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Chapitre III
Histoire d'un coup de téléphone

 

Le 11 Novembre, vers vingt heures, à la baie Ponty, un officier dont les insignes se dissimulent sous un manteau de cuir empoussiéré, sonne à tâtons à la porte de l'Hôtel privé de l'Amiral, entièrement silencieux dans le black-out. C'est son médecin, surmené par une journée harassante de contrôles minutieux des organisations sanitaires du camp retranché, heureusement bien au point et prêtes à fonctionner à plein rendement, pour des milliers de blessés s'il le faut.

Malgré une impérieuse tentation de regagner son domicile pour dormir quelques heures, il a voulu tenir sa promesse de venir chaque soir, depuis près d'une semaine, examiner médicalement son chef, dont la santé laisse en ce moment à désirer et que ses confrères ont soumis à un dur régime.

Il est en relations cordiales et confiantes avec celui-ci. Pourtant deux hommes furent rarement aussi dissemblables moralement.

L'Amiral est un breton traditionnaliste, de mentalité quelque peu mystique, teintée même d'une certaine inquiétude superstitieuse inavouée. Dévot par pli ritualiste, il dissimule, sous un paternalisme soucieux d'une bienveillante équité, un certain esprit maritime de caste, qui lui sculpte en service un personnage aux dures arrêtes de chef militaire autoritaire et ne souffrant pas la contradiction. Pourtant, avec ses intimes, il laisse paraitre une légère coquetterie de paillardise, qui, d'ailleurs, à son âge, amuse et requiert une sympathique indulgence.

Le médecin, plus jeune, est le type de l'intellectuel adonné aux méditations scientifiques et aux recherches cliniques. Il n'est marin que d'occasion et militaire que par son grade. Elevé dans une famille de tradition démocratique (1), il a dû taire, durant toute sa carrière maritime, ses convictions idéologiques marxistes, radicalement incompatibles avec les positions admises dans son milieu professionel: Type social nullement exceptionnel dans notre société bourgeoise française, qui impose aux jeunes gens sans fortune de ne réaliser certaines de leurs vocations qu'à la faveur des carrières d'Etat, c'est-à-dire en les obligeant à se heurter aux préjugés de classe qui y règnent souverainement.

Jamais ces deux hommes qui s'entretiennent souvent d'affaires de service et, de temps à autre, des petits drames quotidiens qu'ils sont appelés à apprécier chez leurs subordonnés, ne discutent l'un ou l'autre de philosophie, de religion ou de politique, même internationale. Ils se savent seulement d'accord dans leur espoir de la victoire qui - comme le disait dernièrement devant eux l'Amiral Auphan au cours d'un déjeuner officiel - "est très loin, au delà de l'obscurité présente, comme au fond d'un tunnel" (2)- En particulier, le médecin fuit toute controverse avec l'Amiral Derrien, homme du passé, sur la question de l'Allemagne: L'Amiral voit dans l'Allemand une sorte de spécimen zoologique ou plutôt d'entité maléfique. Le docteur considère l'individu né en Allemagne comme une unité humaine, comme un être simplement différent de l'individu né en France par ses caractéristiques psychologiques nationales et notamment par un fâcheux besoin communautaire à courte portée, qui le rend dangereusement accessible à la suggestion d'un illuminé meneur de foule. Par contre, l'Amiral envie très fort, sans le dire, l'esprit de brutale discipline de la Wehrmacht et l'efficience de sa technique guerrière. Alors que le docteur, pacifiste par nature et par raison, éprouve une sorte d'horreur physique pour le nazisme à la mystique de brute, qui utilise cette effroyable machine à détruire la vie, à des fins régressivement barbares.

Le fidèle maître d'hôtel, à moitié endormi, a désigné d'un geste au médecin la petite pièce au bout de l'escalier, où, solitaire, l'Amiral est assis, écoutrant distraitement à sa radio, un concert de France. Ayant consenti d'assez mauvaise grâce, depuis une huitaine de jours, à une restriction alimentaire plutôt pénitentielle - qui, disait-il, non sans raison, le déprimait - il a, ce soir, fait déboucher une de ses dernières bouteilles de Vouvray. Il accueille son médecin d'un sourire amusé et avec un clin d'oeil vers le seau à glace, comme pour se faire pardonner cette exceptionnelle incartade.

L'examen médical, minutieux, s'achève. Et le dialogue suivant se déroule:

  Le docteur :
C'est parfait, Amiral! Vous allez beaucoup mieux ce soir. C'est même assez étonnant ce changement. Tous mes compliments!
  L'Amiral :
Mais c'est vrai, je me sens ce soir tout-à-fait en forme. A vrai dire, les évènements y sont peut-être pour quelque chose?
  Le docteur :
Vous avez sans doute raison: affaire de moral… Et le vôtre semble excellent aujourd'hui. Je viens de lire votre dernier ordre. Alors, l'heure de la revanche est arrivée? Nous rejetons la politique dite de "dl'horreur dans la dignité"? Les tergiversations et marchandages sont terminées? Vous y voyez clair?
  L'Amiral :
Eh oui, cher Docteur. Je respire maintenant. J'ai reçu des nouvelles, cette fois, rigoureusement authentiques, et, ce matin même, des suggestions précises. Je vous parlais l'autre jour de la comédie d'Alger et de la pagaye de Vichy. Jusqu'à ce matin encore, je soupçonnais que les Boches étaient arrivés à arracher au gouvernement du Maréchal l'autorisation de débarquer en Tunisie - quoiqu'il me semblât parfois que Vichy voulait s'en tenir à ordonner une neutralité absolue… Mais je sais maintenant que cette situation insupportable est dépassée par les évènements. Giraud est arrivé à Alger. Darlan et lui ont fait la paix et n'ont qu'un seul but. S'unir pour la Victoire. On parle d'un gouvernement en gestation, qui comprendra d'autre part Noguès, dont on attend l'arrivée au Maroc, des civils comme Chatel, etc…
  Le docteur :
Alors, finie la Collaboration? On ne parle plus de "la dette de l'Allemagne envers nous"? On renverse d'un geste la sublime politique européenne de l'"ordre nouveau"?
  L'Amiral :
Ne blaguez pas. Tout ceci est encore assez obscur et à l'état de projet. Mais il apparait pourtant de plus en plus nettement que la France n'est plus à Vichy mais bien à Alger. Ah, cher Docteur, quel soulagement de découvrir enfin où est le Devoir! Quand, ce matin, au téléphone, Barré m'a répondu, à la place d'Esteva, absent pour la journée, que l'ennemi était toujours le même et qu'on pouvait y aller, mon coeur a bondi!... A ce propos, je vous préviens que j'attends d'une minute à l'autre un coup de téléphone du Résident général, qui doit m'apporter des nouvelles précisions (3)… Mais restez, Docteur, je vous en prie, restez… Ca me fait du bien de bavarder un peu avec vous - Un peu de ce breuvage, prohibé par vos confrères?
  Le docteur :
Bien volontiers. Mais puisque je vous tiens, excusez-moi! Il faut que je vous rende compte de ce que j'ai fait aujourd'hui et de l'état de notre service de santé! C'est mon rôle ingrat et effacé à moi…

(Suit un entretien purement technique).

Le téléphone retentit dans le petit cabinet attenant à la chambre de l'Amiral. L'Amiral se précipite, la porte reste ouverte.

Après un silence prolongé, les accents pressés de l'interlocuteur - l'Amiral Esteva - se devinent progressivement. Une bruyance insolite intrigue le docteur fumant et rêvant. La voix lointaine et indistincte mais enflée semble gronder, roule ses périodes confusément courroucées. L'Amiral Derrien s'exclame, s'exclame encore, veut interrompre, proteste, balbutie… Puis, tout-à-coup, plus rien. Un temps assez long. Puis il parait à la porte du cabinet, s'adosse au mur, très pâle, muet.

  Le docteur :
Qu'est-ce que vous avez, Amiral? Vous vous sentez souffrant?
  L'Amiral :
(après un silence). Ah, mon pauvre Docteur!… Qu'est-ce qui m'arrive?... Je crois que j'ai fait une boulette!
  Le docteur :
Une boulette? Mais qu'est-ce que vous voulez dire?
  L'Amiral :
Je vous parlais tout à l'heure des histoires que m'a racontées ce matin Barré: le gouvernement de Darlan constitué à Alger, l'union des chefs dénonçant la politique de Vichy face à l'Allemand, l'espoir… Hélas, tout cela n'était qu'un rêve. J'ai mal compris, ou il s'est mal expliqué… et pourtant il me semble bien que Barré était persuadé; ou alors voulait-il me pousser à une décision qu'il n'osait pas prendre le premier?… Quoiqu'il en soit, j'ai eu tort, je suis allé trop vite. Vichy est toujours là. Les Boches sont déjà en force à Tunis, on en tire plus sur eux. Le Résident général est furieux, il me dit que j'aurais dû au moins tenir mon ordre secret! Je me suis emballé, je l'avoue…
  Le docteur :
Mais voyons, permettez-moi de vous le rappeler: Il n'est pas votre chef, ce me semble. Il a ses ordres, lui, et c'est son affaire s'il les exécute. S'il admet que vous avez pu donner cet ordre en secret, pourquoi, lui, ne s'est-il pas opposé à l'atterrissage des avions allemands?
  L'Amiral :
Là n'est pas la question. Il est mieux informé que moi de la situation. Sa thèse parait être - et c'est pourquoi il me reproche de ne pas avoir tenu mon ordre secret - que, sans que nous abandonnions l'espoir de tirer sur les Allemands, il faut que nous ne fassions rien avant l'arrivée probablement prochaine des Américains qui pourraient nous libérer, pour inquiéter l'ennemi aux aguets: Il aurait fallu au contraire endormir les Boches en ayant l'air de ne pas réagir contre eux… Oui, j'ai fait une boulette.
  Le docteur :
Misérable technicien que je suis, je n'entends rien à ces combinaisons du Commandement. Mais, si je comprends bien, vous avez à choisir entre deux décisions: ou bien de maintenir votre ordre - fut-il secret -, donc d'entrer comme dit l'autre "en dissidence", ainsi que semble le faire Alger… puisque vous avez dit que Barré avait su d'Alger quelque chose dans ce sens…
  L'Amiral :
Oui, mais qu'y a-t-il de vrai là-dedans? Je recommence à douter de tout maintenant. Et Barré vient de s'envoler vers l'Ouest, nous laissant tous ici dans le pétrin. C'est à croire qu'il veut me mettre en avant pour s'abriter ensuite derrière moi… (4)
  Le docteur :
… ou vous suivez les directives du Résident général, alors que vous n'êtres pas sous ses ordres! Vous savez bien que si vous donnez ici l'exemple d'une reprise de la guerre aux Allemands, tous vous suivront: Non seulement les quelques ennemis (en esprit) de Vichy, qui se jugent "gaullistes", mais tous ceux qui sont restés à leur poste sans récriminer, soit parce qu'ils ne pouvaient matériellement pas passer de l'autre bord, soit pour la simple raison qu'ils reçoivent momentanément leur solde du gouvernement du Maréchal.
  L'Amiral :
C'est entendu, je le sais très bien. Mais vous ne pouvez juger, comme moi, des conséquences d'une action séparée que j'entreprendrais ici. Entièrement isolés, comme nous le sommes, mal armés, nous n'aurions pas le temps de voir arriver les Américains, qu' Esteva croit être encore au delà de Tabarka - et sans doute pas encore nombreux. Les Boches détruiraient tout ici. El Aouina est déjá occupé, Tunis est en train de l'être… Foutre le camp serait lâche, serait tout abandonner à l'ennemi. Rester en combattant quelques heures entrainerait de terribles représailles sur le camp retranché et la population civile, que nous n'avons d'ailleurs ni le temps ni les moyens d'évacuer.- Et encore, tout cela n'est rien. Nous ne sommes pas, nous des politiciens, des diplomates ou des malins cherchant à deviner où sera demain le vainqueur.
  Nous devons sacrifier notre désir de combattre, nos galons, notre vie pour le pays… pas pour le panache ou pour notre carrière, mais pour les autorités responsables qui représentent légalement la France, quelque soit le côté ou tourne le vent…

 

Silence. Devant cet homme à la vertu patriotique abstraite, qui apparait écrasé par une fatalité intérieure, devant ce chef prostré qui prend, lui aussi, volontairement figure de lampiste, devant cet honnête subordonné sans ordre supérieur, écartelé entre sa conscience personnelle et sa vertu d'obéissance à la discipline ou au "pouvoir légitime" - impératif Kantien né d'une morale d'abdication de la personnalité - , le médecin n'a plus qu'à se rappeler son rôle de comparse, mal informé de ce qui se passe en haut lieu, et à se retirer sur la pointe des pieds. (5)

Sorti dans la nuit, il cherche à retirer de cette lamentable conjonction quelque enseignement. Une telle obéissance passive intégrale, obstinée, sans engagement personnel intime, c'est-à-dire la contrainte d'une discipline en-soi, fait-elle vraiment, comme le prétend le vieux slogan des casernes, la force des armées?

Certainement non. Les militaires sont-ils utiles à la société en tant que robots montés par leurs chefs ou bien en tant qu'hommes méditant librement sur leur humanité? Ils sont certes à envier, nos camarades soviétiques, dont la foi en leur mission sociale coïncide avec leur rôle de guerrier au service de leur patrie! Ils se battent, eux, contre l'envahisseur, non pas uniquement parce qu'il est cet envahisseur du moment, mais pour un idéal humain universel et pourtant viable, en harmonie avec leur action concrète! Et la parole de Jaurès lui revient à la mémoire:

"La Patrie n'est pas au-dessus de la conscience. Le jour où elle se tournerait contre les droits de l'homme, contre la liberté ou la dignité de l'être humain, elle perdrait ses titres."

Oui, la Patrie traditionnelle, célébrée par notre nation à nous, la patrie mystique qui nous a été enseignée à l'école et à la caserne inclut une contradiction: Pour être vraiment la Patrie, elle doit éliminer l'équivoque de la discipline-foi. Elle sera humaniste ou elle ne sera pas. Pourquoi donc ce culte d'un seul homme et ce dédain de l'humanité? Telle mentalité ne saurait avoir qu'une cause sociale.

Esprit de caste, peut-on dire à propos des cas analogues? Bien grand mot. Il a de cela chez les plus éminents parmi les chefs mystiques. Les autres ne sont plus à ce niveau d'égoïsme altier, d' absurde grandeur nietzschéenne, peu accessible à leur mentalité médiocre de petit-bourgeois. Il s'agit plutôt chez eux d'un assez vulgaire esprit de corps, qui ternit leur sincère patriotisme. Le cas Derrien est plus nuancé. Il n'y a chez lui ni culte orgueilleux de la véritable mystique du Chef providentiel ni non plus médiocrité vaniteuse du militaire de carrière intégré à son groupe social, mais une sorte d'obsession loyaliste, de hantise du devoir d'obéissance, de superstition, de la discipline. Ce religieux dévot est aussi un bigot du Commandement; il implore la légalité comme il prie la divinité: Son désintéressement, sa parfaite honnêteté ne rendent que plus navrant son sacrifice méritant de ses propres aspirations, entièrement contradictoires!

Est-il vraiment responsable, d'ailleurs, de cette abdication de sa personnalité? Une telle attitude, qui est celle de bien des chefs de notre armée n'est-elle pas le produit de leur milieu? Notre pauvre pays de France, aux idées sociales jadis hardies, aujourd'hui, hélas, anachroniques, donne naissance à des officiers et à des fonctionnaires de haute qualité professionnelle mais dont le sens social ne peut guère se hausser qu'à un honneur de groupe. Une structure sociale désuete ne peut permettre aux élites de la nation qu'un esprit communautaire étiolé - esprit civique fragile ou mentalité militaire isolée du peuple - Les exemples abondent, chez les officiers, d'excellents chefs dont l'esprit de solidarité nationale se restreint à un patriotisme de classe, totalement ignorant de l'âme populaire; Depuis Gamelin, le courtois professeur d'art militaire et Weygandt, le grand soumis, partisan de la grandeur dans l'obéissance, jusqu'aux mornes amiraux - petainistes ou gaullistes - et à Darlan lui-même, brillant chef d'escadre, mué en dauphin retors, dont l'opportunisme est sans grandeur ni rayonnement…

Dehors, la nature repose dans une magnificence muette, superbement dédaigneuse des misérables débats humains de conscience. Le docteur s'éloigne, cherchant dans le soulagement quasi-physique qu'apporte à ceux dont le métier est de réparer les chairs atrocement meutries la perspective d'un éloignement de l'ignominieuse tuerie, l'oubli du spectacle navrant qu'il vient de subir: Celui d'un très honnête homme, loyal et courageux, réduit à une totale impuissance par l'obligation intérieure que lui impose, comme une loi despotique, un certaine mystique d'un autre âge.(6)

 

 

(1) Fils de socialiste militant et frère d'un universitaire socialiste devenu, au cours d'une carrière d'orientation diplomatique, conseiller d'Aristide Briand et son principal agent de liaison avec l'Allemagne de gauche et d'extrême gauche, puis, ayant dû, après le décès de l'homme d'Etat, quitter Berlin sous les menaces de mort des hommes de main d'Hitler.

 

(2) A ce même déjeuner, le médecin, offrant une cigarette à l'Amiral Auphan, s'entendit dire par cet officier général au courant des secrets de l'Hôtel du Parc: "Merci, docteur, mais j'ai fait le serment de ne pas fumer avant la Victoire." Il ne s'agissait sans doute pas de la victoire de l'Allemagne. Mais il y a là un détail symbolique, assez révélateur de la mystique spirituelle intime - pénitence religieuse, toute puissance magique des pensées, des serments et des rites, etc - qui caractérisait la mentalité de certains chefs de la récente guerre, patriotes et courageux mais anciens élèves des Bons Pères.

 

(3) La coïncidence de la visite quotidienne du Docteur à l'Amiral avec le renversement de la décision de celui-ci, fit, le lendemain, circuler parmi les marins, en majorité mystifiés par la propagande de Vichy, le plaisant bobard que le médecin avait suggestionné l'Amiral pour défendre la bonne cause! Un officier dont le bureau était voisin de celui du docteur et qui était bien connu, à la fois par son étroitesse de jugement et pour sa foi monarchique, prenant au sérieux cette absurdité (pour la raison qu'elle répondait à son propre désir) en fit état dans son Journal intime, en orthographiant d'ailleurs le nom du médecin qu'il connaissait depuis peu, d'une manière qui a permis à l'auteur de ce livre de déceler l'origine de cette calomnie imaginée de bonne foi. Ayant compris plus tard son erreur, mais vexé, il laissa, en s'enfuyant avec les Collaborateurs avant la Libération ce journal en évidence dans un tiroir. Ce "document" fut expédié par les Compagnons de l'Epuration à Londres, où il inspira un article intitulé "Les évènements de Bizerte" (Cahier français de Londres, Soc. Des Ed. De la France Libre, No. 48, Septembre 1943) dans lequel furent glissés les phrases venimeuses suivantes (page 22):

"L'Amiral Derrien a déclaré par la suite qu'après avoir diffusé l'ordre du jour fixant l'ennemi, il reçut la visite du Médecin-Général E. Cet officier-général fit part de ses doutes sur la nouvelle ligne de conduite adoptée. Il craignait qu'elle ne fut pas dans la ligne de la politique du Maréchal. Pour apaiser ses scrupules, l'Amiral offrit de retéléphoner au Résident général… "

Ajoutons que le médecin, fut peu après la parution de l'article, sans se douter de la chose et sans avoir été appelé à se justifier, limogé. Sans doute parce que, selon l'expression de l'excellent M. Palewski, "il avait très mauvaise réputation" (on l'aurait en effet à moins!)

Inutile de dire que cette cocasse et malveillante calomnie a été réduite à néant au procès de l'Amiral, par tous les témoignages, dont la déposition écrite du général Barré lui-même. Nous avons tenu à préciser ce point pour montrer quel genre d'esprit d'objectivité et d'indignation épuratoire soufflait d'Alger à cette triste époque.

(Note de l'auteur)

 

(4) Un officier de l'amiral pourra joindre le général Barré le 14 Novembre dans les environs de Souk-el-Arba. Il recevra de lui pour son chef de Bizerte l'ordre de "ne pas se raidir contre les Allemands" avec la promesse que le général viendrait, quand il le pourrait, entreprendre de dégager la garnison de Bizerte. Ce que la brusquerie de l'invasion allemande ne put, bien entendu, lui permettre de réaliser.

 

(5) Dans la nuit, l'ordre était annulé et remplacé par une presciption de stricte neutralité à l'égard de toute force étrangère, tant de l'Axe qu'Anglo-américaine.

 

(6) Contrairement à ce qui a été écrit à Londres, l'ordre et son contre-ordre ne produisirent dans les équipages et les cantonnements qu'un effet d'ahurissement, sans protestation ni dans un sens ni dans l'autre, - tant la mentalité générale, déjà abrutie par la propagande vichyste, était déconcertée par la douche écossaise des consignes patriotiques de sens contraire. Seuls, quelques officiers et matelots, à la baie Ponty, avaient, la veille au soir, en entendant l'appel à la Revanche, entonné le verre en main quelques couplets évoquant l'Alsace-Lorraine et la Madelon.

 

 

Un vent de catastrophe Epouvante dans le ciel

 

 

Version : 07.12.2004 - Contents : Martine Bernard-Hesnard

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