du Rara. J'y trouve l'Amiral Derrien, qui s'attend d'une minute à l'autre à être arrêté.

Il est exaspéré par la visite que vient de lui faire un de ses anciens chefs de service, disparu depuis quelques semaines: Signalé vers la ferme Roederer, proche du fort, ce combattant de la dernière heure était, dit-on, parvenu dans la région du Kef, où il avait franchi la ligne de feu pour se mettre à la disposition de l'autorité française d'Algérie. Et il venait de rentrer à Bizerte, muni des pleins pouvoirs quant à l'arrestation de son ancien chef. "Ce petit Judas, qui a intrigué pour me remplacer durant le séjour des Boches, a eu le culot de se présenter à moi en résistant accusateur!" s'écrie, en me racontant la chose, l'Amiral solitaire... L'arrestation n'aura effectivement lieu que dans quelques jours, confiée par ce résistant de fraiche date à un officier israélite, arrivé avec les libérateurs, d'ailleurs tout fier de ce rôle qui le dédommage de l'humiliation que lui infligèrent les odieuses lois raciales de Vichy.

A mon retour à Ferryville l'après-midi, je trouve le cercle naval tout transformé. Près des cratères du jardin, désormais comblés, une brillante assistance, circulant entre les arbustes fleuris, incline à l'évocation des jours heureux du temps de la sécurité, du tennis et du papotage. Sur les escabeaux du petit bar, de jeunes officiers de marine en blouson kaki de l'armée de libération ont remplacé les vieilles barbes maussades. Leur belle humeur et leur crânerie ingénue dérident les frégatons les plus fossilisés. Ils se sont fait rappeler à l'ordre, ces jours derniers pour avoir chanté - ni par blague, ni par souci de mépriser hautement les petites querelles partisanes qu'on sent encore dans l'air - l'hymne naïvement mystifiant: "Maréchal, nous voilà!" Or aucun d'eux n'a été en mesure de mordre à l'idéologie vichyste; et tous ont une haine décente de l'Allemand. Mais à leur âge, mûris précocement par les responsabilités et les dures expériences de la guerre (La plupart ont eu une conduite exemplaire et quelques-uns feront plus tard le sacrifice de leur vie à la 2eme D.B. de Leclerc), ils ne peuvent comprendre comment leurs anciens ont pu mêler à leurs petites rancoeurs personnelles et même à d' incertaines vélléités idéologiques - toutes choses que leur fraiche loyauté méprise - l'idée patriotique. Pour eux, la patrie n'est pas une affaire de généraux, ni un idéal relatif à un lieu et à une époque: Plusieurs d'entre-eux, prisonniers des Anglais sous Vichy puis volontaires dans l'armée nouvelle d'Afrique, ont déjà démontré, par leur attitude, que leur patriotisme était au dessus des rancunes et des jalousies: La vérité sort parfois de la bouche des jeunes.

Les repas sont redevenus animés, joyeux: la cuisine est beaucoup moins pénitentielle. Les officiers arrivant d'Afrique du Nord sont accueillis avec chaleur, sauf quelques uns que l'on devine sectaires. Ils nous donnent des nouvelles des amis des ports et satisfont du mieux qu'ils peuvent notre soif de savoir tout ce qui s'est passé à Alger depuis l'arrivée des Américains. Les énigmes qu'étaient jusqu'ici pour nous les évènements de cette époque - participation désastreuse de nos bâtiments à la résistance contre les alliés, assassinat de Darlan, agonisation de la campagne de Tunisie par Giraud - nous sont quelque peu dévoilées. Mais nous n'apprenons rien de précis sur le sabordage de la flotte à Toulon, et rien du tout sur de Gaulle, cet Inconnu, qu'on suppose en route pour l'Algérie.

Toutefois, malgré la joie profonde de retrouver de vieux camarades dont ils étaient sans nouvelles depuis des mois, quelques officiers, parmi ceux qui sont restés en uniforme sous les Allemands, ont peine à réaliser la situation. Il ne s'agit nullement pour eux du problème tel qu'il se posait en France - partisans et ennemis de Vichy - Encore moins de l'opposition des opinions respectives des habitants de la zone métropolitaine dite libre et de la zone occupée (opposition dont ils n'ont pas la moindre idée). Il s'agit de la confrontation soudaine de deux conceptions des événements, résultat de deux sortes d'habitudes de l'existence quotidienne: D'une part chez des français qui ont servi dans les ports d'Afrique du Nord non occupée, vivant une vie libre, active, exaltée par les récents combats et la reconstitution, sous leurs yeux, de l'armée française en guerre. De l'autre, chez des français qui viennent de vivre six mois sous les bombes sans se battre, déprimés par une manière d'humiliante captivité dans une zone de quelques kilomètres carrés, exclus de la vie française, lâchés même par Vichy et coupés de toute information sûre: Psychologie obsidionale, disaient les pédants.

C'est pourquoi l'ardeur optimiste des nouveaux arrivés semble aux officiers de Bizerte un peu candide; ceux-ci hochent la tête sans participer à l'enthousiasme de ceux-là. Lorsque leurs libérateurs décrivent l'extraordinaire ampleur de l'effort américain, le magnifique matériel des Alliés, leur flotte innombrable, les pauvres officiers de la minable "armée d'armistice", témoins de la ténacité désespérée des Allemands, n'osent croire leurs informateurs. Il faut dire aussi que certains officiers venus d'Alger et d'Oran sont arrivés ici avec un préjugé défavorable aux emmurés de Bizerte. Qu'a-t-on pu leur raconter sur eux? Bien sûr, certains ragots venus de Londres leur ont fait hausser les épaules. Mais beaucoup restent persuadés qu'ils vont avoir affaire à des camarades naïvement butés dans une "fidélité au Maréchal". Surtout, ils ne saisissent pas ce qu'il y a de lamentable dans la condition morale des comparses écoeurés du drame de Bizerte, longtemps isolés dans leur impuissante désespérance.

Etat d'âme qui n'a absolument rien de commun avec la "collaboration" des envoyés de Vichy à Tunis... C'est pourquoi, assez choqués de ne pas trouver tous leurs camarades bizertains joyeusement démonstratifs, oublieux de leurs misères et de leurs deuils, ou tout de suite persuadés de l'amour de la généreuse Amérique pour les français, ils s'estiment, le plus souvent à tort, trop fraîchement accueillis. Ils inclinent à attribuer cette atonie morale des rescapés à quelque parti-pris idéologique sinon même à une certaine aberration patriotique!

Ce fâcheux et imprévu malentendu va quelque peu gâter certaines relations de service. Des officiers en arriveront à se jeter à la tête leur valeur respective de patriote. Quelques croix de guerre, reçues de l'autorité vichyssoise pour des conduites courageuses, sans lien avec l'obédience au Maréchal, seront arrachées par des chefs à courte vue ou maladroits. Au Cercle, le Président - celui-là même qui avait donné sans méfiance ses impressions favorables sur le vieillard de l'Hôtel du Parc - devra interdire toute réflexion concernant ennemis ou alliés. Et lorsque la femme d'un chef de service affirme sans malice un jour à table: "Méfions-nous; il y aura encore des bombes, mais ce sera des bombes allemandes!", il lui imposera silence: "Madame, je vous ordonne de ne pas faire de politique!"

A la première réunion des Directeurs à l' Arsenal, le tout petit jeune contre-amiral récemment arrivé et qui, s'étant vaillamment comporté dans les combats contre la flotte américaine, est plutôt sympathique à tous, ouvre la séance par une allocution assez bien venue, où il affirme que la France est ici, à Ferryville. S'interrompant brusquement, il se plante devant l'un des assistants, officier général âgé et de haute stature qu'il a cru sans doute voir sourire: "M. le Directeur, "s'écrie-t-il, "je vous prie de ne pas vous moquer de moi!"

Ahuri, l'autre s'excuse en protestant... Et la réunion, pourtant très attendue, n'aura pas lieu... Durant les jours qui suivent, le petit contre-amiral et le grand directeur se réconcilient sur l'intervention insistante de leur chef commun. Mais le contre-amiral qui commande l'Arsenal, devra - au mépris des règlements en vigueur - noter le directeur, dont le service (qui s'étend à toute l'Algérie-Tunisie) n'a rien de commun avec cet établissement. Il a donc avec celui-ci une conversation à coeur ouvert, au cours de laquelle le directeur - qui a, du fait de ses relations diplomatiques familiales, quelques idées de politique internationale - prévoit, après la victoire des Alliés, un rapprochement de ceux-ci avec l'Allemagne et laisser percer des opinions marxistes. Le contre-amiral rédige alors une note dans laquelle il suspecte la valeur militaire du directeur, tout en avouant qu'il n'a rien compris à ses opinions - Quelques semaines aprés, celui-ci sera placé en congé d'activité.

Ainsi, complexe d'infériorité des libérateurs, agacés de n'être pas reçus en sauveurs de la Patrie et complexe d'infériorité des libérés, non débarrassés d'une rancune irraisonnée de leur esclavage, non comprise de leurs camarades d'Afrique, dont ils sentent le blâme implicite, s'affrontent pour des raisons assez peu reluisantes d'amour-propre, qu'on s'efforcerait vainement de justifier par des débats de conscience.

Dans toutes ces discussions, mi courtoises, mi passionnées, ce qui domine péniblement, c'est la revendication de chacun à protester de son patriotisme personnel contre celui qui pense différemment. Cette appropriation de la valeur Patrie par l'individu est le premier symptôme de ce mal que nous allons voir s'affirmer chaque jour autour de nous, se renforçant progressivement du déplorable sectarisme qui, bientôt, s'épanouira à Alger: le mal civique, la démoralisation nationale.

Heureusement, certains chefs plus lucides et à la conscience moins émotive aperçoivent l'immense danger de cet énervement aggressif et cherchent à l'apaiser. Le vice-amiral qui succède à Derrien, désigné par le général Giraud, va excerce à ce point de vue une influence bienfaisante. Evitant d'humilier qui que ce soit, il met l'accent, dans ses harangues familières, sur la nécessité, reconnue par tous, de reconstituer au plus vite la Marine française. Il prépare l'arrivée du grand conciliateur Giraud, qui a comme devise: Tous unis pour la Victoire. Il le fait avec un tact parfait et un sens psychologique qu'il n'est pas habituel de rencontrer chez les chefs militaires, surtout chez les nouveaux.

Et à l'annonce de l'arrivée parmi nous du général Giraud, nouvelle personnification de la patrie française, un enthousiasme juvénile nous soulève.

Nous ne connaissons de Giraud que la faveur dont il jouissait auprès de ses soldats en 1940, son évasion toute récente - dont nous avions pu constater qu'elle avait profondément irrité les allemands - et sa belle conscience de soldat. Nous négligeons de prêter l'oreille à certains propos malveillants mettant en doute sa valeur intellectuelle ou lui prêtant des opinions politiquement rétrogrades. Que nous importe, dans un pareil moment de renouveau patriotique et national, qu'il soit ou non conservateur ou même sympathisant à la monarchie? Nous savons qu'il n'a jamais prétendu devenir un homme d'Etat; et sa clairvoyance en matière d'idées sociales nous semblait parfaitement négligeable, puisqu'il affirme à tous, avec l'accent de la plus évidente sincérité, qu'il désapprouvait toute ingérence des chefs militaires dans la politique de leur pays. Il nous suffit de savoir qu'il est courageux et loyal, que son idéal est celui d'un entraîneur d'hommes combattant pour la victoire. Pour nous, qui avons vécu sous la botte de l'occupant et qui, à certains indices recueillis dans les discussions entre officiers venus d'Algérie, soupçonnnant, chez d'autres chefs, les ravages d'un indiscutable et dangereux esprit de décision nationale, une seule chose compte:

Nous faisons confiance à Giraud - parce que nous l'imaginons hanté par l'idée d'unir les français séparés par les évènements, de prévenir les discordes, d'abolir, une fois pour toutes, les stupides rivalités de généraux, d'amiraux et de maréchaux, pour refaire non la France d'un homme mais une France désormais indivisible.

Son arrivée est prévue pour ce matin. Il a tenu à venir visiter personnellement le port de Bizerte, base navale de premier ordre, que nous aurons la fierté de lui présenter, sous un aspect sans doute peu engageant, témoin de nos misères, mais techniquement et militairement intact et gardé disponible pour la guerre victorieuse. Car derrière les ruines amoncelées par les bombardements alliés, ses installations et la plus grande partie de son matériel ont été préservées par nos soins: Il nous en saura gré.

A l'Arsenal, du côté de la porte intacte qui mène à la Pyrotechnie, les troupes sont rangées. Au premier rang, le contre-amiral commandant l'arsenal, les directeurs, des officiers supérieurs chefs de service. Plus loin, le reste des officiers présents au port. Derrière eux, les fusiliers marins, les matelots du dépôt des équipages, un détachement de l'armée de terre, le personnel civil et les ouvriers de l'Arsenal. Coude à coude, tous ces hommes, avec ou sans uniforme, pour la première fois réunis ainsi depuis le début des hostilités, attendent, impassibles, le nouveau chef de l'armée française.

Mais jamais les jeux de la lumière africaine sur les bâtiments sans toiture, jamais la buée, qui, là-bas, s'élève du lac autour des grands bassins ne leur ont semblé d'une si suave harmonie.

L'ivresse de la liberté et le rêve doré de la victoire s'insinuent dans la poitrine de ceux qui, ici même, ont vécu des mois de désespérance, et les consolent des angoisses passées.

Une puissante auto grise, sans luxe, stoppe près d'eux. Un homme de forte carrure, le masque rougi par les ardeurs du bled, s'avance, vêtu de cuir, les étoiles du képi à peine identifiables. A grands pas, il passe devant les officiers généraux et supérieurs, et, le regard droit, les interroge. Le vice-amiral, qui les présente, lui résume le rôle de chacun durant l'occupation. Giraud s'intéresse longuement aux informations que lui fournit, sur ses questions précises, le directeur des Industries navales. Il félicite de quelques mots directs, brefs mais sincères, ceux qui ont su garder à la France les si précieuses ressources de l'Arsenal et de la base navale, immédiatement utilisables par les Alliés pour la future campagne d'Europe.

Arrêté devant le Médecin-général, après avoir écouté ce que dit le vice-amiral de l'attitude de son personnel durant l'occupation, il lui serre longuement la main:

"Je vous connais depuis longtemps, Docteur," lui dit-il, "votre beau corps de santé de la Marine, sa vaillance et sa fidélité. Une fois de plus, sous vos ordres, il s'est montré à la hauteur de ses hautes responsabilités devant l'humanité et devant notre pays".

"Vieux St Cyrien", a-t-on dit à Alger - ce mot voulait être spirituel - de Giraud, "commandant civil et militaire", dont beaucoup raillaient la fraîcheur de sentiment et la mystique patriotique attardée. Mais ses détracteurs ne savaient pas apprécier, sous sa rudesse militaire, cette inappréciable qualité qu'était son magnifique dédain du prestige spectaculaire sur les foules. Les officiers du camp retranché de Bizerte voueront une pieuse et définitive reconnaissance à ce chef qui n'aura jamais eu d'autre prétention que d' être un beau soldat et qui a lutté jusqu'à la fin de sa carrière victorieuse pour l' union des âmes françaises. A ce chef qui, jusqu'à l'accomplissement de son destin, veillera à ce que d' autres chefs prétendant, eux, donner à la patrie une grandeur impossible, ne réussissent pas à la conduire, et cela dans la plus navrante inconscience, à la haine entre français, destructrice de la structure nationale.

 

 

La ratière va s'ouvrir Déroulède chez Fathma

 

 

Version : 07.12.2004 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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